Régularisations : réduire la fracture de la gauche

Publié le par Henri LOURDOU

Régularisations : réduire la fracture de la gauche
Régularisations : réduire la fracture de la gauche
Pour une Charte d'Amiens de l'accueil.

 

 

Dans le débat sur la question migratoire, l'article 3 du projet de loi Darmanin semble, selon l'analyse du "Monde" reproduite ci-dessus, "fracturer la gauche".

Or, cette "fracture" n'a selon moi pas lieu d'être si l'on prend un peu de recul et de hauteur.

 

La Charte d'Amiens (1906) : un exemple historique de synthèse réussie.

 

Connaissez-vous la "Charte d'Amiens" ? Ce texte de 1906 a réussi à réconcilier au sein du mouvement syndical français pendant près d'un siècle deux postures qui semblaient a priori incompatibles : celle des réformistes et celle des révolutionnaires.

Adopté lors du congrès de la CGT tenu à Amiens, ce texte mettait en avant les deux tâches du syndicalisme :

"Dans l'oeuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation des salaires, etc.

Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'oeuvre du syndicalisme; il prépare l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste."

 

Cette mise en avant des deux tâches a permis de réunir au sein du mouvement syndical réformistes et révolutionnaires. Encore aujourd'hui, elle permet de réaliser l'unité d'action indispensable à l'établissement d'un rapport de force malgré la polarisation depuis quelques décennies entre "réformistes" et "contestataires" (puisque la révolution a décidément pris sérieusement du plomb dans l'aile suite au bilan des expériences historiques désastreuses du XXe siècle).

Il reste que la perspective d'émancipation intégrale reste un horizon désirable, même si ses voies d'accès demandent à être réexplorées.

Aussi cette double tâche reste-t-elle d'actualité.

 

La question d'une politique d'accueil émancipatrice et de ses avancées.

 

Dans le débat qui s'amorce sur la façon d'affronter le projet de loi Darmanin, on retrouve le même dilemme que doit affronter le mouvement syndical depuis qu'il existe : "réalisation d'améliorations immédiates" ou "émancipation intégrale" ?

Notre objectif est clair : il s'agit d'assurer l'égalité des droits à travers un accueil inconditionnel qui garantisse le droit à la mobilité proclamé par la Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948, article 13. C'est l'équivalent de l'émancipation intégrale de la Charte d'Amiens.

Le projet de loi Darmanin, qui s'oppose fondamentalement à cette perspective, comporte cependant une petite "amélioration immédiate" qui serait la régularisation des travailleurs sans papiers dans les "métiers en tension". Cette petite amélioration est combattue frontalement par la Droite et l'Extrême-droite, et elle divise la majorité, prise entre la volonté de faire passer son texte à tout prix et celle de paraître équilibrer exclusion et inclusion. Faut-il donc exploiter cette division pour faire passer cette petite amélioration ou combattre globalement le texte en ne mettant en avant que notre volonté "d'émancipation intégrale" ?

Ne serait-il donc pas possible d'affirmer cette volonté tout en prenant la petite amélioration à notre portée ?

Et éviter une fracture porteuse de défaite sur toute la ligne ?

Il serait donc utile et nécessaire d'écrire notre "Charte d'Amiens de l'accueil" qui dirait que toute amélioration immédiate de la situation des exilé-es est bonne à prendre, tout en travaillant à une politique d'accueil et d'hospitalité globale basée sur l'égalité des droits.

Cela étant, le texte de Darmanin doit être amendé pour être acceptable comme le montre l'analyse ci-après de La Cimade :

ACTUELLEMENT

À l’heure actuelle, seule une circulaire (dite la circulaire Valls) permet de régulariser des travailleuses et travailleurs sans-papiers. Pour cela il leur faut prouver avoir travaillé 8 à 30 mois (sans en avoir eu le droit!) et être en France depuis 3 à 7 ans. C’est valable pour tous les métiers mais comme il s’agit d’une simple circulaire, la régularisation n’est pas systématique, elle dépend du bon vouloir des préfectures.

QUE PROPOSE LE PROJET DE LOI ASILE ET IMMIGRATION ?

Le projet de loi prévoit la création, à titre expérimental, d’une carte de séjour temporaire mention «travail dans les métiers en tension». La régularisation des travailleuses et travailleurs concerné∙e∙s et résident∙e∙s en France depuis au moins 3 mois, deviendrait alors de plein droit et non plus arbitraire, ce qui constituerait un progrès. Mais elle serait limitée aux seules personnes exerçant des métiers considérés comme «en tension», ce qui serait plus restrictif. D’autant que, comble de l’ironie, certains des secteurs qui embauchent massivement les personnes sans-papiers (bâtiment, restauration, ménage, aides à la personne…) ne sont pas considérés comme en tension puisque leur besoin est comblé par… le recours aux personnes sans-papiers!

ANALYSE DE LA CIMADE

Non seulement la liste des «métiers en tension» ne reflète pas les réalités de terrain mais l’accès à ce nouveau titre de séjour qui demande de justifier d’au moins 8 mois d’exercice du métier en question semble difficile sans la collaboration de l’employeur ou employeuse. Or à cet égard la loi aura certainement un effet dissuasif car elle renforce par ailleurs les sanctions envers celles et ceux qui emploient des personnes sans-papiers. Les travailleuses et travailleurs qui resteront sans-papiers resteront donc privé∙e∙s d’égalité salariale, de congés, d’arrêts maladie, de droit à la retraite et soumis∙e∙s à des conditions de travail plus pénibles. Enfin le projet de loi ne comporte aucune autre mesure favorisant l’accès à un titre de séjour.

DANS LA VRAIE VIE

Kenan S est peintre pour une grande société de BTP. Il est sans-papiers, comme nombre de ses collègues. Mais la régularisation par le travail leur est inaccessible: leur patron a toujours refusé de les soutenir dans une démarche vis-à-vis de la préfecture, n’hésitant pas à licencier les plus insistants. Le nouveau dispositif prévu dans le projet de loi ne leur permettrait pas davantage de tenter une demande de régularisation : leur métier n’est pas considéré comme en tension. Kenan et ses collègues seront donc contraint·e·s de continuer à travailler sans-papiers pour un patron qui ne respecte pas leurs droits de salarié·e·s.

📢 Dans ce contexte, La Cimade demande des mesures législatives permettant la régularisation large et durable de toutes les personnes sans-papiers résidant en France, afin de respecter leurs droits fondamentaux et de construire l’égalité des droits.

Publié dans Immigration, politique

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