Daniel Lindenberg, vigie de l'air du temps, penseur incontournable d'une Gauche refondée

Publié le par Henri LOURDOU

Daniel Lindenberg, vigie de l'air du temps, penseur incontournable d'une Gauche refondée
Daniel LINDENBERG vigie de l'air du temps,
penseur incontournable d'une Gauche refondée.

 

 

Dès la parution, en 2002, du "Rappel à l'ordre – Enquête sur les nouveaux réactionnaires", (Le Seuil "La république des idées", 94 p.), j'ai eu le sentiment de me trouver face à un livre juste et majeur.

La polémique qu'il a suscité ne m'a pas ébranlé dans cette conviction. Et ses dénonciations ont été pour moi un guide précieux pour me repérer dans le confusionnisme montant.

Il était pour moi un complément utile à celui qui reste à mes yeux le grand penseur de la crise contemporaine de l'Autorité, Gérard Mendel. Auquel je rajouterais aujourd'hui certains penseurs de l'identité, de l'accélération et de l'effondrement planétaires. J'y reviendrai bien sûr.

Mais revenons à Lindenberg, dont la disparition récente m'a poussé à racheter la nouvelle édition augmentée du "Rappel à l'ordre" (janvier 2016, 102 p.). Sa nécro, dans "Le Monde" daté du 16-1-18, que j'ai sous les yeux, rappelle que, né en 1940, il fut un sociologue historien des idées, totalement ancré dans l'Histoire du mouvement ouvrier. Issu d'une famille juive progressiste liée au Bund, "mouvement socialiste juif et antisioniste fondé à la fin du XIXe siècle en Russie, en Lituanie et en Pologne, il a toujours revendiqué son attachement à un judaïsme laïque et progressiste. Son itinéraire se confond surtout avec celui d'une génération marquée par l'avant et l'après-Mai 68, moment auquel il sera toujours resté fidèle."

 

Fidèle mais pas figé

 

Ce premier trait appelle quelques précisions qui ne sont pas étrangères au "Rappel à l'ordre".

En effet, la suite de la nécro évoque son engagement à la scission de l'Union des Etudiants Communistes inspirée par Althusser à Normale Sup en 1966 : l'UJC-ML. Il y croise Blandine Kriegel, dont l'ouvrage de 1979, "L'Etat et les esclaves" (qu'elle avait signé alors Blandine Barret-Kriegel, Calmann-Lévy, 264 p), a marqué, pour lui comme pour moi, un moment décisif dans la rupture avec le marxisme. Elle nous invitait en effet, de façon convaincante, à réévaluer la place du Droit par rapport à la fameuse déterminance en dernière instance de l'Economie, rappelée de façon tatillonne à John Lewis par Louis Althusser en 1973 ("Réponse à John Lewis").

Mais cette rupture avec l'économisme/productivisme marxiste ne s'est pas traduite pour lui, contrairement à elle, et à bien d'autres ex-maoïstes, par un passage dans le camp de la Droite, plus ou moins libérale. Car la thèse de Kriegel, et c'était là sa limite, se contentait de réévaluer le rôle de l'Etat, sans intégrer la dynamique de la conquête des droits.

Lindenberg est resté un "infatigable pétitionnaire et membre du PS" qui se définissait comme "plutôt jospiniste".

Et c'est de ce point de vue inentamé de "progressiste" qu'il a pu analyser la vaste régression idéologique à l'oeuvre depuis les années 80. C'est cette régression qui alimente un confusionnisme croissant au sein de la Gauche, aboutissant à des polémiques internes hallucinantes dont les courants de la Droite la plus réactionnaire font leur miel.

 

La vérité de Mai 68

 

Il peut paraître présomptueux de faire état d'une "vérité de Mai" à l'heure où les célébrations du cinquantenaire commencent à nous apporter des points de vue comme toujours très contradictoires sur le "sens des événements". Surtout pour moi qui suis totalement et définitivement un "enfant de Mai".

Je n'en ai pas moins la prétention d'affirmer que ce fut à la fois un moment d'effondrement de la vieille Autorité et un moment de contestation de l'ordre social injuste qui écrasait, et écrase encore, tous les exploités et opprimés. La prise générale de la parole n'est pas séparable de la grève générale revendicative. Ce mouvement social total a produit des effets de court, de moyen et de long terme.

A court terme une restauration de l'Autorité qui se traduit par le raz de marée gaulliste aux élections de juin. A moyen terme une "modernisation" et un essor des idées de Gauche, favorables à la justice et au progrès. A long terme, un retour tout d'abord des idées réactionnaires combattues en Mai, mais aussi un approfondissement de la critique sociale qui met en crise la vieille Gauche autour des idées anti-productivistes de l'écologie, et participatives de la nouvelle "démocratie d'exercice" qui se cherche.

 

L'état d'un combat

 

La nécro du "Monde" est complétée d'un interview, réalisé par Nicolas Truong par mail fin décembre 2017. Il n'est pas indifférent de constater que si l'on donne suite à l'invite de la fin "Retrouvez l'intégralité de l'entretien sur Lemonde.fr", on se retrouve avec un entretien au titre moins optimiste : de "Parler de défaite des nouveaux réactionnaires serait imprudent" on passe à "Loin de reculer la révolution conservatrice se voit favorisée". La raison étant l'ajout d'une ultime question et de sa réponse concernant "la nouvelle donne géopolitique mondiale". Car, dit Lindenberg, "cette nouvelle donne géopolitique ou géo-idéologique n'offre à mon sens que des raisons de désespérer, au moins pour une certaine période."

Et ce constat pessimiste, que l'on ne peut que partager, vient contrebalancer la réponse (relativement) optimiste concernant la France qui précédait, et qui concluait (macronolâtrie oblige) l'entretien de l'édition papier : saluant le succès de "l'Histoire mondiale de la France" dirigée par "l'historien progressiste Boucheron", Lindenberg approuvait que cette "nouvelle école se soit affranchie à la fois de la vulgate rétrograde ou spiritualiste et des débris des dogmatismes marxistes". Et que cela permettait d'espérer de sortir "des chaînes de la période précédente, que symbolisait le choix impossible entre islamophobie et Indigènes de la République". Ceci suivi de la phrase finale, ambigüe à souhait, et qui pour cela sera interprétée différemment par les uns et par les autres : 'Ce choix n'est sûrement pas celui de Macron, mais on peut lui accorder que c'est lui qui a permis d'échapper à ce dilemme mortifère."

Pour ma part, je gloserai plutôt bien sûr sur le début de la phrase : "Ce choix n'est sûrement pas celui de Macron" qui témoigne d'une distance critique vis-à-vis du nouveau président.

Car le constat que c'est lui qui a permis d'échapper à ce dilemme mortifère reste pour moi fragile et provisoire, en raison justement du fait que les perspectives ouvertes par Boucheron et son école ne sont nécessairement pas partagées par Macron, comme le montre notamment sa politique migratoire.

En faisant le ménage de mes archives par temps de confinement, je suis retombé sur un petit dossier concernant la polémique déclenchée fin 2002 par la parution du "Rappel à l'ordre". Il ne m'a pas paru inutile d'en faire ci-après le rappel. Inutile de préciser que c'est la hargne-même de ceux qui ont ainsi tenté de le "démolir" qui m'a incité au contraire à le lire.

Quant à Eric Conan voici ce qu'en dit sa notice wikipédia :

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris[Quand ?] et ancien élève de l'École nationale de la santé publique2, il a travaillé à Libération, au Monde, à Esprit (où il fut rédacteur en chef), à L'Express, puis enfin à Marianne. Il a écrit notamment un ouvrage avec l'historien Henry Rousso sur la mémoire du régime de Vichy dans la France contemporaine.

Le 25 octobre 2000, il a été condamné pour diffamation par 11e chambre de la cour d'appel de Paris ; le 2 octobre 2001, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi. Il avait en effet accusé Jacques Baynac de partager certaines affirmations de Robert Faurisson sur les chambres à gaz3.

En 2017, il signe dans Le Figaro une tribune intitulée « Europe : la supranationalité a échoué, faisons confiance aux nations »4.

Daniel Lindenberg, vigie de l'air du temps, penseur incontournable d'une Gauche refondée
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