Antisionisme et antisémitisme : une clarté nécessaire

Antisionisme et antisémitisme : une clarté nécessaire

Shlomo SAND

Comment j’ai cessé d’être juif

Un regard israélien.

2013, traduit de l’hébreu par Michel BILIS

Réédition poche 2015, 142 p.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de l’entreprise de déconstruction du nationalisme ethniciste menée par Shlomo SAND.

Dans ce nouvel ouvrage, qui a tout de même dix ans, il approfondit sa critique d’une façon qui éclaire grandement les réactions aux massacres récents en Israël et à Gaza.

En particulier lorsqu’il analyse les mutations récentes du sionisme qui ont transformé Israël d’État juif en État des juifs, signant ainsi une volonté de s’appuyer sur une « identité « ethnique » supranationale » à travers un renforcement, depuis les années 1980 de lois de la citoyenneté et d’une éducation identitaire dans le sens d’un judéocentrisme à base religieuse.

Ce qui est en cause, SAND en débat largement, est la définition d’une judéité fantasmée qui ne s’appuie, en réalité, que sur un seul critère : celui d’une ascendance maternelle censée garantir une « essence juive » complètement déconnectée de toute réalité sociale… et donner des droits privilégiés sur un territoire.

Que cet « hermétisme tribal » soit associé à une entreprise de colonisation et d’expulsion n’est donc pas le fruit du hasard.

Et c’est le déni de cette réalité qui amène Shlomo SAND à se dissocier de cette identité largement fictive.

Il lui préfère son « israélité », qu’il partage avec tous les habitants non-juifs d’Israël. Il y a là, selon lui, un « potentiel politique républicain », mais, pour le concrétiser « il aurait fallu depuis longtemps renoncer à l’hermétisme tribal, apprendre à respecter l’autre, l’accueillir en égal, et rendre compatibles les lois constitutionnelles d’Israël avec les principes démocratiques » (p 136).

Que les démocrates israéliens comme lui détiennent les véritables clés de l’avenir d’Israël ne fait pour moi aucun doute. L’impasse sanglante du colonialisme sioniste est un fait dont la radicalisation réciproque du Hamas et du gouvernement israélien actuel ne constitue qu’une illustration de plus.

Pour stopper cette folie collective, il convient d’avoir les idées claires. Merci à Shlomo SAND de les avoir formulées.

Avoir les idées claires aussi sur l'antisémitisme

J'ai hésité à mettre en ligne cet article dans le contexte de guerre actuel à Gaza, tant les passions tristes se sont échauffées. Je craignais en effet son instrumentalisation par les antisémites qui sortent de leur réserve.

Il faut en effet rester vigilant face à un antisémitisme qui avance aujourd'hui masqué en raison de sa disqualification sociale.

Heureusement de nombreux articles intelligents dans la presse démontent et dénoncent ce renouveau antisémite.

Mais il n'est jamais inutile d'y revenir, tant la confusion dans les esprits est grande.

Ainsi, tout récemment, une association tarbaise, dont j'ai maintes fois dénoncé les orientations complotiste et antisémite, a appelé à un « RASSEMBLEMENT POUR LA PAIX» (début du titre de son tract...aussitôt suivi de « STOP GENOCIDE » et de « #FREEPALESTINE »). J'ai eu la triste surprise de constater que son appel était relayé sur Facebook par un ancien militant du NPA, dont je sais qu'il n'a rien d'un antisémite convaincu...

Il n'avait pas lu assez attentivement cet appel, pourtant parsemé d'allusions clairement antisémites ». La première étant celle de l'utilisation ici du mot « génocide » destiné à effacer l'autre génocide, ayant réellement eu lieu lui, celui des Juifs d'Europe par les nazis.

Cette association, qui se présente comme une association de « défense des droits de l'homme », est née du mouvement des Gilets jaunes et a continué son action sur le terrain antivax et anticonfinement lors du Covid, puis pro-Poutine au moment de la tentative d'invasion générale de l'Ukraine. Son narratif général et obsessionnel, qui revient toujours en fin de tract, est celui du complot (juif : mais cela n'est jamais explicité, car cela tomberait sous le coup de la loi Gayssot) pour « installer un Nouvel Ordre Mondial unipolaire sous l'égide du Forum Economique Mondial où l'ensemble de la population mondiale serait enfermée dans un esclavage numérique ».

A côté de ces antisémites convaincus, il convient aussi de dénoncer ceux qui, par l'ambiguïté de leur propos, alimentent ou légitiment les représentations antisémites.

C'est très clairement le cas de Jean-Luc Mélenchon et de certains dirigeants de LFI . Leurs cris d'orfraie et leurs appels à serrer les rangs autour d'eux ne doivent pas nous abuser : il y a bien ambiguïté coupable lorsque JL Mélenchon écrit à propos de la visite de Yaël Braun-Pivet en Israël  et en réaction à la manif propalestinienne du 22-10 à Paris : « Voici la France. Pendant ce temps Mme Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! » Car, ce faisant, il insinue à deux reprises que Braun-Pivet, en tant que juive, ne serait pas une « vraie française » . Propos inacceptable.

Que la posture de défense inconditionnelle du gouvernement d'Israël soit critiquable est une chose. Qu'elle soit favorisée par cette nouvelle politique de la citoyenneté en Israël dénoncée par Shlomo SAND et faisant de toute personne dans le monde un citoyen israélien virtuel à partir du moment où elle est née d'une mère reconnue juive par les autorités religieuses, également. Il n'en découle pas pour autant que nous devions, comme le souligne Shlomo SAND, prendre tout cela pour argent comptant.

Et encore moins que nous nous sentions autorisés à insinuer que ces gens-là n'auraient plus leur place dans la communauté nationale de leur pays de résidence !

Il est temps que nos camarades Insoumis balayent devant leur porte et que tous les partis de gauche mettent à l'ordre du jour la nécessaire vigilance antiraciste tous azimuths. Ce wokisme-là, je le revendique !

Post Scriptum 8-12-23 : Une excellente mise au point de Sandrine ROUSSEAU dans Le Monde du 7-12.