Nicolas WERTH La route de la Kolyma

Publié le par Henri LOURDOU

Nicolas WERTH La route de la Kolyma
Nicolas WERTH
La route de la Kolyma
Belin, 2012, 194 p.
Réédité en poche par le même éditeur.

 

Ce livre est le récit d'un voyage de 3 semaines effectué du 13 août au 3 septembre 2011 en compagnie de deux responsables de l'association Memorial, Irina Flige et Oleg Nikolaiev , et de sa fille Elsa, "étudiante aux Beaux Arts, qui a tenu à venir avec l'idée de faire un film sur "les traces du Goulag"." (p 8) Il semble cependant, à lire sa notice wikipédia, que ce projet n'ait pas abouti.

Cela fait alors près de quarante que l'auteur "passe de plusieurs semaines à plusieurs mois par an en Russie". (p 5) Il est parfaitement russophone.

Sa fille elle a passé "durant sa prime enfance, plusieurs années" en Russie alors que son père travaillait "comme attaché culturel à l'ambassade de France" 'de 1985 à 1989, et "elle est restée attachée à ce pays où elle est retournée régulièrement." ( p8)

Bien qu'ayant exploré la Kolyma, ce confin de l'extrême-orient russe, "à travers les tombereaux d'archives de l'administration du Goulag (qu'il a) dépouillées depuis le début des années 1990", Nicolas WERTH n'était jamais allé jusque-là sur place.

Son idée est de "tenter d'approcher différemment ces lieux, partir à la recherche des traces laissées par le plus grand système concentrationnaire du XXe siècle". (p 5)

Il faut à présent préciser que ce sera la première, mais aussi la dernière fois qu'il pourra le faire. Car, depuis août 2018, il est interdit de séjour en Russie pour avoir soutenu publiquement deux collègues historiens de Memorial arrêtés arbitrairement, Youri Dmitiriev et Oïoub Titiev. Devenu depuis le président de Memorial France, il continue le combat pour la vérité historique.

 

Ce voyage est particulièrement révélateur de l'évolution de la société russe post-soviétique et de son rapport à la mémoire historique.

Cette plongée dans le quotidien et la relation directe avec les porteurs locaux de mémoire est d'une richesse captivante. Que ce soit la description des paysages, et notamment des paysages urbains, du mode de vie, ou la transcription des nombreuses entrevues effectuées, Werth nous apporte de précieuses informations pour tenter de comprendre les dynamiques de la société russe actuelle.

Ainsi, nous découvrons la troublante continuité des comportements des "officiels" enfermés dans un discours commémoratif figé et une obéissance automatique aux prescriptions du "Centre". Paradoxalement, ils ont moins le sens de l'initiative que les "pionniers" du Goulag, dont ils célèbrent par ailleurs l'oeuvre modernisatrice.

A côté de cela, la "société civile" (ou ce qui en tient lieu dans ces lieux en voie de désertification) est le seul point d'appui d'une mémoire authentique, mais qui peut passer par une forme de délire idéologique : on pense ici à ce chef d'entreprise local, entièrement possédé par une forme de "révélation religieuse orthodoxe", qui élève des croix dans les lieux de sépulture oubliés des différents campements du Goulag, après les avoir repérés, ce qui n'a rien d'évident vu leur abandon total.

Mais ce qui frappe avant tout, dans ce voyage, est l'état d'abandon par l'Etat de cette région, marquée par un exode continu depuis 1991. Et l'avancée, qui a dû se renforcer depuis, d'une présence chinoise basée sur le commerce.

Ainsi, la mémoire du Goulag, dans ce qui en fut un des hauts-lieux, raconté par deux écrivains majeurs, Varlam Chalamov et Evguénia Guinzbourg, n'est plus portée, en 2011, que par quelques personnalités auxquelles les autorités locales mettent de plus en plus des bâtons dans les roues. Ses traces matérielles disparaissent. Aussi leur recueil par les compagnons de voyage de Werth pour constituer, par la photo, un musée virtuel du Goulag, fut-il une entreprise particulièrement pertinente.

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