2024 antifasciste

Publié le par Henri LOURDOU

2024 antifasciste
2024 antifasciste
2024 antifasciste
KOMETA n°1
Impérialisme
Automne 2023 , 208 p.
Timothy SNYDER
La route pour la servitude
Russie – Europe – Amérique
2018, traduction française de l’anglais (États-Unis) par Aude de SAINT-LOUP et Pierre-Emmanuel DAUZAT avec un avant-propos inédit du 3 mai 2023,
Gallimard, octobre 2023, 398 p.

 

 

Impérialisme russe

 

Ce nouveau « mook » (je préfère le terme de livre-revue) a pour rédactrice-en-chef (et co-fondatrice) Léna MAUGER, dont le nom évoque pour moi « XXI », la pionnière de ces livres-revues qui se sont multiplié depuis une dizaine d’années. Elle en fut la co-rédactrice en chef depuis 2017.

Selon le même concept de maquette soignée, de textes parfois longs mais surtout bien écrits, avec des signatures de qualité, d’illustrations recherchées (photos, infographies…) et de rubricage très réfléchi et rigoureux, ce nouveau venu creuse un seul sillon, annoncé d’abord par son titre : « Kometa » signifie comète en ukrainien, en russe, en tchèque, en macédonien, en tadjik, en tatar,et dans des dizaines d’autres langues » nous signale Léna MAUGER dans son adresse inaugurale aux lecteurs-trices, et une comète était considérée dans l’Antiquité comme « annonciatrice d’un événement » (p 3).

Il s’agit donc de voir, ce que précise le sous-titre de la revue « A l’Est, du nouveau », ce que les événements en cours peuvent nous révéler du monde qui vient dans cette aire géographique trop longtemps négligée en France correspondant à l’ex-URSS .

Ce premier numéro est centré sur un mot lui aussi trop souvent non-associé à ce monde-là, tant il était entendu que l’impérialisme ne pouvait être associé qu’aux USA .

Nous découvrons enfin, avec l’agression « à grande échelle » (expression employée par les Ukrainiens pour rappeler que cette agression a commencé dès février 2014) de la Russie poutinienne la réalité d’un impérialisme russe pluri-séculaire, dont l’URSS ne fut qu’un avatar.

Tous les textes et illustrations de ce numéro multiplient les angles pour appréhender cette réalité.

S’il est bien sûr question de la guerre qui se mène en Ukraine et de ses répercussion régionales, il est aussi question de ce qui l’a permise et de sa place dans le désordre actuel du monde. L’interview d’Achille MBEMBE offre à ce dernier égard un utile décentrement.

Car il doit être clair pour chacune et chacun d’entre nous que ce qui se joue en Ukraine aujourd’hui n’est qu’un moment d’une tragédie mondiale où s’entrechoquent différents enjeux : la catastrophe climatique et écologique en cours, l’héritage de cinq siècles d’impérialisme européen, les projets impérialistes russe et chinois, sur fond de globalisation et de multilatéralisme inachevé.

 

Nouveau fascisme international

 

Le livre de SNYDER, méditation d’historien engagé sur les années 2010-2018, constitue un utile complément à ce numéro, car il interroge notre responsabilité collective et nos marges d’action dans la crise générale des démocraties occidentales.

Il permet en particulier d’y voir un peu plus clair sur les acteurs en présence et leurs motivations.

A cet égard, la vision qu’ils ont de l’Histoire est importante.

Il n’est pas indifférent que POUTINE puise la sienne chez un idéologue fasciste-chrétien comme Ivan ILYINE, et chez des théoriciens néo-nazis de l’Eurasisme, regroupés dans le club d’Izborsk.

Il n’est pas non plus indifférent que l’Union européenne soit fondée non sur le bilan des deux guerres mondiales, la réconciliation franco-allemande et la paix par les échanges économiques, comme le prétend son discours officiel, lui-même fondé sur les prétentions de Jean Monnet, mais en réalité sur l’échec final de la colonisation et le renoncement aux prétentions impériales de ses principaux États (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne, Portugal...avec un bémol sur le Royaume Uni, dont le Brexit est très largement fondé sur la nostalgie impériale).

Il a en effet découlé de ce faux discours sur elle-même une longue cécité face aux projets et aux actes de POUTINE et de XI Jinping. Les dirigeants européens ont trop longtemps cru, et certains comme MACRON continuent hélas de croire, que les échanges économiques ont une vertu pacificatrice, et que POUTINE et XI sont incapables de résister à l’appel de leurs intérêts matériels. Cela alors qu’ils sont mus en réalité par leur idéologie nationaliste et impériale.

Un autre aspect saisissant du livre est l’analyse serrée de la victoire de TRUMP aux présidentielles américaines de 2016, et de la convergence qu’elle révèle de la politique américaine avec la politique russe à travers ce que SNYDER baptise « politique d’éternité ». Une politique basée sur la guerre éternelle contre des ennemis diabolisés et une définition identitaire de la communauté politique, conçue hors du temps comme une perfection innocente constamment menacée d’agression. Cette politique suppose de s’affranchir des faits et du critère de vérité, ce que favorise la cyberguerre élaborée par Moscou, et reprise par les extrêmes-droites européenne et américaine.

 

Face au fascisme nouveau, un nouvel internationalisme

 

La paix par les échanges économiques est une dangereuse illusion.

Si nous voulons la paix, nous ne pourrons l’obtenir que par le respect du Droit et par l’intégration politique d’États égaux en droits. La démocratie et l’État de droit mondiaux sont la solution.

Et pour cela, il faudra défaire, y compris militairement, toutes les prétentions impériales.

Notre avenir commun passe par l’Ukraine, la Palestine-Israël, le Myanmar, le Tibet, le Xinjiang, Taïwan, le Kurdistan, le Sahara occidental, le Kivu, l’Amazonie, le Cachemire… Partout ou des États impériaux tentent d’écraser les peuples.

L’UE, par son renoncement à toute entreprise impériale a un rôle fondamental à jouer dans cet avenir. Celui-ci passe par la reconnaissance de son rôle passé de puissance coloniale et le paiement de toutes les dettes qui lui sont liées. Et, au-delà, par la promotion de l’intégration politique des États par le Droit, et par celle d’un multilatéralisme démocratique, abandonnant la notion de Grande puissance et donc le droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.

Quant aux USA, on mesure tout l’enjeu que représente l’élection présidentielle de 2024 : celui d’un abandon effectif de la nostalgie impériale et d’une entrée assumée dans la démocratie mondiale en gestation. Le conflit Israël-Hamas y contribuera-t-il ? Cela suppose un arrêt du soutien inconditionnel au gouvernement Nétanyaou qui fait le jeu du Kremlin en validant son discours sur le « deux poids, deux mesures » occidental , et une remise dans le jeu de l’ONU et de ses décisions.

 

Face au fascisme nouveau, une nouvelle défense de la démocratie

 

L’accès direct et spontané à la vérité par l’Internet est une dangereuse illusion. La recherche de la vérité a besoin de scientifiques, d’historiens et de journalistes qui font leur travail . Elle a besoin de l’esprit critique des lecteurs et usagers de l’Internet face aux campagnes de désinformation malveillantes venues de l’extrême-droite et de ses parrains russes et chinois.

Pour défendre aujourd’hui la démocratie, il faut donc veiller à l’exactitude des faits multi-commentés sur les réseaux sociaux, et éviter de mêler son commentaire hâtif à celui des autres sans avoir d’abord vérifié cela.

La création de courants d’opinion basés sur des fake news est le moyen privilégié par le fascisme nouveau pour avancer ses pions en clivant les positions et en semant le doute sur les faits réels.

 

La remise en cause des lois et des institutions pour cause de désaccord est aussi le terrain glissant sur lequel grandit le fascisme nouveau. L’ État de droit est inséparable de la démocratie : critiquer une loi ne peut donc se faire qu’en se fondant sur lui, c’est-à-dire sur les principes juridiques qui doivent fonder les lois, et non sur un état supposé (ou même réel) de l’opinion du peuple.

 

Dans sa conclusion, SNYDER met en relation divers éléments qui produisent les vertus nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie : égalité, individualité, succession, intégration, nouveauté et vérité, qui se renforcent mutuellement dans un écosystème démocratique. Ces éléments reposent sur des institutions dont nous devons jalousement préserver l’intégrité.

 

Notre pouvoir d’agir

 

Notre premier pouvoir d’agir est le vote. Le fascisme nouveau souhaite au contraire nous persuader que notre vote ne sert à rien : en mettant un signe d’équivalence sur tous les politiciens pris en bloc, ou en mettant en scène sa propre victoire comme une fatalité.

Nous devons utiliser notre bulletin de vote comme une arme antifasciste.

Cela bien sûr n’est pas suffisant, mais c’est absolument nécessaire.

Nos autres pouvoirs d’agir sont bien entendu un usage raisonné et critique de l’Internet, mais aussi nos engagements associatifs, syndicaux et politiques, plus que jamais indispensables.

 

Que 2024 soit une année de contre-offensive antifasciste mondiale !

 

 

 

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