Besset, Bové, Cohn-Bendit : la tribune de trop ?

BESSET, BOVÉ, COHN-BENDIT :

la tribune de trop ?

"On ne peut pas avoir été et être" répétait souvent ma grand-mère à la fin de sa vie. En commettant, dans "Le Monde" daté 8 et 9 mai 2022, une tribune intitulée "L'accord des Verts avec la France insoumise est une escroquerie", nos trois ex-députés Europe Écologie illustrent à leur manière, et toutes proportions gardées (je leur souhaite une encore longue vie en-dehors de la politique), ce constat.

J'ai longtemps admiré le sens politique de Dany Cohn-Bendit depuis 1968 jusqu'à 2008, où j'ai soutenu sa démarche de rassemblement des écologistes. J'ai partagé dans ma jeunesse le combat de José Bové pour le Larzac, notamment en renvoyant, en 1980, mon livret militaire.

Mais le texte qu'ils co-signent aujourd'hui, caractérisé par l'outrance, le procès d'intention et l'hypocrisie, les place du mauvais côté de l'Histoire qui se fait.

Les accords ayant donné naissance à la "Nupès", la Nouvelle union populaire écologique et sociale, constituent un de ces événements inattendus et bienvenus qui peuvent faire bifurquer le sens de l'Histoire face à une catastrophe attendue : un nouveau quinquennat Macron marqué par l'inactivisme climatique, la désespérance sociale et le délitement démocratique, fourriers de l'extrême-droite.

Ils ne sauraient en aucune manière se réduire à un renoncement, qui n'existe d'ailleurs pas, à critiquer l'action meurtrière de Poutine ou à s'y opposer. Pas plus qu'à une volonté de paralyser ou de détruire la construction européenne.

Il est tout de même inquiétant, pour des écologistes, que votre texte ne dise pas un seul mot des urgences climatiques, sociales et démocratiques auxquelles cette union entend répondre.

Ni du bilan et des perspectives en la matière de la majorité macronienne à laquelle vous contribuez, par votre position, à passer les plats. Et c'est bien, hélas, ce qui restera de votre intervention à contre-emploi : l'image de petits télégraphistes de Macron.

Sur un seul sujet vous trahissez bien davantage vos convictions (passées ?) que cette union ne le fait : celui de l'accueil des exilé·es, aujourd'hui violemment refoulé·es des frontières européennes avec la totale approbation de la majorité gouvernementale que vous soutenez. Lisez donc à ce sujet le dossier accablant du mensuel CQFD de mai 2022. Ce point suffit, à lui seul, au contraire, à fonder notre volonté de construire cette alternative majoritaire à ce gouvernement.

Quant à son inaction climatique, chaque jour ajoute sa pierre à son bilan négatif. Sans parler des autres sujets...

Enfin, concernant la "Nupès", alliance en effet improbable il y a seulement quelques semaines, elle répond à une triple nécessité :

-Celle de répondre aux aspirations au rassemblement de la grande majorité des électrices et électeurs de gauche et écologistes.

-Celle de garantir la pluralité de ce rassemblement (ce que les esprits courts qualifie de défense des postes d'élu ou d'intérêts boutiquiers).

-Celle de répondre à l'urgence climatique et toutes ses conséquences, encore renforcées par la guerre en Ukraine.

Qu'elle soit inaboutie et en partie incohérente constitue un handicap non rédhibitoire, car elle comporte un atout : elle crée un cadre de débat qui jusqu'ici n'existait pas, pour discuter des divergences et les dépasser, en effet, et sur ce seul point vous avez raison, par des compromis.

Et si nous avons, ce que vous et vos amis visiblement craignez, la majorité le 19 juin, le "choc de réalité" sera sans doute aussi fort pour les nouveaux députés LFI, la plupart élevés dans une culture protestataire d'opposition, qu'il l'avait été pour les nouveaux députés PS de 1981. A savoir la nécessité de faire face à la complexité de gouverner un pays comme la France, archipel de nombreuses îles régulièrement tenté par l'apparente facilité autoritaire.

Dans ce chantier, nous vous attendions, mais nous devrons visiblement le mener sans vous. Tant pis pour vous !