Comment la Réaction triomphe

Publié le par Henri LOURDOU

Comment la Réaction triomphe
Comment la Réaction triomphe
Leçons de l'histoire :
comment la Réaction triomphe.
Michel BIARD
Les derniers jours de la Montagne
1794-1795
PUF, septembre 2023, 234 p.
Philippe COLLIN
(une enquête de)
Le fantôme de Philippe PÉTAIN
Flammarion/France Inter, 2022, J'AI LU, mai 2023, 444 p.

 

"l'histoire doit s'affirmer comme une discipline d'émancipation.

Surtout pas une discipline de conservation, l'oeil rivé dans le

rétroviseur, ni de prédiction, l'oeil rivé sur la boule de cristal.

Non, l'histoire doit d'abord transmettre des répertoires d'action,

pour transformer le réel, ou pour l'empêcher de sombrer."

(Vincent LEMIRE, interview au "Monde", supplément Campus, 21-3-24)

 

"Assurément, les Français ont l'air de penser que le moindre

incident national a plus d'importance qu'un événement capital

au-delà de leurs frontières. Il y a chez eux une insularité intellectuelle

sidérante. Ils ont depuis si longtemps la conviction d'être la première

des nations et de parler la première des langues qu'ils ne se sont

pas encore rendus compte de leur vrai statut : la France n'est plus

qu'un pays de second ordre." (Franck HARRIS, "La bombe", 1909, p 267)

 

En ce temps de défaitisme de la Gauche internationale, et particulièrement française, européenne et occidentale, il m'a paru utile de me pencher sur deux épisodes majeurs de Réaction de l'Histoire de France : celui de la Réaction thermidorienne (1794-95) qui a suivi la grande vague révolutionnaire initiée en 1789, et celui de la Réaction pétainiste (1940-1945) qui a suivi la grande vague réformiste du Front populaire (1934-1937).

A ces deux "leçons de l'histoire", éclairées par des historiens de métier, je joindrai une réflexion sur la situation actuelle, et en particulier sur les deux enjeux majeurs du moment dépassant le nombrilisme français : le dérèglement climatique et le retour de la guerre en Europe.

 

Un paradoxe à éclairer : le reniement par une partie de la Gauche elle-même de ses principes et valeurs.

 

Il y a un point commun, que je souhaite d'emblée souligner, entre trois dates historiques (1794, 1940 et 2017) : l'abandon par une grande partie de représentants élus de Gauche des principes qui les ont fait élire. Ceci pour se tourner, dans les trois cas, dans la direction d'un impossible dépassement du clivage Droite/Gauche. Ce qui les conduit, dans les trois cas, à une politique de retour en arrière en matière d'Égalité, au service des possédants et dominants.

C'est ce qu'on a baptisé, dès le premier cas, Réaction. C'est en 1796, selon le "Larousse de la langue française -Lexis" que le terme est utilisé dans le sens de "mouvement d'opinion qui agit dans un sens opposé à celui qui a précédé", avec comme sens second "parti de réaction, ou la réaction, parti politique qui s'oppose au progrès politique ou social (synonyme : la Droite), 1977.

 

Les effets historiques des vagues réactionnaires

 

Concernant les deux premières de ces vagues réactionnaires, on dispose du recul permettant d'en mesurer les effets.

Pour la première, elle a mené progressivement au coup d'État militaire du général Bonaparte, puis à une Restauration de la monarchie, dont la France n'est sortie que près d'un siècle plus tard, après diverses tentatives avortées. La politique expansionniste de guerre du Directoire n'y a pas été étrangère.

Concernant la deuxième, elle a conduit comme on sait à la Collaboration avec l'occupant nazi, et ce n'est que l'aide militaire des Alliés qui a permis d'en sortir.

Ces deux précédents ne sont guère encourageants pour la troisième actuellement en cours. Aussi est-il particulièrement nécessaire d'explorer les stratégies possibles pour en inverser le cours.

 

1794-1795 : les derniers jours de la Montagne

 

L'objet du livre de Michel BIARD ne correspond pas exactement à mon projet de réflexion. Il lui fournit cependant des aliments précieux.

Ce qui frappe en premier lieu est la différence fondamentale de contexte social et politique entre cet épisode et les deux autres. Cela doit nous conduire donc à la plus grande prudence dans la comparaison posée en introduction de ce texte.

Cette différence est aussi très visible dans deux ouvrages plus anciens sur lesquels j'appuie cette lecture (le grand classique de Richard Cobb "La protestation populaire en France 1789-1820", 1970, trad fçaise 1975, Presses Pocket-Agora n°39, mars 1989, 322 p. ; et la synthèse très suggestive de Jacques Solé "La Révolution en questions", 1988, Points-Histoire n°98, 418 p.)

Tout d'abord, l'opposition Droite/Gauche est alors dans l'enfance et ses enjeux loin d'être clarifiés. Et ensuite la liaison entre enjeux politiques et enjeux sociaux est loin d'être établie. L'économie et la société se caractérisent par une pauvreté et des inégalités sans commune mesure avec les deux périodes ultérieures. Enfin, la période se caractérise par une grande confusion et une grande violence que l'on ne retrouvera pas au même degré en 1934-1940 et en 2015-2017.

Malgré toutes ces différences, peut-on néanmoins pointer des raisons générales et reproductibles de Réaction ?

 

Un changement de contexte

 

Il y a, en premier lieu, à la fois une forte polarisation de l'opinion publique entre deux camps extrêmes, mais très minoritaires, et une forte démobilisation politique de la majorité, à la fois désabusée et requise par d'autres priorités que celles des deux camps en présence.

La polarisation se fait entre les ex-terroristes revendiqués de 1793-94 et leurs camarades repentis qui s'appuient sur leurs victimes survivantes, libérées ou amnistiées et revenues siéger à la Convention après le 9 Thermidor. Si les premiers ne peuvent plus s'appuyer sur la mobilisation populaire des sans-culottes, les seconds peuvent s'appuyer sur une fraction de la jeunesse : celle des insoumis et déserteurs, baptisés "muscadins" ou "jeunesse dorée" ou des fonctionnaires des bureaux. Jacques Solé note ce fait significatif : l'État "faisait alors travailler, à Paris, près de 12 000 personnes au service du gouvernement, tandis que dans les seuls ministères centraux, le personnel était passé, entre 1788 et 1795, de 420 à 5 000." (op cit p 216)

Ainsi, les tribunes du public de la Convention sont à présent occupées par ces troupes réactionnaires, au lieu des sans-culottes de la période précédente. C'est ce que signale Michel BIARD, en notant que les Montagnards persistants sont bien conscients du lien "entre ces libérations massives, les débuts de la campagne pamphlétaire hostile aux Jacobins, la présence grandissante dans les tribunes de la Convention d'individus opposés à ces derniers et aux Montagnards, et les premières attaques à la Convention contre plusieurs membres des comités de Salut public et de Sûreté générale" (p 43).

 

Trois leçons à tirer

 

Cependant, ils ne s'opposent pas au démantèlement des quelques mesures sociales prises sous la Terreur, note-t-il également (pp 47-53) : la redistribution aux indigents des biens confisqués aux "suspects" et le maximum des prix. Ce découplage entre enjeux sociaux et enjeux politiques va en partie signer leur isolement progressif. Car les affrontement à la Convention vont se placer uniquement sur le terrain des règlements de compte avec les anciens Girondins réintégrés dans la Convention ou les anciens partisans de Danton et sur l'application de la Constitution de 1793 qui n'en constitue que le prétexte.

Ceci est une première leçon de portée générale : la démobilisation du peuple de Gauche est alimentée par la sous-estimation des enjeux socio-économiques par ses représentants.

 

Dès lors, la mise en accusation des députés Montagnards peut se déployer. Comme le remarque l'un d'entre eux, Duhem, cité par BIARD : "Les ennemis de la liberté et de l'égalité désirent faire de la Convention ce que l'on fait d'un chapelet qu'on veut détruire; on en arrache d'abord un grain, puis deux, puis trois, et on fint par n'en laisser aucun." (p 46)

Malgré cette belle lucidité, force est de constater que les Montagnards ne s'opposent à cette réaction qu'en ordre dispersé, et vont reculer peu à peu, malgré les tentatives (avortées) d'insurrection populaire parisienne trop tardives des 12 germinal (1er avril 95) et 1er prairial (20 mai 95).

Sur les 106 "derniers Montagnards" recensés par BIARD (pp 179-184) 73 seront décrétés d'arrestation en plusieurs vagues, 31 décrétés d'accusation, 4 déportés (Billaud-Varenne, Barère, Collot d'Herbois et Vadier), 3 guillotinés (Bourbotte, Carrier et Soubrany), 2 fusillés (Huguet et Javogue qui se sont joint à l'ultime tentative néo-jacobine de Babeuf, fin 1795), et 6 se suicideront.

La chronique par Michel BIARD de cette élimination progressive est édifiante.

Elle commence par une campagne de dénonciation de la "queue de Robespierre" (titre du premier pamphlet satirique qui obtient un grand succès dès le mois suivant le 9 Thermidor).

 

A cette campagne s'ajoute une campagne de lettres de dénonciation auprès de la Convention touchant les "représentants en mission", députés envoyés dans les départements pour appliquer la politique de la Convention montagnarde en 1793-94. BIARD cite longuement ces lettres (pp 74-92), envoyées le plus souvent par des notables locaux. Elles témoignent d'une rhétorique outrancière et très stéréotypée...qui fait écho à celle des Montagnards terroristes. Peu de faits précis et documentés, mais beaucoup de fantasmes qui témoignent de l'état d'excitation mutuelle de cet affrontement à mort entre adversaires politiques : complot, ivrognerie, abus sexuels, complaisance à l'exercice de la violence, sentiment de toute-puissance des majoritaires du jour. Elles montrent une sensibilité et une pudibonderie extrêmes qui nous sont devenues aujourd'hui étrangères.

Le problème est que tous les excès terroristes dénoncés ne sont pas fictifs : le cas de Carrier est emblématique à cet égard. Les fameuses "noyades de Nantes" auxquelles il a procédé en tant que "représentant en mission" sont tellement injustifiables qu'aucun Montagnard ne s'oppose à sa mise en accusation dès le 3 septembre 1794 et à son jugement.

Ce précédent, pourtant nécessaire, ouvre la voie à la mise en accusation de quatre "grands coupables" : Barère, Collot d'Herbois, Billaud-Varennes et Vadier, début mars 95. Celle-ci est votée sans opposition déclarée. Et ce n'est que lors de leur procès devant la Convention, qu'ils réagissent en prenant leur défense. Ce procès, qui dure plus d'une semaine, fin mars, est émaillé d'une première manifestation de sans-culottes parisiens (12 germinal : 1er avril) qui va entraîner la première vague d'arrestation de députés Montagnards : 18 au total entre le 12 et le 29 germinal (18 avril) (p 105).

Le critère du choix des arrêtés est examiné par BIARD qui conclut à la coexistence de celui de leurs prises de parole lors du procès des 4, et de règlements de compte personnels (dans les deux sens : inimitiés qui poussent à l'arrestation, et amitiés qui les évitent). Certains, à l'instar de Vadier, s'y dérobent et passent dans la clandestinité.

La motivation principale est cependant la crainte des manifestations populaires. Si celle du 12 germinal a échoué, celle, mieux préparée, du 1er prairial (20 mai), cause une telle frayeur aux nouveaux majoritaires de la Convention qu'elle déclenche une deuxième vague d'arrestations de députés : 42 d'entre eux sont cette fois-ci concernés, avec, comme en germinal, un étalement des mesures. C'est à cette occasion que se produisent les 6 suicides de ceux qui seront qualifiés de "martyrs de prairial".

Enfin, une dernière vague, en thermidor (juillet) 95, s'appuie sur les dénonciations contre les anciens représentants en mission. Le fait majeur est l'usage sélectif et ciblé de ces lettres pour arrêter et mettre en accusation certains députés par le Comité de législation aux mains des terroristes repentis, appuyés sur les terrorisés amnistiés ou libérés de la peur.

C'est ainsi que sont encore arrêtés et décrétés d'accusation 10 autres députés. (p 116)

Enfin, un décret d'application de la nouvelle Constitution, adopté en août 95, stipule que tous les députés sortants arrêtés ou décrétés d'accusation ne pourront se représenter aux nouvelles assemblées législatives. (p 120)

Cette chronique apporte une deuxième leçon : la défense individuelle ne paie pas face à une offensive politique collective. Ce qui pose la question d'une réflexion et d'une action collectives nécessaires et organisées, avec une véritable stratégie.

On va retrouver ce problème du sauve-qui-peut et de l'isolement dans le destin des députés du Front populaire qui ont voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940.

C'est un puissant argument en faveur de l'engagement dans des partis fonctionnant de façon démocratique.

 

Au-delà, il me faut cependant marquer les limites du livre de BIARD : celui-ci s'inscrit en effet dans une tradition historiographique bien précise, celle du PCF. En centrant la focale sur le seul épisode de 1794-95, il rejette un peu dans l'ombre les épisodes précédents, et notamment celui de 1792-94 dont il récuse le qualificatif de "Terreur", qui serait une pure invention thermidorienne : il n'y aurait pas eu de "système de la Terreur", mais une simple adpatation à des circonstances exceptionnelles. On reconnaît là le même mécanisme de déni que pour la période bolchevique de la guerre civile.

Pour en recadrer l'enjeu, je renvoie à une mise au point de ce blog.

sur la question des Révolutions dans leur ensemble, avec en particulier la référence à un roman qui s'est avéré très bien documenté de Robert Margerit ,"La Révolution" en particulier son tome IV qui aborde la question du bilan et des erreurs des Montagnards à travers un personnage ficitif, le conventionnel Mounier-Dupré, Montagnard lucide et rationnel. Celui-ci n'élude pas, comme Biard et les "robespierristes nostalgiques" du PCF, la question des règlements de compte sanglants de 1793-1794 entre républicains, et des excès de la Terreur qui ont conduit au 9 Thermidor.

Au fondement de tous ces errements à tonalité paranoïaque et d'un usage devenu décomplexé de la violence, une profonde division du peuple sur deux enjeux non sociaux : celui de la liberté religieuse qui a été couplé de façon imbécile avec celui des biens du clergé. En imposant le serment civique aux prêtres et en persécutant les prêtres réfractaires, les députés de la Constituante ont créé un clivage dans tout le peuple dont les échos se sont propagés jusqu'à nos jours. Le second enjeu est celui de la guerre : voulue par les Girondins pour "démasquer le roi", elle a entraîné avec la levée en masse un second clivage au sein du peuple.

Cela montre bien que le choix des sujets d'affrontement politique et des moyens mis à leur service n'ont rien de neutre.

Rester fermement ancré sur la défense des droits humains et de l'Etat de droit est donc bien la troisième leçon à tirer de cet épisode. Car la "réaction thermidorienne" fait tout autant fi de ces deux éléments que ses prédécesseurs "terroristes assumés". Comment peut-on résister à la Réaction, après avoir soi-même piétiné les principes qu'on invoque ?

 

1938-1940 : De la mort du Front populaire à celle de la République

 

Retrouvons-nous ces trois leçons dans l'épisode pétainiste, ses origines... et sa postérité ? J'ai là aussi choisi un ouvrage récent et très spécialisé pour y entrer : le recueil par le journaliste Philippe COLLIN des points de vue de 12 historien·nes sur Pétain et le régime de Vichy. Celui-ci est également un peu décalé par rapport à mon projet, mais il apporte également de la matière à ma réflexion.

 

Enjeux socio-économiques négligés

Le détricotage des réformes de 1936-37 par une nouvelle majorité déplacée vers la Droite, est l'effet de la dissociation du Parti radical avec la majorité de Front populaire dont il faisait partie. Le principal recul a lieu sur les 40 h hebdomadaires et donne lieu à un affrontement avec le mouvement syndical le 30 novembre 1938 : le mot d'ordre de grève générale lancé par la CGT réunifiée est un échec cuisant. Parallèlement, les augmentations de salaires sont mangées par l'inflation, et le chômage repart à la hausse.

Voici l'interprétation qu'en donne l'historien Antoine PROST en 1967 : "les luttes qui opposaient communistes et non-communistes, Munichois et anti-Munichois, avaient considérablement affaibli la CGT malgré ses 4 millions d'adhérents. Les ouvriers surtout n'avaient plus la même combativité : déçus par l'expérience Blum, lassés par l'agitation stérile qu'entretenait la surenchère communiste, ils n'étaient pas sûrs que l'enjeu valût de risquer les sanctions extrêmement graves que le gouvernement s'apprêtait à prendre. D'ailleurs, la grève générale décidée pour le 30 novembre 1938 n'était pas uniquement destinée à défendre les 40 h. Elle impliquait une hostilité à la politique de Munich que tous les militants ouvriers ne partageaient pas." (Histoire du peuple français, cent ans d'esprit républicain (1875-1963) sous la direction de LH PARIAS, Nouvelle Librairie de France, pp 418-419).

On retrouve ici l'instrumentalisation des enjeux sociaux par des conflits politiques qui les dépassent. Si, bien entendu, on ne peut les dissocier entièrement, on voit bien qu'ici aussi, comme en 1792-95, certains ont voulu mettre les classes populaires au service de leur propre agenda politique.

Désunion des forces politiques, inquiétude internationale et aspiration à un ordre autoritaire

Retrouvons à présent la personnalité de Philippe PÉTAIN. Son émergence en tant qu'acteur politique date des années 1930. Éphémère Ministre de la Guerre dans un gouvernement d'Union nationale du 8 février au 8 novembre 1934, il en ressort "frustré et dépité" selon l'historienne Bénédicte VERGEZ-CHAIGNON ("Le fantôme de Philippe Pétain", p 104).

C'est à partir de ce moment-là qu'il commence à nourrir une ambition politique, basée sur son expérience et sa vision de militaire conservateur et antisémite, obsédé par la décadence nationale et les complots.

En cela, il entre de plus en plus en résonance avec une partie croissante de l'opinion, gagnée par l'inquiétude et la xénophobie, qui deviennent galopantes en 1938-39.

Face à cette dérive, la Gauche se divise de plus en plus et réagit de moins en moins collectivement.

Au final, c'est la peur et le sauve qui peut général qui triomphent.

Défense des droits humains et de l'Etat de droit

Une brève notation dans le livre de BIARD nous rappelait cette régression xénophobe durant la période 1793-1795, à travers le destin des étrangers ralliés au jacobinisme. Cette question de la xénophobie est une pierre de touche récurrente de l'amorce des vagues réactionnaires, et elle est étroitement couplée à celle de la défense des droits humains et de l'État de droit. Les mesures d'exception prises par le gouvernement Daladier en 1938 contre les "étrangers indésirables" sont la claire préfiguration des camps d'internement de Vichy.

Tout cela pose à nouveau la question : comment peut-on résister à la Réaction, après avoir soi-même piétiné les principes qu'on invoque ?

 

Il n'en demeure pas moins que l'acte fondateur de la dictature pétainiste est le vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain du 10 juillet 1940 par l'Assemblée nationale réunissant à Vichy députés et sénateurs. L'analyse de ce vote montre qu'il "transcende la traditionnelle division droite-gauche" (René RÉMOND, "Notre siècle (1918-1988)", Fayard 1988, p 303). Si la gauche, comme en 1794-95, n'est plus majoritaire, la majorité des élus restants du Front populaire (340 sur 660 tout de même si l'on y garde les radicaux qui ont rompu avec lui) ont voté les pleins pouvoirs, adoptés par 560 voix pour, 80 contre et 20 abstentions. C'est notamment le cas de 88 élus socialistes SFIO sur 149. (RÉMOND, op cit, pp 302-303).

On sait que certains de ceux qui ont failli ce jour-là se sont rapidement ravisé, mais il était alors trop tard.

Ainsi, pour conclure, nous retrouvons malheureusement, bien que dans un contexte différent, les trois travers repérés précédemment : sous-estimation des enjeux socio-économiques, absence de réflexion et de réaction collectives et abandon de la défense des droits humains et de l'État de droit.

 

Et aujourd'hui ?

 

Le contexte a bien évidemment encore plus changé. Et les enjeux sont devenus plus complexes, puisque la globalisation nous interdit désormais de raisonner dans le cadre strictement national.

En particulier, il faut répondre à deux enjeux majeurs que sont le dérèglement climatique et le retour de la guerre en Europe.

 

Mais pour y répondre, et c'est en cela que l'histoire peut apporter des leçons, il va nous falloir éviter les trois travers énoncés plus haut.

Concernant le second enjeu, le film documentaire de l'Ukrainien Sergueï LOZNITSA "L'histoire naturelle de la destruction"(2022) et sa réception éclairent puissamment l'enjeu que constitue un usage non naïf de la violence.

Car il faut bien renvoyer dos à dos deux myopies.

D'une part, celle des "idiots utiles " de Poutine, auxquels s'est malheureusement joint dernièrement le Pape François au nom d'une "paix à tout prix" qui n'est qu'une forme de renoncement face à la force brutale d'un envahisseur. Cela au nom d'un pacifisme qui oublie d'interroger la réalité de la situation et ses origines en renvoyant hypocritement dos à dos les protagonistes.

Mais aussi, de l'autre, celle des sectaires qui ont condamné LOZNITSA pour son refus du boycott de la culture russe. Et qui de ce fait refusent de prendre en compte sa dénonciation de tous les crimes de guerre et donc d'une façon cynique de mener la guerre au nom d'une supposée "efficacité". Car on sait, ou l'on devrait savoir, que l'usage de la violence a des effets puissants sur le psychisme de ceux qui l'exercent ou la subissent, et que son contrôle est un enjeu majeur.

 

Notre pacifisme ne saurait donc être ni naïf, ni cynique. Il pré-suppose le respect de la justice et des lois internationales, et n'exclut pas le recours à l'autodéfense armée dans les limites du Droit.

C'est sur cette ligne de crête que nous devons nous tenir. Celle d'un pacifisme éclairé, qui recherche les voies d'une paix juste. C'est aussi la ligne à tenir concernant le conflit Israël-Palestine en évitant le piège du double standard.

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