De la difficulté d'échanger sur l'immigration

Publié le par Henri LOURDOU

De la difficulté d'échanger sur l'immigration...

 

Notre boîte aux lettres publique du Réseau Education Sans Frontières 65 a reçu le courriel suivant :

"Arrêtez vos actions de défense des migrants qui menacent la France. La ville de Tarbes est devenue un ramassis d'africains habillés en “Nike” téléphone à la main qui circulent en trottinette électrique.

Tous les jours des actes d'incivilité et de plus en plus d'agressions se produisent partout dans le pays. Vous vous rendez responsables de tous ces évènements en prônant l'arrivée de migrants qui cachent parmi eux des agresseurs de la France."

Après avoir longuement retourné dans ma tête l'opportunité et la façon d'y répondre, je me suis dit que ce geste témoignait à la fois d'une peur bien réelle, de fantasmes et de préjugés, mais aussi d'une forme d'appel qui demandait une réponse.

J'ai donc rédigé, en mon nom personnel, le courriel suivant :

 

Bonjour monsieur,

J'ai eu connaissance, en tant que membre du comité de pilotage de ce réseau, du
courriel que vous avez adressé à RESF 65 nous enjoignant d'
(citation intégrale de son courriel ci-dessus)
Il me semble que vous êtes mal renseigné. Les migrants que nous défendons ne menacent pas la France. Je vous invite à venir le vérifier à nos permanences. Votre vision de Tarbes me semble un peu biaisée : bien qu'y circulant tous les jours, je n'y vois pas le "ramassis" que vous dites. Nous sommes, comme notre nom l'indique un Réseau visant à défendre le droit à l'éducation d'enfants dont les parents sont menacés d'expulsion et vivent dans la plus grande précarité, après avoir souvent dû subir un parcours migratoire très dangereux. Ce ne sont pas des touristes qui ont pris l'avion... Et ils n'ont pas quitté leur pays, leur famille et leurs amis de gaîté de coeur. Ces enfants n'ont ni Nike ni trottinettes électriques...
Que les migrations se développent dans le monde où nous vivons est un fait auquel nous ne pouvons pas grand chose. Notre devoir est de l'accompagner au mieux en respectant la dignité des personnes. C'est tout ce à quoi nous prétendons.
Quant à la montée des incivilités et aux agressions, je vous suggère d'objectiver un peu vos impressions en faisant une cure d'abstinence des chaînes d'info en ligne et des réseaux sociaux...et en vous reportant aux statistiques publiques et aux enquêtes scientifiques qui établissent la baisse continue du niveau de violence dans notre pays.
Je vous souhaite un peu plus de recul et de sérénité. La peur est toujours mauvaise conseillère.

Je m'aperçois, à relecture que je n'ai pas su me défaire complètement d'une forme de condescendance qui a, bien sûr, été très mal prise si j'en crois la réponse suivante :

 

Quand on voit votre tête il n’y a aucun doute quant à votre degré de citoyen borné qui refuse de voir la réalité…CQFD (suivi d'une émoticône : un pouce baissé)

Envoyé de mon iPhone


 

Mon sang n'a fait qu'un tour et j'ai juste répondu :
Délit de sale gueule ? De mieux en mieux ...
Ce qui a clos l'échange.

 
Que retenir de cette tentative avortée ?
Qu'il est difficile de créer les conditions d'un échange civilisé sur cette question. Peur, mépris et colère d'un côté, qu'il s'agit de désamorcer pour parler des vraies personnes concernées et de leur situation réelle : 99,9% des migrants ne sont pas des terroristes infiltrés, ils ne bénéficient d'aucun passe-droit mais sont au contraire en butte au soupçon et aux tracasseries administratives en cascade, dans une situation de grande précarité matérielle, et après un parcours migratoire rendu onéreux, long et dangereux par tous les obstacles mis sur leur route par nos pays d(e non-)accueil.
Comment faire toucher du doigt à ces gens inquiets et convaincus d'être les victimes d'une invasion, ces réalités ?
Or leur nombre, même s'il est encore minoritaire, augmente.
Nos associations font ce qu'elles peuvent pour sensibiliser et susciter des échanges, mais cela reste bien dérisoire face au déchaînement des mensonges, des fantasmes et des préjugés sur les chaînes bollorisées d'info continue (on me souffle que BFMTV, dont l'audience vient d'être dépassée par Cnews, a recours au même sensationnalisme orienté pour redresser son audience...) et leur répercussion infinie sur les réseaux sociaux.
J'avoue mon impuissance, faute d'une claire volonté politique de nos gouvernants et de nos grands partis de gouvernement de se saisir pleinement du sujet. Travailler à les y convertir est notre tâche démocratique : n'y renonçons surtout pas !
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