Covid 19 : déconfinement, centralisme français et délires complotistes

Publié le par Henri LOURDOU

Covid 19 : déconfinement, centralisme français

et délires complotistes.

 

Il s'avère que déconfiner va être beaucoup plus délicat que confiner. Et c'est notamment le résultat de notre centralisme bien français. Du coup les délires complotistes se déchaînent...

Comme le remarque Jean QUATREMER :

"Le confinement est un piège politique

Manifestement, personne n’a réalisé qu’il risquait d’être très difficile de sortir sans dommage politique du confinement une fois décidé, une partie de l’opinion publique risquant de s’autopersuader au fil des jours qu’il s’agit en fait d’éradiquer la maladie. Si la pandémie continue à tuer, et elle le fera, le gouvernement sera automatiquement accusé de mettre en danger la santé de ses citoyens pour sauver « l’économie », un gros mot pour une partie des Français comme si le fait de travailler pour vivre était secondaire par rapport à la santé… Autrement dit, la tentation sera forte de revenir au confinement aveugle pour faire taire les polémiques ou d’en sortir le plus tard possible, la voie choisie par la France après six semaines d’État d’urgence sanitaire.

C’est d’ailleurs pourquoi des pays comme la Suède, la Suisse, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas soit n’ont pas adopté cette stratégie, laissant la vie suivre son cours normal, soit l’ont appliqué avec beaucoup plus de finesse, ce qui a permis d’éviter d’en passer par la case des pouvoirs exceptionnels confiés à l’exécutif et surtout de casser l’économie.

Pourquoi confiner tout un pays ?

Ce verrouillage total d’un pays est d’autant plus discutable que des régions entières étaient et sont encore quasiment épargnées par le virus : pourquoi imposer le même traitement à la Creuse qu’à l’Ile de France, aux Pouilles qu’à Milan ? Pourquoi n’avoir pas confiné en fonction de l’extension de la pandémie, exactement comme l’a fait l’Allemagne, où les Länder sont compétents en matière de santé publique, avec le succès que l’on sait ? Ainsi, dès le départ, deux foyers ont été identifiés en France : l’Oise et Mulhouse. Or, plutôt que de réagir immédiatement en isolant ces deux régions et en déployant des moyens médicaux militaires pour soulager les hôpitaux, le gouvernement a tergiversé laissant le virus se répandre. Il reste sidérant qu’il ait fallu attendre le 24 mars, soit une semaine après la décision de confiner le pays, pour que le service de santé militaire soit envoyé en renfort à Mulhouse ! De là à penser que le confinement total ait aussi été motivé par l’incapacité des autorités à anticiper la crise, il n’y a qu’un pas que je me garderai bien de franchir.

De même, le choix des entreprises à fermer et des mesures de précautions à prendre aurait aussi été un champ de discussion possible. Par exemple, on a rapidement su que l’air conditionné permettait au virus de circuler au-delà d’un mètre et de contaminer de nombreuses personnes. Dès lors, fermer les cordonneries, les galeries d’art ou les fleuristes et laisser les supermarchés ouverts a-t-il un sens médical ? De même, la fermeture des écoles était-elle nécessaire ? Tout cela a été laissé à l’appréciation d’une bureaucratie sans contrôle et sans aucune concertation avec l’ensemble des acteurs économique et sociaux.

Pourquoi assigner à résidence une population entière ?

Enfin, il est apparu très tôt que la maladie était en très grande majorité fatale pour les personnes âgées de plus de 70 ans (moyenne d’âge des décès en Italie ou en France : 80 ans) et celles qui ont des pathologies graves, en clair les personnes affaiblies. Dès lors, confiner tous les actifs et plonger le pays en récession était-il rationnel ? Peut-être aurait-il fallu se concentrer sur la protection de ces groupes à risques plutôt que de mettre sous cloche tout un pays sans penser au lendemain, d’autant qu’on sait pertinemment que le virus est là pour longtemps.

Le débat devient, à ce point-là, particulièrement émotionnel, car il renvoie à notre rapport à la mort. Pourquoi une telle pandémie, qui n’est pas la première que le monde ait affrontée et qui est surtout très loin d’être la plus mortelle de l’histoire, a-t-elle conduit des États à décider de mesures sans précédent tout en sachant qu’elles n’étaient pas un remède ? Pourquoi une telle panique, surtout si l’on compare la mortalité causée par le coronavirus avec celle des autres maladies ? Même s’il faut être encore prudent, puisque cinq mois après son apparition, on sait toujours aussi peu de chose du covid-19, ce qui devrait nous mettre en garde sur le scientisme qui nous a saisis, les médecins ayant dit tout et son contraire sur cette pandémie, rendant ainsi la décision politique particulièrement difficile. Mais rappelons néanmoins que 400.000 nouveaux cancers sont diagnostiqués chaque année en France et que 150.000 Français en meurent et pourtant tabac et alcool ne sont toujours pas interdits alors que cela permettrait d’en éviter une bonne partie. Si toute vie mérite d’être sauvée, pourquoi se monter si désinvolte à l’égard du cancer ? De même, les grippes saisonnières (alors qu’il existe un vaccin qu’une grande majorité estime dispensable) tuent chaque année entre 3000 et 15.000 personnes (sans parler des plus de 30.000 morts de la grippe de Hong Kong en 1969 dans un pays de 51 millions d’habitants ou du nombre équivalent de morts en 1959 dans un pays de 45 millions d’habitants), les infections saisonnières respiratoires 68.000 personnes, les accidents de la route 3500 personnes auxquels il faut ajouter les handicapés à vie. Et pourtant, personne n’a songé à interdire la voiture (et chaque mesure visant à renforcer la sécurité suscite son lot de protestations, rappelons les 80 km/h) ou à faire de la lutte contre la pollution ou la malbouffe un impératif catégorique.

Si on regarde les statistiques de la mortalité dans le monde, on s’aperçoit que la faim (pourtant facile et peu couteuse à éradiquer), la malaria, le SIDA ou encore les guerres (souvent faites avec les armes produites par nos industries) tuent infiniment plus que le coronavirus ne tuera jamais.

Choisis ton camp camarade, mais il n’y a qu’un camp du bien, celui du confinement !

Il faudrait sans doute interroger la responsabilité des médias audiovisuels dans cette panique qui s’est emparée des opinions publiques occidentales (avec une exception allemande, les télévisions germaniques ayant volontairement décidé de traiter le covid-19 à la place qu’il mérite). Annoncer tous les matins le nombre de morts sans les mettre en perspective (par rapport à la moyenne habituelle des morts, leur âge, la comorbidité dont ils souffraient, etc.), consacrer des journaux entiers à la pandémie ne peut qu’ébranler même les têtes les mieux faites... Imaginez que chaque matin on égrène le nombre de morts en France toutes causes confondues et qu’on y consacre l’ensemble des journaux : qui oserait encore tout simplement vivre ?

Il ne s’agit pas de dire qu’une mort n’a aucune importance, mais simplement que toute politique publique doit faire l’objet d’une évaluation coût-bénéfice. Si on n’interdit pas les ventes d’armes, le tabac, l’alcool, la voiture, les camions, les centrales thermiques, c’est parce que collectivement nous estimons que le coût serait supérieur au bénéfice que nous en tirerions. Mais ce débat, dans la déferlante émotionnelle qui dure depuis deux mois, est de fait interdit. Ceux qui ont osé questionner la stratégie choisie et surtout sur sa durée ont été cloués au pilori par les plus radicaux, ceux qui se font entendre. Être opposé à la prolongation du confinement, c’est être pour le « sacrifice » de ceux qui sont malades, « cracher à la gueule des morts » et j’en passe. Bref, choisis ton camp camarade, mais il n’y a qu’un camp du bien, celui du confinement ! J’ai même été menacé de mort, moi et ma famille, par de braves gens qui estiment que toute vie doit être sauvée à n’importe quel prix sans que la contradiction de leurs propos ne leur effleure l’esprit pour avoir osé m’interroger dans deux tweets du 9 avril, trois semaines après le début du confinement : « C’est dingue quand on y songe : plonger le monde dans la plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale pour une pandémie qui a tué pour l’instant moins de 100.000 personnes (sans parler de leur âge avancé) dans un monde de 7 milliards d’habitants. La grippe saisonnière, qui tue surtout les jeunes enfants, c’est entre 290.000 et 650.000 par an dans le monde. Et tout le monde s’en tape, mais grave ».

La récession la plus grave de tous les temps hors période de guerre (et encore)

Or, le confinement va entrainer une récession inimaginable par sa violence : elle devrait atteindre entre 8 % et 15 % du PIB, un recul de l’activité sans précédent en temps de paix (il faut remonter à 1942 pour enregistrer une récession de -10 %). Jamais on n’a mis une économie totalement à l’arrêt comme on vient de le faire, il faut en prendre conscience. Le chômage partiel touche désormais près de douze millions de travailleurs (un salarié du privé sur deux !) et les licenciements secs entrainés par des milliers de faillites d’entreprises vont se compter par centaines de milliers voire millions une fois que le dispositif de chômage partiel pris en charge par l’État arrivera à échéance (car il coûte une fortune). Et plus l’arrêt de l’économie se prolongera, plus difficile sera le redémarrage. Le coût engendré par la mise en place d’un filet social et par les plans de l’économie va entrainer une dégradation sans précédent des comptes publics et les jeunes générations qui vont devoir payer deux fois le confinement : par la perte de leur emploi et par l’augmentation des impôts pour ceux qui le conserveront.

Il ne faut pas oublier que le chômage est une aussi catastrophe sanitaire, mais plus diffuse et donc socialement plus acceptable : on estime ainsi à 14.000 les décès qu’il cause chaque année en France par les maladies induites. Et comment ne pas parler de son cortège de misère, de faim, de déclassement social, etc.. Les effets du confinement vont aussi d’avoir des conséquences terribles sur le mental des Français, sur les violences faites aux femmes et aux enfants, sur leur santé (par exemple, les dépistages précoces des cancers, des AVC, des crises cardiaques sont suspendus et on ne sait encore rien des suicides, etc.), sur le décrochage scolaire (combien d’enfants ont purement et simplement disparu du système ?).

Un État de droit durablement affaibli

Enfin, croire que les libertés publiques, la démocratie, sortiront intactes de cet épisode est juste un doux rêve. L’État d’urgence sanitaire va rester inscrit dans notre droit pour longtemps exactement comme l’État d’urgence, déclenché en 2015 a finalement été intégré au droit commun. Il est rare qu’un Etat renonce de lui-même aux pouvoirs gagnés sur le législatif et la justice. Le tracking des individus, via les smartphones, que certains considèrent comme une nécessité, pourrait bien devenir la règle au nom de la sauvegarde de notre santé devenue LA priorité, la vie privée étant ravalée au rang de préoccupation d’un autre âge. Avoir choisi le confinement total et l’État d’urgence laissera des traces durables dans la démocratie française.

Je ne prétends pas ici apporter une réponse. Simplement, les premiers éléments du déconfinement montrent qu’une autre voie aurait été possible : confinement pas département, large pouvoir d’appréciation laissé aux autorités locales, saisine du juge judiciaire pour consigner les porteurs du virus, etc. Je regrette juste l’absence de délibération démocratique avant la mise en place de l’État d’urgence sanitaire et sa prolongation."

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2020/04/30/confinement-le-debat-interdit/?fbclid=IwAR0iziTjldtRyzTkcJgImfqUefAtRs-r8e9VBAz3jrmujvRALF_8sm8XlIU


 

Le débat me semble ainsi infiniment mieux posé que par les complotistes à succès qui nourrissent les imaginaires d'extrême-droite, mais circulent hélas aussi à gauche.

Dont voici le dernier en date (que je ne me suis pas imposé de regarder jusqu'au bout...) :


http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2020/04/26/covid-anatomie-d-un-desastre-306113.html#more

 

Ce Jean Dominique Michel, "spécialiste de santé publique, spécialiste d'épidémies des maladies infectieuses, anthropologue. (Suisse)" ainsi qu'on nous le présente, n'est qu'un nouveau gourou auto-proclamé qui juge de haut (et mal) de façon péremptoire tout ce qu'il ne maîtrise pas .

Alors : quel déconfinement ?

 

Tout simplement celui qui aurait dû être à l'oeuvre en matière de confinement : un processus décentralisé et co-construit avec tous les acteurs de la cité, notamment ce qu'on appelle les "corps intermédiaires" : associations, syndicats et partis, et avec l'ensemble des élus.

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