Isabelle MANDRAUD et Julien THEROND Le pacte des autocrates

Publié le par Henri LOURDOU

Isabelle MANDRAUD et Julien THEROND Le pacte des autocrates
Isabelle MANDRAUD et Julien THERON
Le pacte des autocrates
Robert Laffont, avril 2023, 216 p.

 

Les faits patiemment et rigoureusement rassemblés dans ce livre, mis bout à bout posent deux terribles questions :

  1. Comment une telle cécité collective de nos dirigeants européens a-t-elle pu être possible ?

  2. Sommes-nous prêts à défendre nos (imparfaites) démocraties et les droits humains (trop évidents ?) dont nous disposons ?

En écho à ce livre, j'entends encore la voix, mezzo voce, du très respectable démocrate franco-syrien Farouk MARDAM-BEY, lors d'une mémorable table-ronde du dernier Festival international de Journalisme de Couthures consacrée à la question "La révolte en Iran, réédition des printemps arabes ?" Il disait ceci, presque en s'excusant, de peur sans doute de choquer : "Il ne faut pas sous-estimer la montée de la haine de l'Occident dans le monde."

Il avait parfaitement raison pourtant de nous alerter sur ce point, car cette haine, sur laquelle je vais revenir, est le carburant du "pacte des autocrates" ici décrit. C'est elle qui est en train de permettre à XI Jinping, à Poutine et à leurs alliés de conquérir de l'influence dans ce "Sud global" qui peut faire la différence entre les "vieilles démocraties occidentales" et les "jeunes autocraties orientales" qui entendent bousculer l'ordre mondial.

 

Il y a, derrière tout cela, un paradoxe : alors que les aspirations à la liberté et à l'égalité se diffusent partout et n'ont jamais été aussi fortes, en même temps, les autocraties (qui sont aussi des kleptocraties renforçant les inégalités en plus de supprimer les libertés) semblent avoir le champ libre pour détruire peu à peu le cadre onusien construit sur ces valeurs de liberté, d'égalité et de droits humains universels dans le cadre d'un Etat de droit.

Ainsi, comment est-il possible qu'une résolution de l'AG de l'ONU exigeant le respect par la Russie des frontières internationalement reconnues de l'Ukraine n'ait pas recueilli, en février 2023, davantage que les 141 voix obtenues un an plus tôt, malgré les atrocités commises depuis par les troupes russes ? Comment se fait-il qu'aux rares alliés de Moscou ayant voté contre (Biélorussie, Syrie, Corée du Nord...) se soient joints deux pays de plus (Mali et Nicaragua) ?

C'est ainsi qu'est de plus en plus ouvertement contesté dans les faits le socle de l'ordre juridique mondial construit en 1945 sur la défaite du fascisme (Charte des Nations unies) peu à peu complété (Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948, Pactes divers la concrétisant dans des traités juridiquement contraignants, dont notamment la création d'une Cour Pénale Internationale en 1997 (Statut de Rome).

Cette contestation n'est pas frontale, mais adossée à celle d'une domination occidentale, symbolisée par l'hyperpuissance américaine, qui a couvert diverses entorses à ces principes en s'appuyant sur l'écrasante supériorité économique et militaire dont elle disposait. Or cette double supériorité est de moins en moins assurée.

Le cas d'Israël et de la Palestine est le plus flagrant : 53 vétos américains ont empêché le Conseil de Sécurité d'agir contre la violation par Israël du Droit international.

Mais le cas des migrants subsahariens et asiatiques aux portes de l'Europe, celui des migrants latino-américains aux portes des USA affectent plus de monde. C'est celui-ci, me semble-t-il, qui est le principal aliment de la haine de l'Occident dans le reste du monde. Et sur celui-ci, nous avons davantage la main en tant que simples citoyens. D'autant qu'à cela s'ajoute le formidable retour du refoulé de la sanglante domination européenne sur le reste du monde pendant cinq siècles.

Si nous voulons sauver nos imparfaites démocraties et préserver nos fragiles droits humains, nous avons des leviers en main.

Ces leviers, quels sont-ils ?

-D'abord, la solidarité avec toutes les victimes de l'injustice dans le monde, en cessant d'opposer les unes aux autres ou d'établir de fausses priorités obéissant de fait aux manipulations des dictatures. Soutenir les Ukrainiens est ainsi aussi important, mais pas plus, ni moins, que, par exemple, de soutenir les Syriens, les Algériens, les Iraniens, les Kurdes, les Ouïgours ou les Palestiniens.

-Ensuite, la lutte prioritaire pour le respect des droits humains universels chez nous et à nos frontières.

-Enfin, l'examen sans concession de l'Histoire de la domination européenne sur le reste du monde et de sa contradiction flagrante avec les principes que nous défendons aujourd'hui.

 

Car c'est en montrant la cohérence entre nos principes et nos actes que nous saurons le mieux couper court à la propagande des autocraties, principalement chinoise et russe, qui tentent de semer le trouble et la division dans nos sociétés occidentales et de gagner à elles certaines sociétés du "Sud global".

 

Il y a cependant un autre aspect de la question qui met en cause notre pacifisme et notre antimilitarisme de principe. Il s'agit de la nécessaire résistance face aux agressions militaires, comme celle qui se déroule en ce moment en Ukraine, ou celle qui se prépare contre Taïwan.

Dans ces deux occurrences, nous nous trouvons face à un dilemme moral un peu comparable à celui des démocraties en 1941 : fallait-il accepter de s'allier à Staline contre Hitler? Faut-il, aujourd'hui, accepter le cadre de l'Otan pour soutenir l'Ukraine ? Pour moi, la réponse ne fait pas de doute, comme pour toute la gauche ukrainienne jusque-là anti-Otan.

Ce qui peut légitimer et donner du sens à ce choix est la critique maintenue contre les incohérences occidentales, et notamment US, quant à l'application partout et toujours de la défense des Droits humains et du Droit international.

Moyennant cela, nous aurons toutes les raisons de nous opposer frontalement à ce "pacte des autocrates" ici bien décrit et documenté : celui des XI Jin-Ping, Vladimir POUTINE et de leurs complices Narendra MODI, Bachar AL ASSAD, Recep Tayip ERDOGAN, etc... et à leurs entreprises impérialistes.

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