Anne DUFOURMANTELLE Puissance de la douceur

Publié le par Henri LOURDOU

Anne DUFOURMANTELLE Puissance de la douceur
Annie DUFOURMANTELLE
Puissance de la douceur
Rivages-poche, Petite Bibliothèque, avril 2023 (première édition 2013), 136 p.

 

 

J'ai acheté ce livre au Havre cet été, après avoir été fortement touché par le discours de Marie Toussaint, tête de liste désignée des écologistes pour les élections européennes de juin 2024, qui invitait à convoquer la puissance de la douceur en politique.

 

Livre philosophique et psychologique (Dufourmantelle était à la fois philosophe et psychanalyste), il ne jargonne pas mais, comme le remarque sa préfacière Catherine Malabou, adapte sa forme à son sujet : c'est un livre puissamment doux, ou doucement puissant. Il suggère sans imposer, et procède par notations successives pour cerner son sujet.

Dans son introduction, elle rapproche cette notion d'autres notions "en marge des concepts arraisonnés par la grande histoire de la pensée" : "L'innocence, le courage, l'émerveillement, la vulnérabilité" qui sont "eux aussi regardés d'un oeil inquiet par la philosophie" (p 19).

Pourquoi ai-je eu ce sentiment de reconnaissance en entendant Marie Toussaint évoquer cette puissance de la douceur ?

Je m'en suis aperçu au moment de rédiger ce compte-rendu en retombant, un peu par hasard, sur cet ancien compte-rendu de lecture de février dernier que j'avais un peu oublié

 

Je m'aperçois que j'y utilisais cette formule sans me souvenir d'où je l'ai tirée...

Cela me confirme dans l'idée de la portée universelle de ce concept et de son importance.

 

Lever les malentendus sur la douceur

 

Et d'abord dans la levée de malentendus à son sujet.

Ce que commence à faire Dufourmantelle dans son introduction : "De nos jours, la douceur nous est vendue sous sa forme frelatée de mièvrerie. En l'exaltant dans l'infantile, l'époque la dénie. C'est ainsi que l'on tente de venir à bout des hautes exigences de sa subtilité, non plus en la combattant, mais en la lénifiant. Le langage lui-même s'en trouve perverti : ce que notre société destine aux êtres humains qu'elle broie "en douceur", elle le fera au nom des valeurs les plus élevées : bonheur, vérité, sécurité." (pp 20-21)

 

De plus, "la douceur est inquiétante. Nous la désirons, mais elle est irrecevable. Quand ils ne sont pas méprisés, les doux sont persécutés ou sanctifiés. Nous les abandonnons parce que la douceur comme puissance nous oppose en réalité à notre propre faiblesse." (p 24)

il faut donc oser être consciemment doux, et plus encore oser le revendiquer.

 

Or, "sans elle, aucune possibilité que la vie s'augmente dans son devenir" (ibid).

Il y a donc le sentiment prégnant d'un manque lorsqu'elle est absente.

De plus son registre s'étend "au-delà du règne du vivant"(p 25) "dans la relation sensible à toute chose"(ibid).

 

Les registres infinis de la douceur

 

La douceur se rapporte à nos origines : "là où mère et enfant ne font qu'un, corps fusionnés, la douceur évoque un paradis perdu", mais céder à sa pure nostalgie serait une illusion, car elle vient "après la séparation, la déchirure de la respiration, après la faim, après l'angoisse, après le cri."

Elle présuppose donc l'expérience et l'existence de son contraire : la cruauté de l'existence. Elle constitue donc une expérience à créer, mais difficile ou impossible à contrôler.

Celle-ci passe par la prise de soin, l'intelligence de la relation, la mise en oeuvre de la puissance vitale, l'usage de tout l'éventail de la sensibilité.

Elle est soumise au risque de l'instrumentalisation mercantile, mais aussi langagière.

En particulier, elle pose la redoutable question du pardon : si celui-ci peut constituer une délivrance à la fois pour "celui qui peut l'octroyer" et pour "celui qui le reçoit", il ne peut être effectif qu'accompagné de la douceur.

Celle-ci ne devient une puissance symbolique que si elle est au service de la justice.

Mais elle suppose aussi une prise de risque : celui d'apparaître comme dérogeant à "toutes les règles du savoir vivre social" (p 78). Car ceux qui la portent "ne portent pas le combat là où il a lieu habituellement" (ibid.)

Mais sa force est qu'elle "s'éprouve" : "sa puissance se distille par les sens" (p 80)

Son contraire n'est pas "la brutalité ou la violence-même, c'est la contrefaçon de la douceur : ce qui la pervertit en la mimant. Toutes les formes de compromissions, de suavité frelatée, de bouillie sentimentale."(p 83)

Mais l'exercice de cette force demande elle-même de la force.

Notamment celle de refuser cette fausse empathie que constitue la "sentimentalisation" et qui conduit à accepter collectivement l'injustifiable (p 88).

On en connaît aujourd'hui maints exemples...

Enfin, la douceur est un instrument de sortie du trauma : à travers l'écoute et la restauration d'un lien humain, elle permet de recréer de la fraternité et du désir. (pp 103-114)

 

Douceur et politique : quelques commentaires

 

Face à l'exhibitionnisme émotionnel généralisé, accompagné d'étalage de bons sentiments, la lucidité est un exercice de plus en plus contraignant, qui demande temps et rigueur.

 

Cette lucidité qui accompagne la douceur explique son caractère souvent scandaleux. C'est pourquoi elle a naturellement toute sa place dans une politique écologiste.

 

Ainsi, j'apporterais quelques compléments à l'analyse de Dufourmantelle.

Lorsqu'elle écrit que son contraire n'est pas "la brutalité ou la violence-même, c'est la contrefaçon de la douceur : ce qui la pervertit en la mimant", il me semble qu'elle omet autre chose : le ressentiment, fruit de l'impuissance et de l'envie, qui nourrit la haine des puissants, et qui débouche très souvent, comme on peut aujourd'hui le voir, sur le choix de bouc-émissaires parmi les minorités discriminées plus faciles à atteindre que ces puissants. C'est aujourd'hui le contraire de la douceur en politique.

Celle-ci reposant au contraire sur l'empathie envers les faibles et les opprimés, et l'analyse des causes de leur faiblesse et de leur oppression : ici on retrouve la lucidité évoquée plus haut.

Cette lucidité, nous en avons terriblement besoin face à des événements traumatisants. Ce sera l'objet de mon prochain article.

 

 

 

Publié dans Verts et EELV, politique

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