KOMETA A l'Est, du nouveau n°2

Publié le par Henri LOURDOU

KOMETA  A l'Est, du nouveau n°2
KOMETA
À l'Est, du nouveau
n°2
Liaisons dangereuses
Hiver 2024, 208 p.

 

Ce n°2 tient les promesses du n°1. Même si certains articles relèvent de la redite pour tous ceux qui suivent l'Est de près, il contient son lot de découvertes, souvent stimulantes, voire encourageantes, ce qui, dans le contexte actuel de désenchantement généralisé, relève de l'exploit.

 

 

C'est donc sur ces découvertes encourageantes que je m'arrêterai ici.

 

Dans la 1e rubrique "Je vous écris de...", je retiendrai donc la "Lettre de Taïwan" de WU'ER KAIXI, pp 13-15. Ancien leader étudiant de la place Tian'anmen en 1989, réfugié dans ce pays, il témoigne de la solidarité des Taïwanais avec les Ukrainiens envahis à grande échelle depuis le 24 février 2022. Il montre bien la claire conscience  d'une communauté d'intérêts  de la part des plus menacés par les grandes dictatures contemporaines . Comme il le dit dans sa conclusion : "la plus grande crainte des tyrans est d'avoir en face d'eux des gens courageux."

Comme il faut aussi faire leur part aux mauvaises nouvelles, j'évoquerai également la "Lettre de Jalalabad" de Neda AMIRI, pp 21-23. Cette étudiante afghane réfugiée avec sa famille au Pakistan depuis le retour des Talibans au pouvoir à l'été 2021, a été victime, comme beaucoup de réfugiés afghans de la politique de répression et de refoulement du gouvernement pakistanais depuis l'automne 2023. Elle se retrouve donc à Jalalabad, ville de son enfance et première grande capitale provinciale afghane après la frontière. Et ce qu'elle y retrouve la navre : "les hommes dans la rue, les comptables, les chauffeurs de taxi, les gardiens d'immeuble...eux (contrairement aux talibans) me témoignaient du respect dans ma vie d'avant. Leurs filles sont allées à l'université, comme moi -j'étudiais à l'université polytechnique de Kaboul quand les talibans sont revenus au pouvoir en août 2021. Aujourd'hui, on dirait qu'ils ont intégré les codes talibans." Seul espoir pour elle, un visa des États-Unis pour y rejoindre son fiancé...

 

La 2e rubrique "Correspondance" pp 24-29 est constituée d'un échange très intéressant entre deux écrivain·es, l'iranienne Nasim VAHABI, qui vit à Paris , et le russe Mikhaïl CHICHKINE, qui vit à Bâle depuis 1995. Ils échangent sur la création littéraire et la censure dans leurs pays d'origine, ainsi que l'actualité politique de ces deux pays. Cela permet encore une fois de mesurer la résonance des situations et des préoccupations entre résistant·es aux dictatures.

 

Dans la 3e rubrique "Grands récits", la plus fournie : pp 30-125, je ne retiendrai que deux articles sur les six.

Le premier est le très remarquable reportage de l'écrivain polonais Witold SZABŁOWSKI intitulé "Pardonner les vivants", pp 48-58. Il nous décrit comment l'invasion à grande échelle du 24 février 2022 a provoqué une forme de réconciliation collective entre descendants polonais des massacres de Volhynie par l'UPA Stepan BANDERA en 1943 et les Ukrainiens réfugiés de 2022 qu'ils ont spontanément décidé d'accueillir et d'aider. Cette blessure mémorielle, cultivée par le gouvernement russe dans sa propagande, est paradoxalement en train de se refermer sous le coup de l'agression poutinienne. Car ce passé est remis en perspective par le présent menaçant : l'évoquer n'est plus un tabou, mais se fixer dessus ne répond pas à la situation d'aujourd'hui. L'Ukraine comme la Pologne sont bien devenues des démocraties, alors que la Russie s'enfonce dans la dictature. L'impérialisme est aujourd'hui celui de la Russie et ni la Pologne, ni l'Ukraine n'ont de revendication territoriale l'une sur l'autre. Ukrainiens et Polonais se trouvent aujourd'hui lutter pour un avenir commun.

 

Le second est le journal, tenu d'octobre 2022 à octobre 2023 par la jeune slameuse hongroise Lili PANKOTAI sous le titre, tiré de la performance qui a fait sa jeune popularité en octobre 2022 "Nous sommes le présent et le putain d'avenir". Lycéenne à Pécs, ville située à 200 km de Budapest, elle a pris la parole lors d'un rassemblement national contre la politique éducative du gouvernement Orbàn. De là datent sa popularité...et ses ennuis. Soutenue par ses parents, elle doit cependant faire face aux injures publiques et privées, et aux pressions de son établissement "chrétien conservateur" : la direction et les professeurs unis la marginalisent et la poussent à quitter l'établissement "de son plein gré". Ses camarades n'osent pas se solidariser avec elle. Au bout d'un mois, en accord avec ses parents, elle rejoint un lycée alternatif de Budapest où elle profite d'une tout autre ambiance. Cela lui permet de continuer à s'investir dans l'opposition à la caporalisation en cours de l'Education et dans la lutte pour le climat, tout en gardant des liens avec ses amis de Pécs.

Cette découverte d'une mouvance anti-Orbàn très jeune et dynamique est roborative.

 

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