HOUELLEBECQ et la dépression française

Publié le par Henri LOURDOU

 

HOUELLEBECQ et la dépression française

 

Le décadentisme : voilà l'ennemi. Le double éloge de "Soumission" par feu Bernard Maris et par Emmanuel Carrère nous donne une première indication : il s'agit bien d'une dépression collective, (dont Houellebecq nous donnerait à la fois l'analyse lucide et plus ou moins la clé de sortie).

La référence explicite à J.K.Huysmans, passé du naturalisme esthétisant et anarchisant au catholicisme conservateur à la fin du XIXe siècle nous donne une autre indication.

J'ai replongé dans mes livres d'Histoire. Au tournant du siècle avant-dernier s'est jouée la préparation psychologique collective du grand massacre de 1914-1918. A cette époque qualifiée par certain de "première mondialisation", un grand trouble identitaire s'est emparé des esprits, et des reclassements idéologiques profonds se sont opéré.

Le grand tournant a été le discours de Tanger de Guillaume II en 1905, où il revendiquait pour l'Allemagne une meilleure part du gâteau colonial en menaçant la France. C'est là que Péguy et d'autres se sont transformés en nationalistes hystériques en appelant à tuer le traître Jaurès, qui défendait, avec d'autres, la paix et le refus du colonialisme impérialiste européen.

Tous ces pousse-au-crime ont eu ce qu'ils cherchaient : la loi prolongeant le service miltaire à 3 ans en 1912, Poincaré le chauvin à l'Elysée en 1913, l'assassinat de Jaurès en 1914, et 4 ans de boucherie débouchant sur une paix bâclée et injuste et un nouveau conflit encore pire.

Mais tout cela avait été préparé en profondeur par un mouvement de l'âme collective, dont les écrivains se sont fait les annonceurs par leur sensibilité particulière.

Ici il faut convoquer les analyses puissantes de Gérard Mendel. Dans son premier ouvrage, "La révolte contre le Père", il procède à l'analyse de l'oeuvre de Villiers de l'Isle Adam "L'Eve future" (1886) comme un symptôme de la mise en crise du système autoritaire-patriarcal par le développement capitaliste.

La réaction misogyne (sous-estimée gravement par les laudateurs de Houellebecq) est une défense inconsciente contre le risque d'un retour à un monde archaïque et violent, en l'absence d'un progrès collectif dans la maîtrise du pouvoir social.

La "soumission" prônée par Houellebecq est le remède tout aussi archaïque à cette interminable crise de l'Autorité vécue par l'Occident depuis plus d'un siècle, et qui s'étend maintenant au monde entier.

A cette complaisance dans la dépression, qui se cache sous une pseudo-lucidité parfois ludique comme dans le cas de Houellebecq, parfois agressive comme dans les cas de Zemmour ou Bruckner, nous devons opposer la ferme conviction en nos valeurs : liberté, égalité, fraternité sans restrictions d'aucune sorte. Non seulement la France n'est pas morte, mais elle n'est pas menacée, au contraire, pour peu que nous en assumions le meilleur de son héritage et le portions un peu plus haut.

Publié dans Histoire

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