Ludmila OULITSKAIA Daniel Stein, interprète

Publié le par Henri LOURDOU

Ludmila OULITSKAIA Daniel Stein, interprète

Ludmila OULITSKAIA

Daniel Stein, interprète

2006, traduit du russe par Sophie BENECH

Gallimard, 2008, 528 p.

 

Je retrouve ce livre dans la bibliothèque de feu mon beau-père, à qui je l'avais offert pour Noël sur la foi d'une critique lue dans "Le Monde des Livres".

J'ai attendu assez longtemps pour lire OULITSKAIA, que j'ai finalement découverte avec "L'échelle de Jacob", récit romancé de la vie de ses grand-parents, finalement construit de façon assez semblable à celui-ci : par collage de vrais documents (lettres, enregistrements, papiers officiels) avec des documents inventés, mêlant vrais personnages à des personnages de fiction ou transférés dans des situations fictionnelles.

Ce patchwork savamment assemblé produit le même effet de "réel inaccessible et ambigu" au service d'idées simples. Car OULITSKAIA a de vraies convictions, et c'est ce qui m'attire en elle.

Elles sont résumées par la phrase, reprise dans la critique du "Monde" que je viens de relire : "Je sens au fond de mon âme qu'avec Daniel j'ai reçu une leçon essentielle, mais quand j'essaie de définir ce que j'ai appris de si crucial, tout se réduit au fait que ce en quoi l'on croit n'a absolument aucune importance, ce qui compte c'est la façon dont on se conduit." (pp 492-3).

Pour autant, le plaisir de la lire ne se réduit pas à cela.

Même si elle se lamente à l'occasion, dans ses lettres à son amie Eléna inclues à la fin de chaque partie, de ne pas être une vraie romancière, elle crée un monde de personnages très divers qui donne à voir les relations entre l'élimination du monde juif dans les "terres de sang" de l'Est européen par le génocide nazi, les persécutions religieuses de l'époque soviétique et la situation actuelle d'Israël, terre de confluences et de conflits qui ne se résume pas à l'entreprise coloniale sioniste.

Le personnage de Daniel Stein, résume bien ces confluences et ces conflits. Ce personnage central, autour duquel tournent tous les autres, a la particularité de ne pas être un personnage de fiction.

Il est né juif en Galicie polonaise en 1922, de parents de culture allemande, pour son père, et polonaise, pour sa mère, dans une famille modeste mais instruite, accordant beaucoup plus d'importance aux études laïques qu'à la religion, bien que pratiquante. A la maison on parlait le polonais et l'allemand, et non le yiddish. Cet écart culturel avec les stéréotypes entourant la vie juive de ce lieu et de cette époque explique sans doute beaucoup du parcours ultérieur de Daniel. Et notamment le double tournant de sa vie qu'a été sa survie en Biélorussie occupée par les nazis, puis sa conversion au catholicisme.

Il n'en demeure pas moins que dans sa jeunesse, il a été, comme son frère cadet, né en 1924, Avigdor, militant sioniste dans l'organisation Akiva (pp 39-47). Leur installation ultérieure à tous deux en Palestine n'a donc rien du hasard.

 

La question qui traverse tous ces témoignages sur les années 1939-1995 (année de la mort de Daniel) est celle de la coexistence de croyances et d'origines très diverses sur un même sol. Faut-il, comme l'a cru apparemment Daniel Stein, rechercher une forme de syncrétisme unissant toutes les religions du Livre et dépassant les massacres et les haines du passé (et du présent) ? La disparition finale de son esquisse d'Eglise jacobite est une réponse en forme d'échec. Cependant, les impasses du sectarisme et du repli sur soi sont bien décrites : elles débouchent sur des comportements humainement inacceptables. De ce point de vue, la vie de Daniel Stein, à défaut de son oeuvre, est un contre-exemple parfait. Elle valide en effet la phrase d'Oulitskaia citée plus haut. Et nous offre une bouffée d'espérance bienvenue.

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