Les deux paradoxes de la guerre en Ukraine et comment les dépasser

Publié le par Henri LOURDOU

Les deux paradoxes de la guerre en Ukraine et comment les dépasser

Les deux paradoxes de la guerre en Ukraine

et comment les dépasser.

 

Face à un conflit armé qui s'éternise, on est tenté soit de baisser les bras, soit de choisir une solution de fuite en avant dont on perçoit bien pourtant le caractère vain et dangereux.

J'ai passé beaucoup de temps depuis dix-huit mois à combattre une tendance trop répandue à gauche qui est celle de la dénonciation de l'impérialisme américain comme responsable réel d'une agression qu'il s'agirait au fond d'excuser en donnant en gage à l'agresseur le terrain d'ores et déjà conquis. Outre son caractère moralement choquant, cette solution soi-disant "réaliste" contient en elle la prolongation éternelle du conflit; et un encouragement à d'autres à pratiquer l'agression contre leur voisin.

Cependant, l'autre option apparemment seule présente sur la table, c'est-à-dire l'aide militaire à l'Ukraine pour résister à cette agression, n'est guère plus satisfaisante.

Il n'y a guère d'autre chemin, toute réflexion faite, que de poser les deux paradoxes de cette guerre et d'y opposer deux remèdes radicaux, dont l'apparent irréalisme pourrait seulement être dépassé à condition d'abord de les formuler et de les porter politiquement.

 

Le premier paradoxe de la guerre en Ukraine : pourquoi la Charte des Nations unies, universellement acceptée, n'est-elle pas respectée ?

 

Il y a eu plusieurs votes à l'ONU pour condamner les entreprises de conquête de la Russie de Poutine, démarrées rappelons-le avec l'annexion unilatérale de la Crimée en 2014.

Ces votes s'appuient sur un article très clair de la Charte des Nations unies. C'est l'article 2 qui, dans son alinéa 4 stipule : "Les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force (...) contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance de tout Etat."

 

Le premier intervient à l'Assemblée Générale le 27 mars 2014 :

 

https://press.un.org/fr/2014/ag11493.doc.htm

 

L’ASSEMBLÉE ADOPTE UNE RÉSOLUTION SOULIGNANT QUE « LE RÉFÉRENDUM ORGANISÉ EN RÉPUBLIQUE AUTONOME DE CRIMÉE

 

ET LA VILLE DE SÉBASTOPOL LE 16 MARS 2014 N’A AUCUNE VALIDITÉ »

 

L’Assemblée générale a adopté aujourd’hui par vote une résolution sur « l’intégrité territoriale de l’Ukraine » dans laquelle elle souligne que le référendum organisé en République autonome de Crimée et dans la ville de Sébastopol, le 16 mars, n’a aucune validité. La résolution a été présentée par le Ministre ukrainien des affaires étrangères devant lequel le représentant de la Fédération de Russie a continué de saluer un « évènement véritablement historique, au cours duquel, par une écrasante majorité, la Crimée a été réunifiée à la Russie ».

 

Ce qui nous réunit aujourd’hui est un problème « d’une importance extrême, d’une importance capitale pour l’Ukraine et d’une importance cruciale pour les Nations Unies », a déclaré M. Andrii Deshchytsia, Ministre des affaires étrangères par intérim de l’Ukraine. Le mois qui vient de passer nous a coûté très cher. L’inaction pourrait nous coûter l’Organisation, a prévenu le Ministre. « Voter pour la résolution, c’est voter pour la Charte des Nations Unies. Voter contre ou s’abstenir, c’est la compromettre. »

 

  1. Deshchytsia a été entendu: la résolution a été adoptée par 100 voix pour, 11 voix contre et 58 abstentions**. Elle souligne que le référendum organisé dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol le 16 mars 2014 n’a aucune validité et ne saurait donc servir de fondement à une quelconque modification du statut de ces deux entités. Elle demande à tous les États de ne reconnaître aucune modification et de s’abstenir de tout acte ou contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance de ce statut modifié.

 

Deux autres ont lieu en 2022 et 2023 à propos de l'invasion initiée par la Russie le 24 février 2022 :

 

Celle du 2 mars 2022 est ainsi présentée sur le site de l'ONU :

 

Le texte a été adopté par 141 votes pour, 5 votes contre (Russie, Bélarus, Erythrée, Corée du Nord et Syrie) et 35 abstentions. La résolution, qui était coparrainée par 96 Etats membres, nécessitait une majorité des deux tiers pour être adoptée. Elle n'est pas contraignante.

 

Ce vote intervient quelques jours après que la Russie a opposé son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité qui déplorait également l'agression de l’Ukraine par la Russie.

 

Il n’y a pas de droit de veto à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui réunit 193 Etats membres.

 

La résolution adoptée par l’Assemblée générale « réaffirme son engagement envers la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, s’étendant à ses eaux territoriales ».

 

Elle « déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte » des Nations Unies et « exige que la Fédération de Russie cesse immédiatement d’employer la force contre l’Ukraine et s’abstienne de tout nouveau recours illicite à la menace ou à l’emploi de la force contre tout État Membre ».

 

L’Assemblée générale « exige également que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays ».

https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472

 

La deuxième, votée le 23 février 2023, est adoptée par 141 voix pour, 7 contre (Bélarus, Corée du Nord, Erythrée, Nicaragua, Mali, Russie et Syrie) et 32 abstentions. Elle reprend les mêmes condamnations avec les mêmes arguments. Et y ajoute la nécessité de poursuivre les crimes de guerre commis depuis un an.

https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132607

 

Le paradoxe, présenté par l'ONU elle-même, est que ces votes n'ont pas de valeur contraignante, et que la possibilité d'une action de contrainte dans le cadre de l'ONU est empêchée par l'exercice de son droit de veto par la Russie au sein du Conseil de Sécurité de l'ONU qui seul aurait pu en décider.

Ainsi, alors que les principes constitutifs de l'ONU sont rappelés par plus des deux tiers de ses membres, ils ne peuvent être défendus en pratique, du fait que l'un des 5 détenteurs de ce droit de veto est partie prenante d'une violation flagrante de ces principes.

 

 

Une réflexion juridique cependant existe à ce sujet et pourrait amener à une modification de l'exercice de ce droit de veto : il pourrait être remis en cause, a minima, lorsqu'un des possesseurs de ce droit viole de façon flagrante les principes de la Charte.

Porter cette demande de réforme cependant suppose d'établir clairement qu'il ne saurait y avoir deux poids et deux mesures : la pratique par les USA à 53 reprises (source : Ziad Majed au Festival International de Journalisme de Couthures le 16-7-23) de son droit de veto concernant la violation par Israël des résolutions de l'ONU constitue à cet égard un point de blocage, bien que la Russie (selon la même source) ait exercé de son côté 13 fois son veto à des résolutions concernant la Syrie.

Dépasser ce premier paradoxe de la guerre en Ukraine exige donc, tout comme pour le second que nous alllons examiner, oser sortir du système des Grandes Puissances pour avancer vers une véritable démocratie mondiale fondée sur un Etat de droit mondial. Cela suppose de s'appuyer sur l'opinion publique mondiale en soldant définitivement le contentieux postcolonial de l'Europe. Ainsi serait traitée la question de l'abstention d'une partie du "Sud global" face à la guerre en Ukraine.

 

Le deuxième paradoxe de la guerre en Ukraine : quand la possession de l'arme nucléaire vaut permission d'agresser ceux qui ne l'ont pas.

 

Dans la retenue de l'Occident, et singulièrement des Etats-unis, dans leur aide militaire à l'Ukraine, on peut voir l'effet de la possession de l'arme nucléaire par la Russie. Et en effet, Vladimir Poutine en a agité la menace dès le début de son aventure militaire.

Mais on peut aussi y voir, la raison majeure de cette agression : en sanctuarisant son pays par la dissuasion nucléaire, Poutine se donne l'autorisation de porter la guerre à l'extérieur.

Cette forme d'insouciance peut être élargie à tous les Etats détenteurs officiels ou officieux de l'arme nucléaire.

Mais là aussi, l'avancée de la démocratie mondiale existe. Elle porte depuis 2017 un nom : le Traité d'Interdiction des Armes Nucléaires (Tian) voté par l'Assemblée générale de l'Onu, et aujourd'hui ratifié par 68 Etats.

La signature et la ratification de ce traité par l'une au moins des puissances nucléaires acterait le passage à une véritable démocratie mondiale et la sortie du système des Grandes Puissances. Si la France prétend encore jouer un rôle dans le monde, ce pourrait être justement celui-là ! Et cela permettrait également de dépasser le deuxième paradoxe de cette guerre. Encore faudrait-il, là encore, mettre cette question dans le débat public.

Publié dans Europe, politique

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