Margarete et Milena Une amitié exceptionnelle de deux femmes exceptionnelles

Publié le par Henri LOURDOU

Margarete et Milena Une amitié exceptionnelle de deux femmes exceptionnelles

Margarete et Milena :

Histoire d'une amitié exceptionnelle

entre deux femmes d'exception.

 

Elles se sont rencontré à Ravensbrück en octobre 1940, alors que, toutes deux déportées pour raisons politiques, en tant qu'opposantes au nazisme, elles se heurtaient toutes deux à la bigoterie de leurs camarades staliniennes.

Leur amitié débute à l'instant-même de leur rencontre : "Dès la première heure, Milena et moi avons été amies et nous le sommes restées – à la vie et à la mort – tout au long de ces quatre années de camp. Je remercie le destin de m'avoir envoyée à Ravensbrück et de m'avoir permis d'y rencontrer Milena." ("Déportée à Ravensbrück", p 73-4).

On voit bien là qu'il ne s'agit pas de n'importe quelle amitié. Il y a entre elles une forme de communion intellectuelle totale qui les amène d'ailleurs à concevoir un projet commun : celui d'un livre à quatre mains comparant les camps soviétiques et nazis, et que, malheureusement, Margarete devra réaliser seule.

Le chagrin ressenti à la mort de Milena, le 17 mai 1944, ne sera dépassé que par un investissement puissant de sa mémoire, qui débouchera également sur un autre livre. Et c'est totalement cohérent avec la personne qu'elle fut, et qui n'a pu, comme bien d'autres, fauchées par les totalitarismes, donner toute sa mesure, celle d'une future grande écrivaine qui ne nous aura laissé que ses gammes, au lieu des grands morceaux qu'elle portait en elle.

 

Une même détermination lucide

 

Toutes deux, ce n'est pas un hasard, ont été communistes , et toutes deux, ce n'est pas non plus un hasard, ont rompu radicalement avec le communisme au nom-même de ce qui les y avait amenées. A savoir un sens aigu de la justice et un goût immodéré pour la vérité. Elle n'ont transigé ni avec l'une, ni avec l'autre. Elles ne pouvaient donc s'accommoder, comme d'autres, des injustices flagrantes du système et de ses vérités successives et contradictoires.

Cette détermination s'appuyait aussi sur une belle intelligence : et c'est bien cela qui leur procurait à toutes deux cette terrible lucidité.

 

Deux fortes personnalités

 

Margarete nous décrit ainsi Milena : "La force de sa personnalité m'a fascinée dès le premier instant. En dépit de sa maladie, elle conserva cette force hors du commun jusqu'à sa mort."("Déportée à Ravensbrück", p 74).

"Elle avait un sens de la justice très prononcé, une grande indépendance d'esprit et un esprit de contradiction inné; tout ceci la conduisit au début des années 30 au communisme." (ibid)

"Mais, ajoute-t-elle, il était impossible qu'un être aussi honnête ne finisse pas par entrer en conflit avec la discipline du Parti. Milena n'appartint au PC que quelques années. Dès 1936 elle en fut exclue."

Puis, évoquant son amour de jeunesse avec Kafka, entre 1920 et 1922 (elle a alors entre 24 et 26 ans, et lui quinze de plus), et la façon dont il parle d'elle dans son Journal, et dont il s'adresse à elle dans ses Lettres, elle remarque : "Kafka avait identifié en elle un être fort, confiant en lui-même, fier."(p 76)

Ce portrait sera précisé et approfondi dans l'enquête menée ultérieurement sur son enfance et sa jeunesse, et j'y reviendrai.

Quant à Margarete, nous ne pouvons nous appuyer que sur le "portrait en creux" que dessinent ses livres et ses interventions publiques. J'aurais voulu néanmoins y ajouter ce qu'en dit sa fille, Judith Buber Agassi à partir de sa préface de "Déportée en Sibérie", mais je m'aperçois en la relisant qu'elle ne contient rien de personnel sur sa mère. J'ai recherché de tels éléments dans sa notice wikipédia (notice en anglais seulement) : "Judith Buber est née à Heppenheim , en Allemagne, le 17 juin 1924, chez ses grands-parents, Paula et Martin Buber. Ses parents Rafael Buber et sa première épouse Margarete Buber-Neumann y ont vécu pendant un an, avec la sœur aînée de Judith, Barbara. Après le divorce du couple, Rafael a obtenu la garde et les filles ont été élevées au domicile de leurs grands-parents à Heppenheim. Elle a émigré à Jérusalem en mars 1938. Elle a fait ses études au Beth Hakerem High School et à l' Université hébraïque de Jérusalem , obtenant son diplôme en 1951 avec une maîtrise en histoire. En 1949, elle épousa le philosophe Joseph Agassi ."

On y comprend qu'elle n'a vraiment connu sa mère qu'à l'âge adulte. Celle-ci avait 23 ans lorqu'elle lui a donné le jour, et a divorcé de son père à l'âge de 28 ans.

Il est donc remarquable que l'essentiel de son oeuvre de sociologue ait porté "sur les femmes , le travail et l'expérience des personnes emprisonnées dans le camp de concentration de Ravensbrück ." Cette focalisation sur l'expérience vécue par sa mère plaide pour l'existence d'une relation très forte entre elles. Ce qui est confirmé par l'appréciation très positive, bien que médiatisée par des citations d'autres auteurs, qu'elle porte sur son témoignage et son action. Elle conclut en effet sa préface par ce jugement de Tzvetan TODOROV : celui-ci la cite dans son livre "Mémoire du mal, tentation du bien" comme l'une des six personnalités (aux côtés de Vassili Grossman, David Rousset, Primo Levi, Romain Gary et Germaine Tillion) qui, au vingtième siècle, ont su "traverser le mal sans se prendre pour une incarnation du bien". Et de conclure : "On sort de la lecture de ses livres un peu plus confiant dans les ressources de l'espèce humaine." ("Déportée en Sibérie", p 13.)

Et en effet, si nous nous en tenons à ces lectures, nous avons l'image d'une personne rayonnante, toujours ouverte sur les autres et prenant partout où elle passe des responsabilités pour les protéger sans les materner, les juger ou les diriger, suscitant donc par cela-même de nombreuses sympathies. Il y a chez elle à l'évidence un sens des valeurs spontané qui lui donne toujours instinctivement l'attitude à adopter... ceci joint à un sens très pragmatique des réalités qui lui évite les conflits perdus d'avance et le destin mortel que la menée de tels conflits aurait inévitablement amené dans les circonstances où elle se trouvait. Ainsi, sans jamais se compromettre, elle arrive quatre ans durant, à survivre en passant "entre les mailles du filet".

Milena est de cinq ans son aînée, mais si son inébranlable insoumission à l'ordre du camp, sa joie de vivre, la fascinent, elles la font aussi trembler pour elle. Et de fait, elle va sans cesse chercher, en évitant toujours de heurter sa fierté, à la protéger de son excessive confiance en elle.


 

Milena avant Margarete


 

Dans "Déportée à Ravensbrück" on n'a que quelques indications (p 74-5) : fille d'un médecin pragois connu (également professeur d'université), elle a écrit dès les années 20 dans différents journaux pragois, et devient très vite l'une des journalistes tchèques les plus connues, et travaille dans une revue libérale de gauche Prtitomnost durant les dernières années précédent son arrestation, en 1939. Dès l'occupation de la Tchécoslovaquie par les nazis le 15 mars 1939, elle rejoint la résistance et s'occupe de faire passer à l'étranger des juifs, des aviateurs et des officiers tchèques. Elle parle de son amour pour Kafka entre 1920 et 1922 : il "avait exercé une profonde influence sur son évolution humaine et spirituelle". Son oeuvre, qu'elle a en partie traduite en tchèque, est à l'origine de leur rencontre. Elle en admire le génie d'emblée.

Quinze ans plus tard, (parution du livre en allemand en 1963), au terme d'une enquête auprès des nombreux amis de Milena, qu'elle remercie en préambule (p 9), elle nous en apprend davantage.

Tout d'abord sur sa relation à sa mère : "ma mère ne m'a jamais frappée, quand j'étais petite, pas même grondée, contrairement à mon père."

Jusqu'à ses trois ans, elle est l'enfant unique : "Je n'étais ni belle ni sage, plutôt indocile au contraire. Ma mère était la seule qui me comprenait vraiment." (p 28)

Et c'est auprès d'elle qu'elle passe ses premières années, dans un appartement cossu du centre de Prague. Par la suite, atteinte d'une grave maladie ("anémie pernicieuse", p 38), elle passe ses journées au lit, et sa fille, sur instruction de son père, doit faire la garde-malade. Celle-ci a alors treize ans. C'est une rude épreuve qui s'achève rapidement cependant avec la mort de la malade.

Ceci explique sans doute en partie que "dans les souvenirs de Milena, son père occupait une place beaucoup plus importante que sa mère"(p 31).

Une place, on l' a déjà compris, très ambivalente.

En effet, Milena entretenait avec son père une double relation d'admiration et de rejet.

Il l'avait élevée, fille unique après la mort prématurée d'un fils qui était de trois ans son cadet, "dans un esprit patriarcal, avec un formalisme extrême. Elle devait toujours, pour le saluer, lui baiser la main et n'était pas autorisée à user du "tu" familier lorsqu'elle s'adressait à lui." (p 32)

Elle admirait son engagement de nationaliste tchèque sous la domination austro-hongroise et évoque, dans un article du 5 avril 1939 intitulé "L'art de rester debout", un souvenir d'enfance "qu'elle n'oubliera jamais" : une manifestation du dimanche matin à laquelle elle assistait derrière sa fenêtre, avec sa mère, et à laquelle "pour l'essentiel, (elle) n'y comprenai(t) rien". Il s'agissait de la promenade sur le Graben, le boulevard débouchant sur la place Venceslas : de chaque côté du boulevard se rassemblaient "les étudiants allemands avec leurs casquettes bariolées" et "les Tchèques vêtus de leurs habits du dimanche". Mais, ce dimanche-là, les étudiants autrichiens remontaient le Graben "au milieu de la chaussée. Ils chantaient et progressaient en rangs, au pas, disciplinés, avec un bruit sourd. Tout à coup une masse de Tchèques fit son apparition, venue de la place Venceslas. Eux aussi marchaient au milieu de la rue, avançant sans un mot". La police vient s'interposer entre les deux groupes et leur intime l'ordre de s'arrêter. Les Tchèques continuent d'avancer : "j'entendis claquer des coups de feu et je vis la foule des Tchèques, calme jusqu'alors, se transformer en une masse d'où sortit une clameur aigüe; je vis que le Graben s'était brusquement vidé et que mon père, seul, demeurait devant les fusils des policiers. Cette image m'est restée, dans toute sa précision, sa clarté : mon père se tenait là, calme, les mains collées au corps. Mais à ses pieds, sur le pavé, il y avait un homme étendu. (...) Puis il se baissa et entreprit de saisir la dépouille désarticulée. Ma mère avait fermé les yeux et deux grosses larmes coulaient sur son visage. Je me rappelle encore qu'elle me prit dans ses bras et me serra contre elle à m'étouffer." (p 31)

Comment ne pas voir dans cette scène fondatrice, qui est donc racontée au lendemain-même de l'arrivée des nazis à Prague, le 15 mars 1939, une des sources du courage inébranlable et de l'engagement de Milena dans la résistance à l'occupant ?

Ce courage, cette énergie inépuisables constituent l'un des traits fondamentaux de sa personnalité. Une vitalité rayonnante l'anime, qui polarise sans cesse autour d'elle l'attention.

Mais cette vitalité est d'abord orientée dans le conflit permanent avec son père durant son adolescence. Livrée à elle-même à la mort de sa mère, elle multiplie les provocations qui sont en fait des appels à ce que son père s'occupe davantage d'elle : il ne le comprend pas et se contente de s'emporter contre ses "extravagances". Cependant, elle se construit intellectuellement dans cet affrontement en refusant les conventions bourgeoises étriquées et en conquérant son autonomie.

Elle fréquente le lycée privé pour jeunes filles Minerva. Fondé en 1891 par un groupe d'intellectuels tchèques, il fut l'un des premiers lycées pour jeunes filles d'Europe. Celles qui ont le privilège d'y accéder et qui forment une élite de jeunes émancipées reçoivent le surnom de "minervistes", "un surnom où l'admiration bienveillante se mêlait à l'ironie" (p 42)

A la fois brillante et indocile, elle y forme une de ces amitiés fusionnelles d'adolescence avec deux camarades, Staša et Jarmila. Et c'est, déjà, Milena qui apparaît comme la "meneuse" du groupe.

Devenue bachelière, elle entreprend, sur les instances paternelles, des études de médecine...pour prendre sa succession. Mais elle les abandonne au bout de quelques semestres.

Elle ne trouve alors rien de choquant à vivre de l'argent de son père : "Les filles de la bourgeoisie pragoise, comme elle, se mariaient, et en attendant leur père les nourrissait."(p 46)

Elle fréquente naturellement les milieux artistiques et littéraires : une atmosphère particulière s'empare alors, juste avant 1914, de Prague. Bien qu'encore provinciale, la ville semble s'éveiller à son futur destin de capitale. "La jeunesse engloutissait la poésie des symbolistes français, des décadents, des "vitalistes" tchèques (...) s'enthousiasmait pour les oeuvres des grands écrivains russes (...) A cela s'ajoutait la rencontre d'une partie de la jeunesse tchèque – fût-elle minoritaire – avec les écrivains allemands vivant à Prague et avec les porteurs de la culture juive." (p 48)

"C'est là un aspect tout-à-fait caractéristique de Milena : elle a grandi dans la tradition tchèque, y est toujours demeurée enracinée, mais le désir de s'en détacher, de s'intégrer dans une tradition cosmopolite l'a toujours habitée." (p 50)

Ce refus des barrières s'applique aussi aux barrières sociales : "Pour Milena les barrières sociales n'existaient pas; on pouvait avoir des amis partout, partout où existaient encore amitié et amour authentiques." (p 51-2)

Pour cela, elle a le "don de double vue" d'aller au-delà des comportements conventionnels pour atteindre les sentiments réels.

Dans ce refus des conventions d'alors, qu'elle partage avec les autres "minervistes", figure celles concernant la soumission des femmes au pouvoir masculin.

Cela ne l'empêche pas de se mettre en ménage successivement avec trois hommes...dont elle se plaint rétrospectivement qu'ils n'aient pas assumé avec elle leur rôle de "protecteur". " Ce fut toujours mon destin de n'avoir jamais pu aimer que des hommes faibles. Aucun d'entre eux ne m'a, en fait, prise en charge, ou même simplement dorlotée. C'est la punition qu'encourt une femme lorsqu'elle a trop d'initiative. C'est une chose que les hommes n'aiment que peu de temps, même ceux qui sont faibles." (p 117-8)

Ce qui apparaît en fait, dans ces réflexions confiées à Margarete à Ravensbrück, c'est la difficulté d'alors à sortir des rôles convenus de part et d'autre, comme si l'on ne pouvait sortir de la relation protecteur/protégé.

Et de fait, les trois ménages consécutifs de Milena, sans parler de sa relation non aboutie avec Kafka, furent des échecs.

Le premier, avec le poète juif allemand Ernst Polak, de dix ans son aîné, l'amène à rompre avec son père et à quitter Prague pour Vienne, où elle habite de 1918 à 1924 et débute dans le journalisme pour la presse tchèque, ce qui débouche sur une collaboration au prestigieux journal bourgeois Národní Listy, organe du parti conservateur-national dont son père est membre (p 108) . Mais c'est le fruit d'un long travail pour accéder à l'indépendance économique rendue nécessaire par la négligence pratique de son mari qui vit, de fait, à ses crochets.

C'est dans cette période viennoise, où elle vit aussi de traductions, qu'elle noue sa relation avec Franz Kafka, dont elle a traduit en tchèque le Chauffeur, le Verdict, la Métamorphose et Contemplation (p 84).

Face au brillant mais égoïste Ernst Polak, Franz Kafka représente pour elle "l'homme véritablement bon".(p 85)

On le sait, cette relation très intense s'interrompt en 1922 à la demande de Kafka, après près de deux ans de lettres nombreuses et de rares rencontres (p 83-103).

Dès 1924, Milena, qui a trouvé la force de rompre avec Ernst, s'est remise en ménage avec un homme plus jeune que lui , cultivé et attentionné, le comte Xaver Schaffgotsch, par ailleurs sympathisant communiste. C'est par son intermédiaire qu'elle va passer près d'un an en Allemagne près de Dresde, chez Alice Gerstel et son mari Otto Rühle, une figure du communisme antiautoritaire, en rupture de Parti. Ce couple d'éditeurs a une vie sociale, culturelle et intellectuelle intense qu'il leur fait partager.

C'est à l'issue de ce séjour, qu'elle décide de rentrer à Prague. Elle y revient quasiment en vedette. Réconciliée avec son père, elle est au centre de toutes les sollicitations. Son ménage avec Schaffgotsch n'y résiste pas.

C'est alors qu'elle rencontre le brillant architecte d'avant-garde Jaromir Krejcar. Il sera son second mari en 1927 et le père de son enfant unique, sa fille Honza. C'est lors de sa grossesse, très difficile, qu'elle devient morphinomane, suite à une septicémie, et perd quasiment l'usage de son genou gauche. Elle sort de l'hôpital au bout d'un an, physiquement diminuée et dépendante.

C'est dans ce nouveau contexte qu'elle devient une militante communiste.

Mais auparavant, elle perd son poste au très conservateur Národní Listy, rejoint la rédaction du Lidové Noviny, le journal d'orientation libérale de Čapek et Peroutka, et entreprend sa désintoxication à la morphine.

Sa prise de conscience politique est liée à son hospitalisation et à sa maladie qui éveille en elle "un sentiment de responsabilité à l'égard de la société" (p 129). Et son engagement est total. Il va durer de 1931 à 1936, où elle est exclue du Parti pour son indépendance d'esprit (elle pose des questions sur le premier "procès de Moscou").

Cette expérience, qui stérilise un temps sa production littéraire, est pour elle une période particulièrement malheureuse sur le plan personnel : son mari "se détourne d'elle au profit d'autres femmes", l'argent "leur filait entre les mains"; finalement son mari décide de partir, seul, pour Moscou : il y vit une véritable déception du rêve communiste, et revient à grand peine en 1936, au bout de deux ans de séjour, grâce à l'intercession de la femme chargée de le surveiller et dont il est tombé amoureux et réciproquement. Pendant ce temps, Milena reprend confiance en elle, grâce à l'amour d'un membre du Parti qu'elle était elle-même chargée de ramener dans "le droit chemin", sous prétexte de le soutenir dans sa maladie. C'est à l'issue de cet épisode qu'elle se fait exclure et reprend une carrière journalistique indépendante.

Le magazine démocrate-libéral Pŕitomnost l'intègre à sa rédaction : elle va y donner sa pleine mesure de 1937 à 1939. Elle devient une journaliste politique lucide sur tous les périls de l'époque. Elle retrouve toute son énergie pour combattre le mal qui monte. C'est l'objet de 10 des 40 articles sélectionnés dans le recueil intitulé "Vivre" qui constitue sa seule parution en français. Sans doute les plus poignants de ce recueil.

A ce combat elle associe, elle le regrettera plus tard en pensant qu'elle lui a imposé un trop lourd fardeau pour son âge, sa fille Honza, à peine adolescente. On devine cependant que celle-ci a hérité du farouche courage de sa mère.

Un combat désespéré cependant, qui débouche, en novembre 1939, sur son arrestation.


 

Le destin de Honza :

Jana Černá

Itinéraire

Jana Černá (Honza, « Jeannot », pour sa mère) est née à Prague en 1928, fille de l'architecte avant-gardiste J. Krejcar et de Milena Jesenská - la célèbre Milena de Kafka - journaliste et résistante, emprisonnée en août 1939 et morte à Ravensbrück. Confiée à son grand-père, Jana a suivi des études secondaires, puis artistiques. Elle a très vite choisi la vie de bohème et n'a jamais exercé d'emploi stable, exerçant des activités occasionnelles telles que femme de ménage, contrôleuse de tramway, aide-cuisinière.

A la mort de son grand-père en 1947 elle s'est trouvée à la tête d'un vaste héritage qu'elle n'a pas tardé à dilapider. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle a fréquenté les milieux littéraires de la mouvance surréaliste et underground et collaboré à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova.

Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots. Vers la fin de sa vie elle se consacre à la création de céramiques. Elle meurt en 1981 dans un accident de la circulation.

Le philosophe Egon Bondy, dans la vie de qui elle est restée profondément ancrée, a écrit le jour de son enterrement : “On l’enterre en ce moment et moi je suis si loin, assis dans une ville glacée où personne ne sait qu’elle a été ce que l’homme peut atteindre de plus grand."

 

Inventaire

Pas dans le cul aujourd'hui, traduit par Barbora Faure, La Contre Allée, 2014.

Vie de Milena de Prague à Vienne, traduit par Barbora Faure, La Contre Allée, 2014.

Vie de Milena de Prague à Vienne, traduit par Barbora Faure, Maren Sell, 1988.

https://www.lacontreallee.com/auteurs/jana-cerna

Cette "Vie de Milena" est parue au Livre de Poche en 1993.

J'ai découvert Kafka en 1970 avec ce petit ouvrage critique qui date de 1960.

J'ai découvert Kafka en 1970 avec ce petit ouvrage critique qui date de 1960.

Margarete avant Milena

Je trouve en furetant sur l'Internet ces quelques précisions biographiques sur la jeunesse de Margarete :

Margarete Buber-Neumann, née Margarete Thüring, was born in Potsdam on 21 October 1901. She came from a middle-class Protestant family. In 1919, after completing her schooling at the Lyceum, she began training as an early childhood teacher at the Pestalozzi-Fröbel-Haus in Berlin while completing an internship at “Der Lindenhof”, Karl Wilker's facility for juvenile delinquents. Margarete Buber-Neumann was later to state that this work was among the experiences that caused her to develop an interest in socialism and later in Communism.

I was still very young and saw the fates of these children every day. It goes without saying that I felt the deepest pity for them [...]. My compassion turned into a profound sense of social guilt. That was the start of my conversion to socialism.” (From: Margarete Buber-Neumann: Von Potsdam nach Moskau: Stationen eines Irrweges [From Potsdam to Moscow: Stations of an Erring Way]. - Stuttgart: Dt. Verl.-Anst., 1957, p. 39f.).

In 1920, Margaret met Rafael Buber, son of the Jewish religious philosopher Martin Buber, through the Wandervogel youth movement. That same year, she accompanied him to Heidelberg, where they both joined the Young Communist League of Germany. Her first daughter, Barbara, was born in 1921; her daughter Judith in 1924. The marriage only lasted a few years; Margarete Buber returned to Potsdam in 1925. The couple divorced in 1929. Back in Potsdam, she joined the KPD in 1926, and in 1928 started working as a secretary for the Comintern journal Internationale Pressekorrespondenz. In 1929, she met Heinz Neumann, a leading KPD and Comintern functionary, at the house of her sister Babette Gross.

https://www.dnb.de/EN/Ueber-uns/DEA/Nachrichten/buberNeumann.html

Le mouvement des Wandervogel est un mouvement scout, typiquement allemand, tourné vers la vie dans la nature. Je l'ai découvert à travers la biographie par leur soeur Inge ("La rose blanche", Minuit, 2008, 158 p.) de deux jeunes antinazis bavarois, Hans et Sophie Scholl, créateurs du mouvement "La rose blanche" et exécutés en 1943.

Pour la suite je renvoie à mon compte-rendu de "Déportée en Sibérie".

 

Milena et Margarete


 

Ici je n'ai plus la force de développer. Je viens de relire les dernières pages de "Milena" et je n'ai pu m'empêcher de pleurer. Il est insupportable que de tels êtres meurent prématurément. Je m'aperçois que c'est précisément cela qui a fait de moi, pour la vie, un militant.

Ce livre s'achève sur une anecdote légèrement postérieure à la mort de Milena, le 17 mai 1944. Dans la situation de chaos qui commence à s'installer dans le camp, des détenues tchèques se rassemblent pour chanter leur hymne national. Et c'est l'occasion pour Margarete de citer l'un de ses derniers articles, qu'elle a déjà beaucoup utilisé, "L'art de rester debout", malheureusement absent de son recueil en français. Il y est question des paroles de cet hymne. Milena y remarque : "Cet hymne n'est pas un chant qui s'oppose à quelque chose; Kde domov muj (Où est ma patrie) ne souhaite la perte de personne, il souhaite simplement que nous continuions à exister." (p 268)

Et je pense à mon tour à l'un de "mes morts prématurés", le dissident chinois LIU Xiaobo, et à son refus de la "culture d'ennemi" instaurée par le PC chinois.

Combattre pour la vie est le plus beau des combats.

C'est ce que firent Milena et Margarete. Leur souvenir mérite d'être perpétué. Que ces quelques lignes y contribuent est l'espoir qui m'anime.

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