Les enjeux du débat sur l'immigration

Publié le par Henri LOURDOU

Les enjeux du débat sur l'immigration

 

 

J'avais relevé une tribune polémique de Didier LESCHI, directeur général de l'OFII (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration) dans "Le Monde" daté 25-10-23.

Il avait pris comme angle de s'attaquer aux bons sentiments des "humanitaires" au nom d'un réalisme économique basé sur la justice sociale et la haute autorité du père fondateur du marxisme, Friedrich ENGELS. D'après lui donc, et c'était le titre de sa tribune, "Une fraction du patronat utilise une forte proportion d'immigrés pour faire pression à la baisse sur les salaires". Et de s'appuyer sur ENGELS dans sa conclusion, selon lequel l'un des moyens des puissants du monde d'affaiblir les résistances populaires est de créer les conditions d'une "humanité nomade". Autrement dit, les "no borders" et leurs complices humanitaires seraient des Gribouilles qui concourent à la dégradation des conditions de vie des salariés. Les frontières seraient des protections sociales avant tout.

Ce faisant, il omettait cependant deux ou trois choses.

La première est que "la pression à la baisse sur les salaires" s'appuie avant tout sur l'absence de titre de séjour des immigrés employés. Or, faut-il le rappeler, l'octroi de ces titres dépend de la loi ou d'une décision administrative d'un préfet : il s'agit donc bien d'un choix politique, que LESCHI, en employé zélé, se garde bien de mettre en question, contrairement à son ex-collègue, Pascal BRICE, qui démissionna de son poste de directeur de l'OFPRA pour cette raison.

La deuxième est que la réponse à cela est la lutte pour des titres de séjour, que lesdits immigrés n'ont pas attendu Didier LESCHI pour mener, et qui s'inscrit dans une longue tradition de solidarité ouvrière et populaire : là est la force des résistances populaires que les puissants du monde veulent affaiblir.

La troisième est que malgré les trous persistants dans le filet des frontières, que Didier LESCHI constate en dénonçant l'idée des humanitaires que l"Europe serait devenue une "forteresse", de nombreuse personnes trouvent aujourd'hui la mort à nos frontières et la précarité une fois arrivées : c'est bien une volonté de non-accueil qui est à l'oeuvre, et non une "excessive générosité" entraînant le fameux "appel d'air" que tous nos politiques dénoncent ou redoutent.

 

 

Il en découle que les constats de LESCHI sont biaisés. Et que son discours, qui se veut réaliste et équilibré, n'aboutit qu'à une chose : un alignement sur les demandes de l'extrême-droite au nom de la protection d'un peuple qui serait menacé par la vague migratoire.

Cela au diapason des social-démocraties danoise et suédoise qu'il invoque. Il pourra d'ailleurs y ajouter prochainement la social-démocratie allemande...

Un peu d'Histoire ne fait pas de mal. Nous pouvons ainsi relever que dans les années 30, ces mêmes social-démocraties avaient déjà pavé la route du fascisme en cédant pareillement aux discours et pratiques xénophobes pour soi-disant protéger la classe ouvrière.

L'Histoire bien sûr ne se répète pas à l'identique. Mais il faut en tirer des leçons.

La principale ici est qu'il ne sert à rien de composer avec le fascisme en prétendant répondre mieux que lui au besoin de protection des classes populaires par les mêmes remèdes.

 

Oui, la pression migratoire augmente en Europe. Mais la bonne réponse n'est pas, comme le prétend LESCHI, dans le renforcement du non-accueil, en s'inscrivant dans la course au moins-disant social, mais au contraire dans l'ouverture d'autre voies que la seule demande d'asile, aujourd'hui thrombosée et détournée (et pour cause : son cadre ne correspond pas à toutes les raisons actuelles des migrations, qui vont bien au-delà de la persécution personnelle telle que définie par la Convention de Genève de 1951). En améliorant les conditions d'accueil par l'ouverture systématique d'un droit au travail, un apprentissage accéléré de la langue française, etc. C'est la pratique de la solidarité qui protège les faibles, non leur mise en concurrence.

 

Face à un monde qui change, la bonne réponse est bien une vraie politique d'accueil et d'hospitalité. Il faut totalement inverser le logiciel politique à l'oeuvre qui ne fait que renforcer le fascisme.

On peut regretter que cette proposition soit absente du dossier consacré par la "Tribune du dimanche" du 29-10 à cette question en ne donnant la parole, une fois de plus, qu'au seul Didier LESCHI, décidément très présent.

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