Alaa AL ASWANY J'ai couru vers le Nil -La littérature et les révolutions arabes

Publié le par Henri LOURDOU

Alaa AL ASWANY J'ai couru vers le Nil -La littérature et les révolutions arabes

Alaa AL ASWANY

J'ai couru vers le Nil

roman traduit de l'arabe (Égypte) par Gilles Gauthier

Actes Sud, septembre 2018, 430 p.

(Titre original Al-Joumhouriyya Ka'anna

Éditeur original : Dar Al-Adab, Beyrouth, 2018).

 

 

Il n'est pas indifférent de constater que ce roman est "à ce jour interdit de publication en Égypte" (4e de couverture).

J'ai fait connaissance avec Alaa AL ASWANY en lisant ses interviews dans "Le Monde" à propos de la révolution égyptienne de 2011 et ses suites. Reconnu comme écrivain depuis 2002 avec la parution de "L'immeuble Yacoubian", qui l'avait fait comparer à son aîné Naguib Mahfouz, peintre comme lui du peuple du Caire, Alaa Al Aswany, fils d'un avocat et écrivain, né en 1957, est dentiste au Caire. Il est l'un des plus fermes soutiens de la révolution née le 25 janvier 2011 sur la place Tahrir.

Ce roman est celui de ce printemps inoubliable où se déchirent toutes les hypocrisies d'une société laminée par la dictature.

Et c'est le moment de reconvoquer ce que j'écrivais en novembre 2017 pour réhabiliter le concept de "révolution".

Nous sommes emportés par le flot narratif puissant d'AL ASWANY autour de différents personnages qui incarnent autant de facettes de cette "révolution".

Il nous montre bien l'ampleur de l'hypocrisie religieuse qui enveloppe toute la société égyptienne à l'aube de ce mouvement d'émancipation. Et son rôle pour justifier l'apathie et le fatalisme des uns, la rapacité et la violence des autres. Mais aussi toutes les frustrations accumulées qui en découlent.

De cela, chacun des personnages témoigne : à commencer par le premier apparu, le général Alouani, chef de l'Organisation, appareil sécuritaire secret du régime, pieux musulman plaçant tous les membres de sa famille en prétendant éviter toute pression (il lui suffit de s'adresser aux décideurs en leur disant de ne surtout faire aucun cas des liens de parenté avec lui, et de constater ensuite que ses proches ont obtenu le poste par leurs mérites propres... un sommet d'hypocrisie); quant au dernier personnage qui clôt le livre, le chauffeur Madani, il a travaillé toute sa vie pour payer à son fils ses études de médecine, et il voit un tribunal acquitter l'officier qui l'a froidement exécuté devant témoins lors d'une manifestation.

La faiblesse du livre est une forme de fatalisme rétrospectif qui fait de l'échec actuel de cette révolution le produit d'un complot ourdi dès le départ par une Armée qui semble contrôler tous les événements.

A cela se joint une interrogation sur l'incapacité supposée du peuple égyptien à sortir de l'ornière de l'oppression millénaire.

A la décharge d'AL ASWANY, la redoutable violence de l'appareil répressif, longuement décrite, le nombre insupportable de tous ces jeunes assassinés dans la fleur de l'âge. L'absence totale de scrupule de ses auxiliaires médiatiques qui cultivent l'hypocrisie la plus crasse.

Tout cela n'est pas à l'évidence compensé par les belles histoires d'amour déclenchées par la révolution;

Entre les personnages lumineux incarnant l'idéalisme révolutionnaire, et les odieux tenants du régime et leurs alliés des Frères musulmans (à peine évoqués comme comparses), il manque cependant toute la gamme des positions intermédiaires, malgré quelques personnages ambigus comme l'ingénieur Issam, ancien communiste désabusé par la prison et la torture et "rallié" au régime.

Du coup je me suis replongé dans l'Histoire réelle de la révolution égyptienne en relisant les pages consacrées par Glibert ACHCAR à "la rechute du soulèvement arabe" en Égypte. Celle-ci est en effet plus complexe que ce que suggère le roman, qui en reste, il est vrai aux suites immédiates de la chute de Moubarak et à la reprise en mains de la situation par l'Armée.

Il n'en demeure pas moins que les "révolutions arabes" ne font que commencer, même si leur premier bilan est terrible, comme en témoignent les romanciers. Dans ma "pile à lire", deux romans sur la Syrie récemment parus : "La marcheuse" de Samar Yazbek (2017, traduit en mai 2018) et "La mort est une corvée" de Khaled Khalifa (2015, traduit en avril 2018).

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