Philippe PELLETIER Noir et Vert

Publié le par Henri LOURDOU

Philippe PELLETIER Noir et Vert
Philippe PELLETIER
Noir et vert
Anarchie et écologie, une histoire croisée
Le Cavalier Bleu, novembre 2020, 206 p.
Une belle démonstration d'anarcho-stalinisme ?

 

Cet ouvrage d'un auteur présenté comme "professeur de géographie à l'Université Lyon 2, spécialiste du Japon, mais aussi d'Élisée Reclus, géographe anarchiste" (4e de couverture) n'est pas, comme les apparences le laisseraient croire, une simple mise au point universitaire.

Malgré sa grande érudition, abondamment sourcée, il s'agit de l'expression polémique d'un point de vue particulier au sein de la galaxie anarchiste : celui d'un courant organisé au sein de la Fédération Anarchiste (FA), fortement lié à une sensibilité ultra-laïciste et anti-religieuse.

Son objectif principal, loin de travailler à une convergence entre écologie et anarchisme, est de dénoncer l'émergence d'un capitalisme vert, dont les écologistes seraient les agents plus ou moins conscients.

Ainsi, dans l'analyse historique, par ailleurs intéressante, qu'il mène de l'anarchisme (pp 23-37) et de l'écologisme (pp 40-58), les incohérences du premier sont sans arrêt minimisées, tandis que celles du second sont au contraire maximisées. Il ne s'agirait pas de laisser croire que ces deux courants d'idées soient au même niveau !

On passera pour l'instant sur les détails (j'y reviendrai dans un Post Scriptum).

Le principal est qu'il conclut son propos par une double profession de foi à peine voilée climatosceptique et anti-vax.

Qu'on en juge : "L'état de l'environnement repose sur un bilan scientifique établi par une technocratie de plus en plus arrogante et recadré par un pouvoir économico-politique en fonction de ses intérêts. Alors que le climat est, par exemple, présenté comme une question de vie et de mort, l'enseignement scolaire est à ce sujet est pratiquement inexistant. Simultanément, l'évocation du "développement durable" ou de la "biodiversité" devient un mantra convenu, mais souvent superficiel. Le citoyen est livré en pâture à la surenchère médiatique et au sensationnalisme morbide qui le soumettent à la peur ou à la soumission, tandis que l'écologisme sombre dans l'outrance idéologique." (p 200)

Que faut-il comprendre ?

Que le Giec n'est pas crédible, puisqu'il est nommé par les États, et que donc ses conclusions obéissent aux prescriptions du capitalisme vert en gestation. Et que les écologistes se font les agents de cet agenda caché en sombrant dans "l'outrance idéologique" (ici, on croirait lire le Figaro ou entendre Marine Le Pen ou Emmanuel Macron -pour une fois d'accord).

 

Puis, après avoir affirmé que "la connaissance savante reste un enjeu fondamental", voici ce que nous assène PELLETIER sur "la crise du Covid-19": "D'une part l'argumentaire scientifique a légitimé une gouvernance de la peur au plus grand bénéfice de l'État prompt au caporalisme et à l'infantilisation. D'autre part, les médecins et les experts médicaux ne sont pas d'accord entre eux, malgré la batterie de mesures, de tests, d'expérimentations et rapports effectués dans les hôpitaux ou les laboratoires." (ibid.)

Cette seconde affirmation est notoirement fausse, sauf à considérer le faussaire avéré Raoult comme suffisant à lui seul à briser le consensus scientifique sur la double nécessité du confinement et de la vaccination. Voir à ce sujet récemment la passionnante série d'été (19-7 au 30-8) "Chasseurs de fraude" du "Monde", page "sciences" du mercredi, et notamment celle du 23-8 en large partie consacrée au cas Raoult...

Ainsi PELLETIER se place implicitement -il joue habilement de l'allusion pour garder son vernis "scientifique" et "rationnel"- dans le camp des trop nombreux négationnistes, plus ou moins conspirationnistes ou illuminés, qui ont constitué la mouvance "antivax".

Quant au "caporalisme" et à "l'infantilisation", ce sont , comme auparavant "la surenchère médiatique" et le "sensationnalisme morbide", de commodes prétextes pour faire passer en contrebande le message suivant : le changement climatique comme la pandémie de Covid -19 ne sont pas si importants. Ils ne nécessitent donc, ni l'un ni l'autre, de nous mettre entre les mains de l'État (horreur absolue ! Péché mortel impardonnable ! Comme souvent, les "anti-religieux" proclamés pratiquent eux-mêmes une obsession toute religieuse de la pureté -qui n'empêche cependant pas une forme de dissociation mentale -ou d'hypocrisie : Philippe PELLETIER ne serait-il pas un fonctionnaire d'État ?). Car là est semble-t-il sa motivation principale, qui le conduit à nier tout enjeu écologique global : surtout ne pas valider le rôle des États, en particulier au niveau international, dans la nécessaire lutte conjointe et liée pour la justice sociale et la sauvegarde du vivant et du climat.

 

Ainsi se manifeste une forme de dogmatisme qui conduit à un confusionnisme tout aussi dangereux que celui qu'il dénonce (car il y a bien, à n'en pas douter, une tendance lourde au "capitalisme vert") : celui qui conduit à l'aggravation du changement climatique et à la récurrence mortifère des pandémies que l'extractivisme prédateur du capitalisme climaticide promeut.

 

Post Scriptum : Des allusions perfides au mensonge avéré...

 

Pour "ringardiser" les écolos en affirmant qu'ils racontent n'importe quoi ou presque, Philippe PELLETIER nous jette en pâture le secrétaire national d'EELV David Cormand, à propos de son analyse des inondations dans le Var en novembre 2019. Il ne craint pas de s'abriter sous l'autorité de Météo-France pour affirmer : "Interrogé le lundi 25 novembre 2019 par un journaliste de BFMTV, David Cormand, à l'époque secrétaire national de EELV depuis 2016, élu municipal, conseiller régional et député européen, pointe les causes dans l'ordre suivant. Premièrement, les précipitations ont été très abondantes, supérieures à l'habitude, à cause de la "multiplication des événements climatiques extrêmes". Deuxièmement, la sur-urbanisation et la bétonisation aggravent la situation.

Le second point est vrai. Mais il n'arrive qu'en second. Et le premier point est faux : même Météo-France explique que ces précipitations varoises ne sont ni exceptionnelles (c'est une phénomène météorologique classique), ni même supérieures à la moyenne." (p 67)

 

J'ai entrepris de vérifier cette assertion ; bien m'en a pris, car on prend ici Philippe PELLETIER en flagrant délit de mensonge. Voici ce que dit le site de Météo-France sur cet épisode :

22 au 24 novembre 2019

Inondations dramatiques sur PACA

 

Du 22 au 24 novembre 2019 des précipitations continues génèrent sur 3 jours des cumuls importants sur le Var et les Alpes-Maritimes, provoquant des inondations catastrophiques.

2019_11_22

 

Un système dépressionnaire se met en place entre le golfe de Gascogne et la Méditerranée à partir du 22 novembre 2019. Il fait remonter une masse d’air doux, humide et instable sur le sud-est de la France jusqu’au 24.

En matinée du 23, une dépression se forme dans le Golfe du lion puis se décale lentement vers l’est durant le week-end. Elle a pour effet d’entretenir un flux de sud à sud-est très perturbé sur la Provence jusqu’en milieu de journée du 24.

Dans la nuit du 23 au 24 novembre, les départements du Var et des Alpes-Maritimes sont placés en vigilance rouge fortes pluies, inondations.

 

- Sur le Languedoc les pluies débutent sur les Cévennes en début de matinée du 22 novembre pour se renforcer en soirée du 22 au 23. Elles touchent ensuite la plaine et le littoral de façon plus faible mais continue et faiblissent en matinée du 23

- Sur la région PACA elles touchent en matinée du 22 principalement les départements littoraux, Var et Alpes-Maritimes puis les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et le sud des Alpes-de-Haute-Provence en fin de journée. Elles se renforcent en deuxième partie de nuit du 22 au 23 et perdurent jusqu’en fin de journée du 23 sur le Var et les Alpes-Maritimes pour faiblir en mi-journée du 24.

 

Ces précipitations continues avec des intensités horaires de 5 à 25 mm donnent sur 3 jours des cumuls importants sur le Var (364 mm à Tanneron, 296 mm à Fréjus-Mt-Vinaigre, 265 mm à Entrecasteaux, 254 mm à Bagnols-en-Forêt et Les Mayons) et les Alpes-Maritimes (271 mm à Caussols, 288 mm à Coursegoules, 237 mm à Mandelieu, 234 mm à Chateauneuf-Grasse, 214 mm à Valbonne) provoquant des inondations dramatiques sur l’est du Var et l’ouest des Alpes-Maritimes et la disparition de 6 personnes.

Les cumuls sur 3 jours dépassent aussi les 200 mm :

 

sur les Alpes-de-Haute-Provence : 256 mm à Thorame, 206 mm à Demandolx,

sur la Lozère : 224 mm à Villefort, 215 mm à Altier, 207 mm à St Etienne-Vallée-Française,

sur l’Ardèche : 252 mm à Barnas, 233 mm à Sablières, 222 mm à Montpezat.

 

Le vent d’est à sud-est a aussi soufflé fort sur la région avec des rafales dépassant les 100/110 km/h provoquant une surcote sur le littoral et gênant l’écoulement des rivières.

 

http://pluiesextremes.meteo.fr/france-metropole/Inondations-dramatiques-sur-PACA.html

 

De plus, si l'on explore la répétition de ce genre d'épisodes selon Météo-France dans le département du Var de 1776 à 2022, on compte 59 événements répertoriés, avec la récurrence suivante :

13 événements de 2018 à 2022

12 événements de 2013 à 2017

8 événements de 2008 à 2012

9 événements de 2003 à 2007

ce qui totalise déjà 42 des événements observés sur 59 !

On note ainsi une nette rupture à partir de cette date, avec :

0 événement de 1998 à 2002

3 événements de 1993 à 1997

0 événement de 1988 à 1992

1 événement de 1983 à 1987

2 événements de 1978 à 1982

0 événement de 1973 à 1977

0 événement de 1968 à 1972

1 événement de 1963 à 1967

2 événements de 1958 à 1962

http://pluiesextremes.meteo.fr/france-metropole/-Evenements-memorables-.html

 

 

Au final, je m'aperçois qu'on a affaire ici à une personnalité qui me rappelle par bien des traits une historienne que j'ai épinglée dans ce blog, Annie Lacroix-Riz.

Même érudition de détail, poussée très loin. Même manichéisme à tendance paranoïaque, mettant en avant sa propre chapelle par le soupçon systématique porté sur les Autres, à commencer par les plus proches, ici les écologistes, là les social-démocrates. Même déformation des faits pouvant aller jusqu'au déni, ou au mensonge pur et simple, assené sans état d'âme avec une assurance sans faille.

En sorte qu'on pourrait à bon droit parler ici d'anarcho-stalinisme...

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