S'opposer au fascisme qui monte, sur tous les terrains

Publié le par Henri LOURDOU

S'opposer au fascisme qui monte,

sur tous les terrains.

 

La réaction est à l'offensive sur tous les terrains, et se nourrit bien sûr du confusionnisme et du complotisme proliférants grâce aux réseaux sociaux, alimentés par la presse Bolloré et consorts.

Dernier exemple signalé par l'excellent site " café pédagogique", la remise en cause de l'inclusion à l'école des personnes en situation de handicap. On remarquera au passage l'amalgame entre "inclusivité" et "wokisme" qui devrait inciter certains à plus de réflexion dans l'usage inconsidéré de ce terme... et l'usage encore une fois abusif du concept d'universalisme. Le fascisme pervertit le sens des mots : la lutte contre lui est aussi une lutte lexicale, qui nous appelle à une vigilance constante sur notre vocabulaire et celui utilisé par nos adversaires.

 

L’inclusion contraire à l’idéal universaliste de la République et l’école inclusive responsable de la faillite de l’Éducation nationale ?

 

C’est une petite musique que l’on entend depuis quelques années déjà, mais elle commence à apparaître plus fréquemment un peu partout, y compris lors de conversations anodines. Avec la tribune publiée le 20 octobre dans l’Opinion par le communiquant Vincent Lamkin, cette thèse est déclinée avec force. L’auteur, fondateur d’un groupe de communication qui « aspire à influencer “positivement” le monde », veut montrer que du point de vue philosophique et politique, « l’inclusion compromet l’altérité inhérente à notre pacte républicain ». Il dénonce en premier lieu cette mode qui conduit les institutions et les entreprises à se qualifier ou à qualifier d’inclusives leurs productions. On pourrait penser qu’il dénonce ce phénomène comme on dénonce le greenwashing, un faux semblant de prise en compte de la problématique écologique pour mieux vendre sans rien changer à l’essentiel. Mais ce n’est pas le cas. En fait, il disqualifie le concept-même d’inclusion. Selon lui, l’inclusion engage dans la société « un mécanisme de revendication et de reconnaissance identitaires par lequel chacun a la possibilité de tester les limites d’un système, à la manière dont un enfant teste les limites ». Ce faisant, « l’inclusion compromet l’altérité inhérente à notre pacte républicain » pour lequel « l’abolition des différences dans un cadre commun fonde le vivre ensemble et l’égalité ». Elle est « l’arme de séduction passive du wokisme » et « l’arme de destruction massive du citoyen, car il sera une machine à produire du “sujet-roi” ». L’auteur fusille dès lors l’école inclusive : « C’est au nom de l’inclusion que nos institutions ont tiré vers le bas, avec le succès que l’on sait, le système scolaire français, mettant à mal la méritocratie républicaine pour creuser, in fine, les inégalités que celle-ci prétend combler ».

 

Wokisme, baisse du niveau du système scolaire, sapement de la République… D’un point de vue rhétorique, ces accusations à caractère infamant contre l’inclusion et ses acteurs disqualifient toute tentative de discussion. Il y a là un procès sans possibilité d’appel qui rend compte de cette tendance si fréquente en France au clivage intransigeant sur le thème de la préservation de l’identité, en l’occurrence l’identité d’une immarcescible république française à vocation universaliste.

 

Toutefois, Vincent Lamkin concède que « l’intégration des personnes handicapées dans la société, à l’école ou au travail » mérite d’être prise en considération. Il affirme ainsi que « L’enjeu est bien de ne pas assigner à résidence un handicapé dans cette identité, mais de la prendre en compte pour lutter contre les inégalités générées par la stigmatisation des différences ». Cela correspond presque au principe de l’inclusion scolaire… qu’il dénonce pourtant. Mais dans l’expression de cette concession, sans en avoir conscience, en le substantivant, il réduit l’être humain en situation de handicap au trouble ou à la déficience qu’il porte, et de facto, il lui attribue une identité ontologique, celle du « handicapé », le rendant par nature étranger au groupe social de référence : la communauté des citoyens. L’universalisme de la citoyenneté républicaine se voit alors bien relativisé. À l’évidence, les travaux des anthropologues sur la production sociale du handicap et la distinction entre situation de handicap et troubles, pas plus que les principes éthiques et néanmoins légaux des droits fondamentaux à la participation et à la compensation, à l’égalité de dignité, ou encore le devoir collectif de mise en accessibilité et de conception universelle, ne semblent avoir inspiré l’auteur de cette tribune. On ne peut que le déplorer.

 

Quant à l’affirmation selon laquelle l’inclusion scolaire serait la cause de l’effondrement du système scolaire français, elle est osée. En effet, la dénonciation de cet effondrement est réitérée inlassablement depuis des décennies, bien avant que la République n’invite le concept d’inclusion scolaire dans ses textes officiels. Dès les prémices du collège unique et de la démocratisation de l’accès au second degré, d’aucuns dénonçaient un complot contre l’élitisme républicain visant à un nivellement par le bas. Une vieille lune qui connaît toujours un vif succès. Nul besoin d’argumentaire ou de démonstration. L’assertion se suffit à elle-même, gagnante à tous les coups.

 

Cela dit, les réflexions de Vincent Lemkin doivent faire réfléchir, car il existe effectivement une vision néolibérale de l’inclusion scolaire. Elle promeut un système scolaire fondé sur la compétition entre des gagnants et des perdants. Elle appelle à un enseignement individualisé au détriment du collectif et de la construction d’une société solidaire. Quand le comité de suivi de l’école inclusive co-piloté par les deux ministres Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel affirme le 4 novembre 2019 qu’avec la création des PIAL, il s’agit d’engager « une structuration autour d’une logique de service à la personne », il évoque sans doute les AESH, mais avec l’adoption officielle de cette formulation pour un dispositif d’organisation en réseau de la totalité des écoles, des collèges et des lycées, c’est insidieusement la nature-même du service public de l’éducation qui est remise en cause. Car les professeurs ne sont pas des précepteurs au service de clients. Ils sont les jardiniers de la République et de la seule communauté qu’elle reconnaît, celle de ses citoyens.

 

À l’opposé de la tendance néolibérale, il existe une vision sociale et humaniste de l’école inclusive, imprégnée de la certitude que tous les êtres humains sont par nature égaux en droits et en dignité, capables de progrès et d’apprentissages. Elle mobilise tolérance mutuelle et solidarité indéfectible entre les êtres humains, quelles que soient leurs différences, et sait tirer parti de l’émulation collective et de la coopération pour le meilleur de tous et de chacun. Cette école inclusive est compatible avec l’universalisme républicain. Elle en est même le cœur. Elle abreuve notamment les racines de la troisième valeur de notre devise, la fraternité. Faudrait-il y renoncer ?

https://www.cafepedagogique.net/2023/11/17/sale-temps-pour-lecole-inclusive-i/

 

Post et Ante Scriptum :

L'analyse précédente ne fait que confirmer hélas, tout comme l'action du nouveau Ministre Gabriel Attal, ce que j'écrivais lors de l'éviction à l'été dernier de Pap N'Diaye :

Quand le mal s'annonce, quel qu'il soit, il faut avoir le courage de le nommer et de l'affronter dès qu'il se manifeste : la procrastination (retard à agir), l'optimisme hors de propos, la volonté d'accommoder et de temporiser sont des auxiliaires en fait de la propagation de la haine. Un exemple frappant d'actualité est le sacrifice de Pap N'Diaye dans le dernier remaniement gouvernemental. Bel exemple négatif de temporisation et de renoncement face à la haine raciste de l'extrême-droite de la part d'un Président de la République qui n'est ni raciste, ni d'extrême-droite. Comment ne voit-il pas qu'il ne fait qu'encourager le racisme et conforter l'extrême-droite en agissant ainsi ? De plus, comme le remarque avec pertinence Najat Vallaud-Belkacem (Le Monde daté 22-7-23) si ce n'était pas pour inverser la politique réactionnaire de JM Blanquer, pourquoi donc l'avoir nommé à ce poste de ministre de l'Education il y a quatorze mois ? En plus d'encourager le racisme et l'extrême-droite, cette décision décourage tous les progressistes et polarise davantage le débat sur l'Education. Cette inconséquence majeure risque de se payer fort cher. La contagion de la haine au sein de l'Education nationale a de beaux jours devant elle !

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