Franck HARRIS La bombe

Publié le par Henri LOURDOU

Franck HARRIS La bombe
Franck HARRIS
La bombe
roman, traduit de l'anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel
1909, édition française 2015, la dernière goutte, 304 p.

 

 

Je découvre ce roman grâce à Anne-Yes .

Il a la particularité d'être très ancien, 1909, soit 23 ans après les faits décrits, américain, l'auteur Franck Harris l'a édité à New York, et de mettre en scène des personnages ayant réellement existé autour d'un événement historique majeur du mouvement ouvrier américain : l'attentat du Haymarket du 4 mai 1886 à Chicago et ses suites judiciaires.

 

Disons-le d'emblée, si le livre se laisse lire facilement et avec plaisir, ce n'est pas un ouvrage historiquement très crédible. Mes recherches postérieures à sa lecture m'en ont aisément convaincu.

 

Libertés avec l'Histoire

 

Outre que l'auteur présumé de l'attentat, et narrateur, Rudolph Schnaubelt, n'a jamais été clairement convaincu d'être le lanceur de la bombe qui tua ce jour-là sept policiers et en blessa 59 autres, son inspirateur unique postulé par le roman, Louis Lingg, n'était pas le seul à prôner la défense armée contre les attaques violentes de la police sur les manifestations ouvrières.

Si la réaction policière et judiciaire à cet attentat fut à l'évidence disproportionnée et injuste, et suscita dans le monde entier une juste indignation, cet attentat ne mit pas fin, comme le prétend le narrateur (et donc l'auteur) aux violences policières anti-ouvrières.

Voici ce qu'en dit l'historien Howard ZINN dans "Une histoire populaire des États-Unis" (1999, traduction française 2002 aux éditions Agone) : "La police répliqua en tirant sur la foule, faisant à son tour plusieurs morts et des centaines de blessés.

Sans même savoir qui avait lancé la bombe, la police arrêta huit responsables anarchistes de Chicago. (...) La loi de l'Iliinois déclarait en effet que toute personne appelant à commettre un meurtre était lui -même coupable de ce meurtre. Les preuves contre les huit anarchistes résidaient uniquement dans leurs opinions et leurs écrits. Aucun d'eux n'était présent au Haymarket ce soir-là, excepté Fielden, qui se trouvait à la tribune au moment de l'explosion. Le jury les déclara coupables et les condamna à mort. (...)

Un an après le procès, quatre des anarchistes condamnés – Albert Parsons (imprimeur), Auguste Spies (tapissier), Adolph Fisher et George Engel – furent pendus. Louis Lingg, un jeune charpentier de 21 ans, se suicida dans sa cellule en se faisant sauter avec un bâton de dynamite. Les trois autres restèrent en prison.

(...)

Si ces événements entraînèrent dans l'immédiat l'élimination du mouvement radical, ils entretinrent à plus long terme la colère de classe chez de nombreux individus et inspirèrent chez d'autres -particulièrement chez les jeunes de cette génération – le désir de rallier la cause révolutionnaire." (pp 314-315)

Les trois emprisonnés furent finalement graciés, grâce au puissant mouvement d'indignation qui parcourut le pays, et des cérémonies annuelles organisées à la mémoire des martyrs du Haymarket. C'est lors d'une d'entre elles, raconte Emma Goldman dans ses mémoires, (p 67-70) que celle-ci se lia intimement avec Alexandre Berkmann.

 

Reconstitution d'une ambiance

 

Si donc l'auteur repeint la réalité (en faisant par exemple des co-inculpés de Louis Lingg des modérés non-violents, ce qu'ils n'étaient pas, pour souligner son rôle unique et exclusif dans la préparation et l'exécution de l'attentat) , il n'en donne pas moins un tableau très crédible de la condition ouvrière d'alors à New York, où son narrateur débarque de sa Bavière natale, et à Chicago. Et particulièrement de la place spécifique des immigrés récents, particulièrement exploités et discriminés-stigmatisés. Ce n'est pas un hasard si sept des huit inculpés en sont et si c'est dans ce milieu que se recrutent très majoritairement les militants les plus radicaux.

 

Ceux-ci sont cependant minoritaires dans leur propre communauté comme l'établit par exemple Irving Howe à propos des Juifs new-yorkais d'Europe de l'Est ("Le monde de nos pères", 1976, traduction française de 1997, Michalon, pp 134-137).

 

L'ambiance xénophobe, pour ne pas dire raciste, à l'encontre de ces nouveaux immigrants est également bien rendue, et son association à une forme de conformisme social également. Le culte de la réussite matérielle et de l'individualisme qui structure la société étatsunienne s'accompagne d'une forme de pauvrophobie qui confine au racisme social, et qui accompagne le racisme ethnique de type colonial envers les Indiens et les Noirs, et le racisme religieux envers les Juifs.

Mais tout cela ne justifie pas l'espèce d'apologie de la violence qui constitue le propos du livre.

En cela celui-ci s'inscrit en fait dans l'idéologie dominante, bien analysée dans ses effets sociaux et politiques par le recueil d'articles du n° 69 d'"American History" publié en 1978 sous le titre "Riot, rout and tumult. Readings in American social and political violence", Greenwood press, 400 p edited by Roger LANE and John J. TURNER Jr.

C'est de la réactivation de cette violence que le phénomène trumpiste est significatif. Y céder serait une erreur.

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