Changement climatique : des solutions existent, mais à quelles conditions ?

Publié le par Henri LOURDOU

Changement climatique : des solutions existent.

Mais à quelles conditions ?

 

EARTH FOR ALL-TERRE POUR TOUS

Nouveau rapport au Club de Rome

Sandrine DIXSON-DECLÈVE-Owen GAFFNEY-Jayati GHOSH-Jorgen RANDERS-Johan ROCKSTRÖM-Per Epen STOKNES

Traduit de l'anglais (2022) par Béatrice MARIE

Actes Sud, septembre 2023, 302 p.

 

Comme évoqué précédemment, le changement climatique est aujourd'hui l'enjeu primordial, celui auquel toute politique prévoyant l'avenir devrait être rapportée. Or, les politiques actuellement en vigueur ont pratiquement toutes ce trait commun de ne pas prévoir l'avenir. Elles ne font que se conformer aux souhaits instantanés de l'électorat, et aux intérêts dominants à courte vue.

Face à un tel constat, la première chose que l'on peut faire est de refuser de contribuer au déni collectif. En diffusant les propositions les plus sérieuses pour faire face à l'enjeu climatique, j'apporte ma contribution. L'aspect qui me semble toujours plus important est le caractère planétaire de la réflexion et et des actions à mener. C'est pourquoi j'ai accordé une attention particulière à ce nouveau "rapport au Club de Rome", déjà présenté ici.

 

Analyse du scénario "Pas de géant"(pp 89-215)

Celui-ci pointe 5 grands changement à opérer : Supprimer la pauvreté, réduire les inégalités, parvenir à l'égalité des genres, mettre en place un système alimentaire sain et respectueux du vivant, changer le système énergétique.

 

Changement 1 : dire adieu à la pauvreté (pp 89-112)

 

Pré-requis : "Il est crucial de supprimer d'urgence les contraintes qui pèsent sur les pays à revenu faible et intermédiaire pour relever le double défi du changement climatique et de la pauvreté." (p 90)

 

Position du problème : prendre la mesure d'un monde très inégal et en tirer la conséquence.

"Les niveaux actuels d'émission de CO2 dans l'atmosphère résultent de l'industrialisation rapide des pays à haut revenu durant les 150 dernières années.

"Pourtant ce sont les pays à faible revenu, ou la Majeure Partie du Monde, qui doivent aujourd'hui faire face aux conséquences de cette industrialisation.(...)

"Nous savons également que le milliard d'individus les plus riches consomme 72% de l'ensemble des ressources mondiales, tandis que le 1,2 milliard le plus pauvre (dont la grande majorité réside dans la Majeure Partie du Monde) n'en consomme que 1%."

NB : On en déduit que les 5,8 milliards restants en consomment 27%, soit près de 18 fois moins par personne en moyenne que le milliard le plus riche.

"(...) La réponse morale et historique incombe aux pays à haut revenu afin qu'ils apportent tout le soutien possible aux économies à faible revenu. Cela devrait constituer un principe central de la justice climatique." (pp 90-1)

 

Contraintes sur les pays à revenu faible et intermédiaire

 

Problème n°1 : Le manque "de fonds (et d'épargne) pour investir dans les projets clés de développement ou les infrastructures comme les réseaux électriques, l'approvisionnement en eau, les routes, les chemins de fer et les hôpitaux." (p 93)

Ce problème est alimenté par le recours quasi -exclusif aux capitaux privés qui ne s'investissent que dans des projets spéculatifs de court terme et génèrent au final un flux financier et un impact climatique négatifs.

Cette orientation est encouragée par les organismes économiques mondiaux. Il en résulte une incapacité des pays à rembourser les dettes publiques, sauf à limiter les investissements de long terme et sociaux. (pp 92-5)

Problème n°2 : L'organisation paradoxale du commerce mondial.

Le libre-échangisme dominant conduit à deux paradoxes :

-La délocalisation des industries des pays à haut revenu vers ceux à revenu faible ou intermédiaire, qui leur permet aussi de délocaliser leur pollution climatique et de se fabriquer une neutralité carbone artificielle.

-L'instauration d'une taxe carbone aux frontières aboutirait à faire partager à ces pays à revenu faible ou intermédiaire le prix du carbone importé par les pays à haut revenu.(pp 95-7)

Problème n°3 : L'accès à la technologie

Le droit de la propriété intellectuelle (brevets) restrictif, au coût d'accès en devises fortes prohibitif, ne permet pas aux pays à faible revenu de disposer des nouvelles technologies permettant de réduire la pauvreté et de lutter contre le changement climatique (pp 97-8).

 

Objectif : Faire reculer la pauvreté.

 

Il s'agit bien, par un découplage de la croissance mondiale entre "pays riches" et "pays pauvres" favorisant la croissance des seconds et décourageant celle des premiers, de faire sortir de la pauvreté absolue 3 à 4 milliards de personnes en leur permettant d'accéder à un revenu de 15 000 dollars par an par personne en moyenne d'ici à 2050 (ce qui constitue encore environ la moitié du revenu moyen actuel des "pays riches" : pour un panorama mondial des revenus moyens par pays voir).

C'est le niveau requis pour permettre à toute la population d'accéder aux biens et services définis par l'ONU dans ses Objectifs de Développement Durable : alimentation, santé, éducation, eau potable.

 

Solutions aux contraintes sur les pays à revenu faible et intermédiaire

 

Solution n°1 : s'attaquer à la dette, fournir des fonds et investir à bon escient

 

Pour cela un allègement ciblé des dettes des pays à faible revenu est indispensable. Ce pré-requis est validé par les instances de l'ONU.

Parallèlement une imposition coordonnée à l'échelle mondiale des entreprises transnationales pourrait offrir à ces pays les fonds qui leur font défaut pour investir.

Enfin une orientation des investissements vers la transition écologique passe par une législation des pays à haut revenu dissuadant les transnationales d'investir dans les "industries brunes" (hautement polluantes et à forte intensité carbone) dans les pays à faible revenu et les encourageant aux investissements dans les "industries vertes". (p 101)

 

Solution n°2 : changer l'architecture financière mondiale

 

Celle-ci, très méconnue, permet aux économies nationales de se soutenir mutuellement à travers le FMI, Fond Monétaire International. Celui-ci accorde des capitaux gratuits aux États sous la forme de Droits de Tirage Spéciaux (DTS). Le problème est que le montant de ces Droits est indexé sur le PIB des pays : autrement dit "on ne prête (quasiment) qu'aux riches". Même si ce mécanisme a permis lors de la pandémie de Covid aux pays à bas revenu de bénéficier de 21 Mds de $ en 2021, dans le même temps, les pays riches ont bénéficié de 400 Mds de $ (p 103).

Modifier ce système, et au-delà les mécanismes de prêts internationaux, en créant par exemple un Fond International des Devises permettant de s'émanciper de la suprématie actuelle du dollar (p 104) en mutualisant le risque de change.

 

Solution n°3 : transformer le commerce mondial

 

Ici aussi les pays à faible revenu sont handicapés par le mode de calcul des émissions de CO2 dans les accords commerciaux qui ne font pas la distinction entre production et consommation de biens et services. Cela favorise l'externalisation des émissions de CO2 par les pays à haut revenu au niveau de la production, tout en leur garantissant de pouvoir consommer des produits importés à forte teneur en CO2. Stimuler la décarbonation générale suppose de taxer le carbone là où il est consommé. Mais aussi de permettre l'essor des industries naissantes et l'émergence de marchés régionaux intégrés (pp 104-5).

 

Solution n°4 : améliorer l'accès à la technologie et aux sauts technologiques

 

Même si l'accord de l'OMC sur les APDIC (Aspects de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce) a été conçu pour obliger les détenteurs à ouvrir l'accès à leurs technologies, "avec le temps, la jurisprudence de l'OMC envers les pays à revenu faible ou intermédiaire a fortement dilué ces dispositions." (p 106)

Il y a donc un enjeu particulier concernant l'accélération du transfert technologique portant sur les "technologies vertes" ou les "technologies de la santé" vers ces pays. C'est la responsabilité des pays à haut revenu de légiférer en ce sens. Et de la communauté internationale d'accélérer structurellement le transfert des brevets les plus récents.

Ce premier exemple montre déjà l'ampleur des pré-requis et la complexité des changements à effectuer dans un temps limité.

Cela me conduit à passer plus rapidement sur le détail des 4 autres grands changements de cap :

Changement 2 : le changement de cap des inégalités

Changement 3 : le changement de cap de l'émancipation féminine

Changement 4 : le changement de cap de l'alimentation

Changement 5 : le changement de cap de l'énergie.

 

Mais à quelles conditions ?

 

Car ce qui apparaît déterminant est la question de la volonté politique exprimée démocratiquement concernant ces changements de cap.

Concernant les 3 derniers en particulier, il s'agit de changements sociétaux qui bousculent les usages établis : patriarcat, place de la viande, empilement des sources d'énergie pour une consommation toujours croissante. Ils demandent donc une remise en cause de chacun dans sa façon de vivre, pour les deux derniers, particulièrement dans les pays à haut revenu.

Or ces cinq changements sont interdépendants et indissociables. Ainsi, en plus de s'attaquer aux intérêts dominants d'une petite minorité, à travers la lutte contre la pauvreté et les inégalités, il va nous falloir aussi "balayer devant notre porte" concernant l'égalité des genres, notre régime alimentaire et notre consommation d'énergie.

Publié dans Europe, politique, écologie

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