Gouzel IAKHINA Les enfants de la Volga

Publié le par Henri LOURDOU

Gouzel IAKHINA Les enfants de la Volga

Gouzel IAKHINA

Les enfants de la Volga

traduit du russe par Maud MABILLARD

2021, Libretto, avril 2023, 616 p.

 

Ce roman est le deuxième d'une jeune romancière russe née en 1977 à Kazan. Il est suivi d'une postface dithyrambique d'Elena KOSTIOUKOVITCH (qui ne nous est pas présentée) et encadré par une note historique introductive et des commentaires sur certains passages de la traductrice. Une carte introductive pour situer les lieux du roman est bien utile.

Le style relève du réalisme poétique et me fait beaucoup penser au "Cent ans de solitude" de Gabriel GARCIA MARQUEZ. Comme celui-ci, ce livre a produit sur moi une impression un peu mitigée : emporté par sa puissance d'évocation, j'ai eu cependant parfois le sentiment que l'auteur en faisait un peu trop.

C'est notamment le cas dans les trois épisodes intercalés dans le récit principal (pp 317-45, 499-516 et 557-73) où l'autrice fait intervenir le "guide des peuples", Staline. Car ici, bien que le récit semble par ailleurs fort bien documenté, le rôle propre de Staline dans le destin des Allemands de la Volga me semble un peu trop mêlé de considérations anecdotiques... autrement dit politiquement atténué. Il me semble en particulier choquant que soit évoquée, dans le déroulement de la Grande Terreur de 1937-38 sous Iéjov, l'hypothèse d'un excès de zèle des exécutants de base, qui auraient outrepassé les intentions des deux ordonnateurs du massacre (p 565). On ne peut manquer de penser, en l'occurrence, aux tentatives de déni de certaines victimes de cette Grande Terreur faisant appel au "guide des peuples" contre ce qu'ils croient être un excès de pouvoir des "organes" : mythe réduit en pièces par toute la recherche historique sérieuse...

Nonobstant, le récit principal, centré sur le destin du maître d'école Jakob Bach dans le petit village riverain de la Volga Gnadenthal, évoque de façon fascinante la vie de cette communauté des Allemands de la Volga, présente depuis le règne de Catherine II au XVIIIe siècle, et déportée par Staline en septembre 1941 comme le rappelle l'épilogue (p 593).

Il reste cependant qu'en ces temps néo-staliniens du poutinisme conquérant, qui exigerait de tout écrivain russe un engagement clair, les ambiguïtés du récit évoquées plus haut ont suscité ma méfiance.

J'ai vérifié du coup le positionnement éventuel de Gouzel IAKHINA sur "l'opération militaire spéciale" en cours en Ukraine depuis le 24 février 22. J'ai été rassuré. Elle a fait le choix, particulièrement difficile, de rester en Russie sans se compromettre avec le pouvoir, et en gardant, autant que possible, un lien avec l'Europe. Les propos qu'elle tient, dans un intervlew de juin 22 à l'hebdomadaire "La Vie" lors de sa venue en France, m'ont paru particulièrement pertinents concernant le rapport au passé récent de la population russe : un rapport fait notamment de repli dans le silence face à la sauvagerie du pouvoir...qui a pour effet de renforcer la résonance des voix, pourtant minoritaires, des thuriféraires zélés du pouvoir. La question alors étant : jusqu'à quand IAKHINA, jusqu'à présent épargnée par la censure, pourra-t-elle encore s'exprimer publiquement ?

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