Cees NOOTEBOOM Le jour des morts

Publié le par Henri LOURDOU

Cees NOOTEBOOM Le jour des morts

Cees NOOTEBOOM

Le jour des morts

roman traduit du néerlandais par Philippe Noble,

(1998, Actes Sud, 2001, Folio n°4 378, 2006, 432 p.)

 

 

Ce que j'ai d'abord retenu de ce livre, c'est une méditation sur le monde, le temps, la mémoire et sur les questions et aspirations contradictoires que cela éveille.

"En laissant mourir une parcelle du passé, quelle qu'elle fût, nous nous exposions nous-mêmes à disparaître, et le seul moyen de conjurer cette crainte, c'était de céder à cette manie de tout conserver." (p 179)

Or, "l'histoire ne commencerait donc que le jour où les hommes qui y avaient été mêlés en auraient disparu. Le jour où ils ne pourraient plus venir contrarier les fictions des historiens. Donc on ne saurait jamais ce qui s'était réellement passé." (p 233)

Néanmoins, "le monde auquel nous sommes confrontés est, qu'on le veuille ou non, la somme de tout ce qui s'est jamais produit, même si, bien souvent, nous ignorons ce qui s'est produit ou nous découvrons qu'un épisode dont nous croyions parfaitement connaître le déroulement s'est en réalité passé tout autrement, et c'est cela, cette découverte de ce que nous ignorions encore ou cette rectification d'un savoir erroné, c'est cela le travail de l'historien." (p 255)

 

Comment ne pas penser ici à l'histoire du communisme au XXe siècle et plus largement des Révolutions dont je remets sans cesse en question le sens au fil de mes lectures ?

 

Cette obsession pour le passé, la mémoire et l'Histoire s'explique à un premier niveau par la personnalité du personnage principal. Veuf depuis dix ans, il a perdu dans le même accident que sa femme son fils unique de dix ans. Son deuil le poursuit encore.

A un second niveau, il pourrait aussi s'expliquer par le fait que l'auteur avait 12 ans en 1945. Comme toute sa génération, il reste marqué par la 2de guerre mondiale qui, aujourd'hui, apparaît de plus en plus comme une histoire ancienne, menacée par l'oubli d'une part, mais aussi, d'autre part, comme une histoire qui sort peu à peu des légendes, mensonges et omissions grâce justement au travail des historiens...

Or, le récit commence à Berlin, l'une des trois villes où son personnage principal, hollandais comme lui, mais, comme lui "éternel voyageur" (p 6), se pose entre deux reportages (il est caméraman et auteur de documentaires).

Cela nous vaut des remarques sur les Allemands et les Hollandais et leur rapport respectif au passé. Et notamment sur la façon dont est vécue la fin de la partition entre RDA et RFA. Il me semble intéressant de noter la cécité des Allemands de l'Ouest face au traumatisme qu'a été l'effondrement de la RDA, puis les conditions de la réunification pour les Allemands de l'Est. On sait à présent, depuis quelques années, combien se paie une telle cécité, avec la montée de l'extrême-droite. L'arrogance a un prix : on ne méprise jamais sans conséquences...

Quant à la Hollande, le second personnage principal a "souvent l'impression que la grande infantilisation s'était mise en marche, une intolérable et mortelle superficialité qui faisait que les gens semblaient vouloir prouver leur individualisme en riant tous ensemble des mêmes plaisanteries (...) en étalant, pour tout dire, une autosatisfaction si répugnante qu'on en étouffait parfois (...) , chacun semblait s'affairer à cent choses à la fois pourvu qu'elles vous obligent à sortir, personne ou presque ne supportant de rester seul avec soi-même." (p 291)

On voit bien là que les deux personnages sont faits pour s'entendre...

Car le fil rouge qui sous-tend le récit est une histoire d'amour bien sûr. Mais une histoire difficile car, entre eux, "il n'y avait qu'un passé malade qui continuait à sévir toujours et partout' (p 408).

Il y a dans ce récit et son issue ce que je perçois comme une forme de fatalisme du Mal. Je ne peux m'empêcher de le rapprocher de l'éducation catholique de l'auteur, "éduqué dans des monastères augustins" (p 6).

Je dois dire que je me sens un peu étranger à cela, que je rapprocherai aussi de la vision pessimiste du monde actuel portée par l'auteur, comme on l'a vu plus haut.

Malgré cela, un livre fort et bien écrit, qui donne beaucoup à penser. Un auteur sans doute à découvrir davantage, bien qu'il vienne de nous quitter.

Publié dans Europe, Histoire

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