FANG FANG Wuhan ville close

Publié le par Henri LOURDOU

FANG FANG Wuhan ville close

FANG FANG

Wuhan ville close

journal traduit du chinois par Frédéric DALLEAS et Geneviève IMBOT-BICHET.

2020, Harper Collins Poche, mars 2021, 444 p .

 

 

Née en 1955, citoyenne de la grande ville de Wuhan, 14 millions d’habitants, qui fut l’épicentre de la pandémie de Covid 19, écrivaine professionnelle reconnue et retraitée, FANG FANG a vécu de l’intérieur l’essor de l’épidémie puis le long et tardif (on y reviendra) confinement de la ville .

Son journal commence le 25 janvier 2020 avec la mise en confinement officiel de la ville et s’achève le 24 mars, alors qu’au bout de 62 jours le confinement n’est pas encore levé. Il ne le sera, comme elle le précise dans sa préface, que le 8 avril.

Dans celle-ci, datée du 13 avril, elle rappelle quelques éléments, précieux, de chronologie. Et notamment celui-ci : ce n’est qu’après la 3e mission d’experts venue se pencher sur une « épidémie de pneumonie d’origine inconnue » que « l’épidémiologiste chinois ZHONG Nemshan a révélé au grand jour que le nouveau coronavirus de Wuhan était transmissible d’humain à humain et que quatorze soignants avaient été contaminés » (p 10). Or, précise-t-elle, « ces informations étaient aux antipodes de ce qu’on nous avait dit et montré jusqu’alors » (ibid.).

Elle poursuit en disant qu’elle a « été d’abord stupéfiée, puis la colère (l’)a envahie. » (ibid.)

Cette colère ne l’a pas quittée.

Et si elle n’occupe pas le premier plan de ce journal, fait de notations quotidiennes sur le vécu du confinement, la chasse aux informations fiables (elle s’appuie constamment sur les données d’amis médecins) et l’hommage au grand élan de solidarité et au sang-froid des habitants de Wuhan qui ont permis de le supporter, elle revient à intervalle régulier sur les plus de 20 jours perdus par des responsables qui ont, avec les deux premiers groupes d’experts, leurs complices, nié la réalité de l’épidémie, et sur la presse qui a relayé leur déni. Et sur les conséquences catastrophiques de ce déni : une pandémie devenue mondiale et hors de contrôle. Ceci alors que le précédent du Sras de 2003, épidémie à coronavirus destructrice, aurait dû les mettre en alerte.

Elle demande donc, inlassablement, qu’ils rendent des comptes et qu’a minima ils commencent par démissionner de leurs responsabilités.

Sur ce point du moins, elle sera partiellement entendue puisque le 12 février les deux secrétaires du Parti unique de Wuhan et de sa province du Hubei sont remplacés (p 23).

 

Ce franc-parler explique la popularité et la grande diffusion de son journal, malgré les rapides tentatives de censure, sur le réseau Wechat de la plateforme Weibo. En effet son compte est régulièrement suspendu sans explication, mais elle contourne cela grâce à des comptes amis qui relaient son billet quotidien.

Elle feint de s’étonner et dit ne pas comprendre cette popularité.

Cette fausse naïveté est son arme principale face à la censure et aux attaques en ligne dont elle fait parallèlement l’objet. Ses posts sont régulièrement supprimés : le 29 janvier, elle signale qu’« avant-hier mon billet a été bloqué. Mais il est resté ligne plus longtemps que je ne l’aurais imaginé et a été republié de façon inattendue par un grand nombre de personnes. » (p 45)

Il était intitulé : « Nous n’avons plus de masques » et elle y concluait que, à son avis, « ce n’est qu’une question d’approvisionnement, pas de rupture de stock. » (p 36)

En même temps commence à se déployer une campagne de dénigrement à son encontre.

 

Mais rien de tout cela ne semble l’impressionner.

Elle a connu l’époque de la Révolution culturelle dans son adolescence, puis la chute de la Bande des Quatre alors qu’elle avait 21 ans et la période exaltante d’ouverture qui l’a suivie jusqu’en 1989 et la répression du mouvement de Tiananmen. Elle sait donc à quoi s’en tenir sur les limites de la liberté d’expression dans ce régime. Elle ne franchit donc jamais la ligne rouge d’une critique explicite du monopartisme.

Elle demande juste que certains responsables incompétents et méprisant les intérêts du peuple soient remplacés. Et elle a pour cela quelques bons arguments.

Son indépendance d’esprit est clairement revendiquée dans ce passage, pour moi le plus émouvant, de son journal, son billet du 18 mars, où elle répond aux attaques d’un lycéen de 16 ans qui lui a adressé une « lettre ouverte » très commentée sur les réseaux sociaux. Elle choisit de s’adresser à lui en évoquant sa propre jeunesse et la façon dont elle a, très progressivement, appris à penser par elle-même (pp 380-4) sous le titre : « A cette époque-là nous étions comme vous aujourd’hui ».

Ce faisant, elle laisse clairement entendre que l’époque actuelle est un retour, ou plutôt une tentative de retour à l’ère révolue de la Révolution culturelle.

Cette radicalisation de son propos se confirme à la fin de son journal alors que les attaques contre elle se multiplient. Elle les cible clairement comme venant de ceux qu’elle appelle les « ultranationalistes » et met en garde contre leur influence croissante car ils « conduisent le peuple et le pays au désastre » (434).

 

Cette ouverture d’esprit et ce franc-parler plaisent au-delà des frontières. Et c’est ainsi que ce journal est très rapidement publié et traduit dans 20 pays.

Et c’est en effet un document très éclairant sur cet épisode avant-coureur de la pandémie mondiale. Il nous montre en effet indubitablement qu’en l’absence de vaccin le confinement était bien la seule solution pour ralentir la diffusion du virus et empêcher l’effondrement du système de santé.

Même si certains sont aujourd’hui portés à le nier, cette leçon ne doit pas être oubliée. Car, dans notre monde globalisé et en crise écologique, d’autres pandémies viendront.

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