La montée du sectarisme et comment s'y opposer

Publié le par Henri LOURDOU

La montée du sectarisme et comment s'y opposer

La montée du sectarisme et comment s'y opposer.

 

Je pensais m'être prémuni contre les effets d'enfermement de Facebook en acceptant pour "amis" pratiquement tous ceux qui le demandaient, et qui furent, dans les débuts, exclusivement des anciens élèves. Cela devait m'offrir une large palette d'opinions diverses...

Las, après près de 10 ans d'ouverture de mon compte, je ne retrouve pratiquement plus aucun d'eux dans mon "fil d'actualité", mais, exclusivement des "amis" plus récents qui partagent à peu près toutes mes opinions.

J'ai eu l'explication dans une interview passionnante de Bruno PATINO dans le "1" n ° 252 du 5-6-19, consacré au sujet "Facebook la nouvelle fabrique de l'opinion". Mais tout ce n° est à lire.

 

"L'économie de l'attention", un nouvel outil du marketing

 

Le point de départ, ne l'oublions jamais, est le modèle économique choisi par Facebook : "A partir du moment où le modèle publicitaire est retenu, l'enjeu de la société est de faire du chiffre d'affaires, donc d'élargir son audience. Elle va alors travailler à accroître le nombre de personnes réunies sur la plateforme et surtout à augmenter le temps qu'elles vont y passer.(...) Pour parvenir à augmenter ce temps passé sur les réseaux, les méthodes de sollicitation ont été étudiées et utilisée, dont celle de la récompense aléatoire, qui vient des neurosciences.

(...) Ce mécanisme a été découvert par le professeur Burrhus Frederic Skinner à Harvard. (...) Les algorithmes vous fournissent de temps en temps des choses qui vous correspondent mais aussi des éléments qui ne vous correspondent absolument pas. Cette incertitude vous rend addict. (...) Pour vous faire rester, il faut vous donner de temps en temps votre dose en l'augmentant petit à petit. Donc l'algorithme pousse vers vous un certain nombre de profils, on vous propose de vous faire de nouveau x amis qui partagent avec vous votre goût du rock ou de la politique. Et le newsfeed, ce fil d'actualité auquel vous êtes connecté, vous permet alors d'être entouré de ce qui vous procure le plus de plaisir, d'émotion."

(Bruno PATINO "Sur Facebook, l'information est structurellement défavorisée", in "Le 1", 5-6-19, p 5)

 

Les effets induits : primat de l'outrance et de l'émotion, domination des puissants, montée du sectarisme

 

"D'un point de vue culturel, cela vous prive de la découverte; d'un point de vue intellectuel, cela empêche l'ouverture; d'un point de vue politique, cela vous polarise; sur le plan social, ça finit par créer des visions du monde qui ignorent même l'existence d'autres visions." (ibidem)

"Ensuite, le but étant que que les usagers restent sur la plateforme, Facebook s'arrange pour qu'une information soit partagée le plus rapidement possible, à un nombre de personnes le plus élevé possible. Donc tout dépend de la viralité du contenu. Sa viralité peut être naturelle, elle sera alors d'autant plus forte que le message joue sur la réaction et les émotions plutôt que sur la réflexion et la distance : l'humour (? pour moi le vrai humour suppose la distance... Je pense que l'auteur a voulu parler plutôt de la dérision ou de la moquerie), l'outrance, l'indignation génèrent davantage de dopamine que le contenu modéré, sérieux, qui est alors désavantagé.

L'autre façon de d'assurer la viralité d'un contenu , c'est de les sponsoriser, ce qui revient pour l'émetteur àpayer pour accélérer et amplifier sa diffusion (...) et on peut donc logiquement penser que l'information privilégiée émanera de grands groupes ou de puissances étrangères ( ? pourquoi spécifiquement "étrangères" ? Je pense qu'ici le terme "étatiques" aurait été plus judicieux). Dans ce modèle économique, l'information est donc structurellement défavorisée. Si on ajoute à cela le mécanisme d'enfermement – petit à petit, je ne vois que ce en quoi je crois - , on obtient un espace public qui se fragmente de manière vertigineuse tout en se polarisant." (NB c'est moi qui souligne).

 

Comment s'y opposer ?

 

Il y a bien sûr, à un premier niveau, la prise de conscience individuelle de ces mécanismes induisant le refus de s'y laisser enfermer. Et c'est notamment l'objet de ce texte. Ne pas céder à la dictature de l'émotion et de l'immédiat, faire usage des réseaux sociaux avec parcimonie et à bon escient en découle.

Mais cela ne saurait suffire. Comme le dit fort justement Bruno PATINO, la solution structurelle réside dans l'édiction de règles pour les "ordonnateurs de contenus" que sont les réseaux sociaux. "On devra à un moment donné définir les règles pour un ordonnateur , de la même manière qu'il y a des règles pour un éditeur, ou pour un distributeur.(...) Ce débat aura lieu , mais il faudra savoir qui devra débattre avec Facebook – des groupes d'utilisateurs, des associations, les États, les organisations internationales ? La difficulté sera d'avoir un seul débat à de multiples niveaux. Et Facebook sera certainement le patient zéro de ce nouveau statut. Ce qui est en jeu (...) c'est le passage à un nouvel âge du numérique." (ibidem)

 

Cela veut dire aussi qu'il n'y a nulle fatalité à ce "capitalisme de surveillance" dénoncé par un livre récent rapporté par "Le Monde" (Soshana ZUBOFF " The age of capitalism surveillance", voir "Le Monde" daté 15-6-19, pp 24-25). Comme le rappelle très justement Sébastien BROCA, dans ces mêmes pages du "Monde" : ce "nouvel âge" supposé s'inscrit dans un contexte plus large qui en relativise la portée. D'une part, la volonté de modifier les comportements, et les pratiques qui l'accompagnent, sont inscrits dans le capitalisme depuis longtemps, et d'autre part, les contre-pratiques, individuelles ou collectives, de résistance à cette volonté, sont légion et débouchent sur des résultats. Qu'il s'agit juste de renforcer par davantage de dénonciations et de régulations.

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