Israël-Palestine : sortir du cycle du malheur

Publié le par Henri LOURDOU

Israël-Palestine : sortir du cycle du malheur
Israël-Palestine : sortir du cycle du malheur
Israël-Palestine :
Sortir du cycle du malheur.

 

Comme beaucoup de gens, je suis paralysé par le spectacle d'une impasse historique qui se perpétue et se renforce.

J'ai donc pratiquement évité jusqu'à présent d'écrire sur une situation qui semble insoluble.

 

J'ai pourtant beaucoup lu et médité sur cette situation. Une lecture très ancienne (1970) m'avait particulièrement marqué : le livre d'Uri AVNERY "Israël sans sionisme" (Seuil, 1969), dont je note que le titre est absent dans sa notice wikipédia et déclaré indisponible sur toutes les plateformes d'achat en ligne...

Il pointait (déjà) la nécessité pour Israël, Etat pour lequel il avait combattu en 1948, de sortir d'une idéologie nationaliste-ethniciste et de poser comme base l'égalité de droits de tous ses habitants. Décédé en 2018 à 94 ans, il a eu une carrière de journaliste, d'homme politique marginal et persécuté et d'activiste de la paix : voir son site http://uriavnery.com/en/

et sa notice wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Uri_Avnery

 

 

Sollicité ces derniers jours par des amis sur la nouvelle situation provoquée par l'offensive terroriste du Hamas, j'ai essayé de répondre comme j'ai pu.

Tous ces amis avaient comme moi une claire conviction que la stratégie du Hamas est indéfendable, mais que la situation des Palestiniens n'est pas pour autant acceptable.

Mais ils s'interrogeaient, et m'interrogeaient : "Comment a-t-on pu en arriver là ?"

 

Guerre à outrance à Gaza : comment a-t-on pu en arriver là ?

 

Comme pour bien des situations de conflit, une bonne connaissance historique est nécessaire avant de porter tout jugement.

Il faut donc remonter aux conditions de la naissance de l'Etat d'Israël.

La biographie d'Uri Avnery en porte à sa façon témoignage.

Il faisait partie de cette génération juive née en Europe au début du XXe siècle et ayant fui les persécutions nazies dans les années 30. A l'époque, la Palestine est pratiquement la seule possibilité d'exil en raison de la fermeture des frontières étatsuniennes et américaines en général.

Mais cette possibilité est entravée à partir de 1939 par la politique du mandataire britannique (désigné en 1920 par la Société Des Nations pour administrer ce territoire issu du démembrement de l'Empire ottoman en 1918) qui ferme alors les frontières suite aux révoltes des habitants palestiniens contre cette arrivée massive d'immigrants européens faisant pression sur le prix des terres. Alors que le nombre d'habitants arabes de Palestine en 1922 est évalué à 600 000, celui de la population juive est de 84 000. Entre 1929 et 1939 la Palestine accueille 250 000 immigrants juifs, dont 25% venant, comme la famille d'Uri Avnery, d'Allemagne. (Chiffres tirés de "Israël-Palestine, Librio , 2002)

Cette fermeture des frontières, dans un contexte qui devient génocidaire entre 1941 et 1945, provoque une véritable guerre entre la puissance mandataire britannique et le mouvement sioniste, en particulier dans sa branche la plus radicale d'extrême-droite, l'Irgoun, à laquelle Avnery a appartenu de 1937 (à 14 ans) jusqu'en 1941 : il s'en dissocie alors en raison de son orientation anti-arabe et anti-sociale nous dit sa notice wikipédia.

La tension est à son comble après 1945. De nombreux survivants de la Shoah cherchent à rejoindre Israël. Ils sont, comble de l'abomination, parqués dans des camps à Chypre.

Cette situation de violence insoutenable et d'abandon de la part du reste du monde doit être rappelée pour comprendre la suite. Car elle a nourri ce sentiment du "nous tous contre le reste du monde" qui alimente le nationalisme ethniciste juif.

Une forme de cynisme politique à base de refoulement de tout affect d'empathie envers les Palestiniens se met en place.

 

Un déni de réalité

 

Ce refus d'empathie repose également sur un déni de réalité pointé par l'historien Pierre Vidal-Naquet lors d'une de ses visites en Israël. Dans un texte de 1975 intitulé "Israël-Palestine : la frontière invisible", il commence par constater : "Je reviens d'Israël. J'y ai rencontré des contestataires, beaucoup de contestataires. Je n'y ai pas vu de réelle contestation." ("les Juifs, la mémoire et le présent", Petite Collection Maspéro n°246, 1981, p 176).

Et il explique ainsi ce paradoxe : la société israélienne "telle qu'elle est" est "idéologiquement trop intégrée, trop unidimensionnelle (...) pour pouvoir être ébranlée à partir de l'intérieur."(ibid.)

Il pose donc la question : "A quoi est due cette résistance profonde à tout changement ?

A ce qu'il faut bien appeler le refus israélien de la dimension historique. Reconnaître celle-ci serait admettre que les Israéliens sont ici non en vertu d'une essence juive de la Palestine mais par suite d'une série d'accidents de l'histoire. Alors, et alors seulement, les Palestiniens pourraient apparaître comme des partenaires normaux. La politique du mouvement sioniste a consisté jusqu'à présent à faire comme si les Arabes n'avaient jamais été présents." (ibid.)

 

Approfondissant ce point, Vidal-Naquet concède : "ce comportement est classique dans les nationalismes. Les Turcs et les Arabes "assimilent" les régions kurdes. Les Grecs ont mis autant d'ardeur à helléniser les villages albanais ou macédoniens que les Israéliens en ont mis à judaïser les villes et les villages arabes." (p 177)

Mais il y a une différence, décisive : "les Grecs hellénisent aussi les hommes . Un fils d'Albanais, de Macédonien, voire de Turc, peut avoir le destin normal d'un Grec. Les Israéliens n'israélisent, si je puis dire, que les Juifs." (p 177)

il en découle une situation que l'on ne peut qualifier que de coloniale. Reposant sur une inégalité des droits entre habitants d'un même territoire. Et une absence de reconnaissance du fait national palestinien qui empêche toute perspective de négociation.

Même si de nombreux événements sont advenus depuis 1975, où ce texte a été écrit, et 1981 où il a été édité, nous en sommes aujourd'hui revenus à ce point. La différence étant que l'intransigeance israélienne, et la pratique constante du fait accompli dans la poursuite de la colonisation, a nourri côté palestinien un tel désespoir et un tel ressentiment que les partisans d'une solution négociée, un temps majoritaires, y sont redevenus minoritaires.

 

Le cercle vicieux infernal du fait colonial

 

On peut le résumer me semble-t-il de la façon suivante. Le colonialisme engendre chez les colonisés humiliation et désespoir. Ceux-ci engendrent à leur tour haine et violence aveugle. Et cette haine et cette violence aveugle alimentent le racisme chez les colonisateurs.

Dès lors, l'affrontement violent devient sans limites : c'est ce que nous voyons en ce moment, où les deux protagonistes s'affranchissent tous deux de toute règle de droit.

La juriste de Médecins Sans Frontières, Françoise Bouchet-Saulnier, spécialiste du droit humanitaire, le relève ainsi dans "Le Monde" daté 11-10-23 (p 6) : lorsque le ministre de la Défense israélien, Yoav Galant, ordonne le "siège complet" de Gaza en ces termes : "Pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant, nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence", sans même relever l'outrance raciste du propos animalisant des êtres humains, il entre en contradiction flagrante avec "le droit de la guerre" qui stipule que "lorsque l'on place une zone en état de siège, on doit autoriser le ravitaillement destiné à la population civile (...) et notamment sur le plan médical et alimentaire."

Le fait qu' "Israël repasse en situation non pas d'agresseur mais de légitime défense pour sa sécurité" fait bien partie "des droits fondamentaux des Etats reconnus par la Charte des Nations unies", mais cela n'autorise pas tout.

Inversement, la prise de civils en otages par le Hamas "est un crime, cela fait partie des infractions graves aux conventions de Genève". Par ailleurs, "s'agissant des membres des forces armées israéliennes, ils devraient être traités comme des prisonniers de guerre, pas comme des otages."

Quant à la qualification de "terroristes", "il n'y a pas de définition des terroristes dans le droit des conflits. Mais celui-ci interdit le recours à des méthodes dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population".

Cependant, l'usage du mot pour qualifier l'adversaire "revient à dire qu'on ne discutera pas avec lui et que la seule chose qu'il mérite est d'être tué."

Cela exclut toute voie judiciaire, et donc toute règle de droit dans le règlement du conflit. Seule la voie de l'extermination réciproque reste ouverte.

 

Cette présence exclusive de la violence dans la relation avait bien été analysée par Frantz Fanon dans la guerre d'Algérie : il en concluait que la seule voie de sortie était de politiser la violence. Seule la conscience politique des enjeux par les différents acteurs pouvait, selon lui, permettre de sortir de cette impasse d'une violence en miroir.

 

Pour sortir de la violence en miroir, sortir de la relation coloniale

 

Pour cela, l'intervention d'un tiers est indispensable. Ce tiers est la communauté internationale soutenue par ses règles de droit.

L'Onu, et, en son sein les membres du Conseil de Sécurité ont une responsabilité écrasante. Particulièrement les Etats-Unis qui ont exercé 53 fois leur droit de veto pour empêcher la condamnation d'une violation du droit international par Israël ! Un record, dont même la Chine et la Russie, autres obstructeurs majeurs à l'application du droit international, sont encore loin.

Il est indispensable que cela change. Pour cela, une initiative de la France serait bienvenue, comme le rappelle opportunément François Ruffin dans "Le Monde" daté 12-10-23.

 

 

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