Les Soulèvements de la terre Premières secousses

Publié le par Henri LOURDOU

Les Soulèvements de la terre Premières secousses
Les Soulèvements de la terre
Premières secousses
La Fabrique, avril 2024, 290 p.

 

 

Du Larzac aux Soulèvements de la terre ?

 

Séduit par l'éditorial lu en ligne ("Faire atterrir l'écologie : pour une lutte terre à terre", pp 15-20), j'ai acheté ce livre dès sa parution.

Son contenu m'amène à constater une forme de continuité et d'approfondissement entre le "mouvement Larzac" et les "Soulèvements de la terre".

 

Continuité

 

Je la relève d'emblée sur trois points :

"La joie et la puissance d'une organisation tiennent à la diversité des rencontres qu'elle rend possibles, à sa capacité à faire sauter les barrières qui d'ordinaire nous séparent." (p 10)

"Malgré le sérieux des enjeux, les risques légaux et physiques, nous tenons à ce que nos actions soient aussi des fêtes.(...) Qu'elles se terminent par des karaokés, des concerts et des interventions décalées. Ridiculiser l'adversaire et éprouver ensemble de la joie sont des dispositions fondamentales pour tenir ensemble sur le temps long." (pp 10-11)

"Contrairement aux défilés revendicatifs sans réponse qui font augmenter la résignation, nous voulons repartir d'une manifestation avec le sentiment que quelque chose a changé : une terre a été protégée, une infrastructure toxique obstruée." (p 10)

 

Ces trois points, nous les avons vécus entre 1971 et 1981 au sein du "mouvement Larzac", dont nous étions alors partie prenante.

Nous avons alors fait sauter pas mal de barrières entre les "révolutionnaires" mao-populistes que nous étions, les non-violents, les cathos, et les paysans du Larzac avec tous leurs soutiens locaux , de certains industriels de Roquefort à certains notables syndicaux (FDSEA) ou politiques (élus PS).

Nous avons également vécu de grands moments festifs, avec notamment les trois grands rassemblements sur le plateau de 1973, 1974 et 1977, combinant "convergence des luttes", spectacles et réflexion collective.

Enfin nous avons vécu des moments de réalisations transgressives (construction de la bergerie illégale de la Blaquière, adductions d'eau non autorisées, occupation de fermes acquises par l'Armée...) qui faisaient de nos manifestations autre chose que de simples "défilés revendicatifs sans réponse". Nous avons également pratiqué le refus-redistribution de l'impôt pour l'achat de terres convoitées par l'Armée, et le renvoi de livrets militaires, élargissant ainsi le répertoire des actions traditionnelles, en pratiquant la désobéissance active.

 

Approfondissement

 

Par contre, là où je note un approfondissement, c'est dans la réflexion et la pratique de l'affrontement et de l'organisation.

Sur la question de l'affrontement, les Sdlt dépassent le stérile débat sur violence ou non-violence en mettant bien en avant l'analyse des situations et les réponses les plus pertinentes à y apporter pour avancer sans se faire écraser. Étant entendu, ce que je partage, que la limite éthique est le respect de la dignité de tout individu.

J'avais déjà noté, lors de la lutte contre le projet d'aéroport de Notre-Dame-Des-Landes (2009-2018) la finesse tactique des décisions de la ZAD. Celle-ci avait permis l'élargissement du soutien (auquel j'avais participé à partir de 2012), tout en garantissant l'occupation du terrain. Et in fine permis l'abandon du projet, grâce à la tentative macronienne de débauchage d'une partie des écologistes (nomination de N Hulot comme ministre, ralliement de D. Cohn-Bendit et de F. de Rugy).

Ici, cette souplesse tactique est théorisée de façon qui me semble inattaquable.

 

De la même manière, je trouve assez exemplaire la réflexion sur l'organisation. Réflexion qui a largement fait défaut au mouvement Larzac, et débouché notamment sur la personnalisation du mouvement sur José Bové et la dérive notabiliaire et politique qui s'en est suivie.

L'anonymat des Sdlt me semble une excellente chose à préserver. C'est un point-clé de la maîtrise de l'image du mouvement. Mais cela va beaucoup plus loin : il s'agit bien de composer un collectif où chacun-e puisse trouver une juste place pour la satisfaction de tous-tes. Cette réflexion sur le pouvoir, sa répartition et sa circulation, est déterminante et doit rester constante.

En effet, la question de l'articulation entre action directe, répression et élargissement politique du mouvement passe par une réflexion collective et partagée qui prenne en compte le maximum d'éléments de la situation.

Et c'est ici que je constate la nécessité de poser autrement la question du débouché politique.

 

Désaccord stratégique

 

C'est ici que je pointe en effet un désaccord stratégique, qui s'appuie sur un bilan divergent des révolutions du passé, et sur l'importance accordée ou non à l'acquis que constitue l'existence d'un État de droit.

Non que je déprise, on l'a vu, la nécessité de l'action directe, y compris lorsqu'il lui arrive de rompre avec la légalité. Ni que je fétichise cet État de droit dont les possédants accaparent trop souvent les rouages et détournent le sens.

Il n'en demeure pas moins que l'horizon de la lutte ne saurait pour moi être "l'affaissement du consentement à la loi", ni "l'érosion d'une autorité gouvernementale illégitime" et "l'éruption d'une insubordination de masse." (p141)

Cet imaginaire anarchiste entre pour moi en contradiction avec les constats dressés sur de telles situations dans le passé. Celles-ci ont invariablement conduit à la montée des violences sociales et à des prises de pouvoir par les groupes les mieux organisés pour l'exercice de la violence.

C'est, tout au contraire, à une restauration du consentement à la loi, et à une re-légitimation de l'autorité gouvernementale que nos révoltes collectives doivent travailler.

Si l'urgence commande, en effet de "bloquer, désarmer ou occuper" (p 10) , donc d'outrepasser, ici ou là, les limites de l'ordre établi, ces coups d'arrêt à la catastrophe en cours ne peuvent être, les auteurs du livre en sont bien conscients, et le disent, que temporaires, localisés et symboliques.

Leur donner un prolongement efficace ne se peut , à mon sens , que par la conquête électorale d'une majorité et donc l'investissement des institutions de l'État de droit, et son respect.

Ce qui ne veut pas dire, loin de là, que cette perspective soit plus facile à concrétiser que celle de "l'insubordination de masse"...

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