La Rojava n'est pas une nouvelle Catalogne libertaire
Quand l'Histoire obscurcit les cerveaux
La Rojava n'est pas une nouvelle "Catalogne libertaire"
J'avais salué le rôle positif du site libertaire antifa "La horde" dans la dénonciation argumentée et documentée du site confusionniste "Inform'action".
Aussi suis-je tombé de haut en tombant sur une glorification de la "résistance antifasciste internationale" que serait la lutte des YPG et volontaires internationaux associés (ici deux groupes de libertaires français dont les témoignages sont publiés sans aucun recul critique). Voir ci-après la présentation :
2 février 2018
Ci-dessous, 2 témoignages nous parvenant du Rojava (Kurdistan syrien), où après avoir chassé les intégristes de l’État islamique les camarades doivent désormais faire face à l’armée du despote Erdoğan et ses alliés ultra-nationalistes et djihadistes qui mènent l’offensive contre le canton d’Afrîn. Le premier témoignage provient de la page facebook de Nantes Révoltée, le second du blog Kurdistan Autogestion Révolution qui porte la voix de militant.e.s communistes libertaires engagées dans cette lutte, ici membres d’Alternative Libertaire. La lutte antifasciste est internationale !
Ces témoignages sont "authentifiés" par des photos qui se veulent prises au "second degré" (faut-il le croire ?) mettant en scène des combattants "antifascistes" : VOIR LE SITE
Outre que ce narcissisme de la kalach est tristement révélateur d'une non-rupture avec l'imaginaire machiste le plus traditionnel, "l'analyse politique" (?) qui sous-tend cet engagement demande à être un minimum interrogée.
Le mythe de la Rojava libertaire
Un article récent du "Monde diplo" (bible de tous les progressistes) a crédibilisé cet incroyable bobard : le PKK d'Abdullah Ocalan se serait converti à l'écologie et à l'anarchisme, sous l'influence du théoricien étatsunien -aujourd'hui disparu- Murray Bookchin.
https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/COURT/57879
n° de septembre 2017, p 1, 14 et 15.
L’expérience libertaire du Rojava à l’épreuve de la guerre
Une utopie au cœur du chaos syrien
par Mireille Court & Chris Den Hond
Respectivement professeure d’anglais, membre de la coordination Solidarité Kurdistan, et journaliste. Tous deux ont coordonné (avec Stephen Bouquin) La Commune du Rojava. L’alternative kurde à l’État-nation, Critica-Syllepse, Bruxelles-Paris, 2017.
"Abandonnant le marxisme-léninisme, le PKK et son allié syrien du Parti de l’union démocratique (PYD) se réfèrent depuis les années 2000 au communalisme libertaire de l’écologiste américain Murray Bookchin (1921-2006) . Adopté en 2014, leur texte fondamental, le Contrat social de la Fédération démocratique de Syrie du Nord, rejette le nationalisme et prône une société égalitaire, paritaire, respectueuse des droits des minorités."
Comme par ailleurs le PKK (organisation toujours très centralisée à la mode marxiste-léniniste) a mis en place toute une série d'écrans publicitaires, selon la bonne vieille tradition stalinienne, entre le "parti profond" et ses "vitrines démocratiques", tout un tas de gogos, comme à l'époque du Vietnam avec le FNL et le GRP, se sont laissés prendre.
Mais à côté des réalisations exemplaires montrées aux "journalistes amis", on note toujours l'incongruité apparente des portraits géants omniprésents du "grand leader"... "À l’entrée de Kobané, les photos de « martyrs », dont beaucoup de femmes, jalonnent le terre-plein central. Le portrait de M. Öcalan est lui aussi omniprésent."
Tout ceci se passe, faut-il le rappeler, dans un contexte de guerre où les FDS (bras armé du PKK et de sa vitrine du PYD, incluant des milices yézidies ou chrétiennes) ont constitué la principale force de reconquête de la région , armée par les USA, sur l'OEI (Organisation d e l'Etat Islamique, alias Daech) qui y a régné pendant près de 3 ans :
"Les autorités locales doivent aussi composer avec le poids d’un passé récent dramatique et la nécessité d’empêcher de nouvelles haines. Membre du Conseil pour la réconciliation et l’intégration, Mme Abeer Mahmoud est sans nouvelles depuis trois ans de son mari, arrêté par l’OEI. Elle insiste pourtant sur les efforts à mener en matière de conciliation. « Quand Manbidj a été libérée, beaucoup de gens sont venus voir les FDS pour dénoncer les collaborateurs. Ces derniers ont été arrêtés par le conseil militaire pour empêcher qu’il y ait des vengeances sans procès. À la suite de notre travail de conciliation, 250 hommes qui n’avaient pas de sang sur les mains ont été libérés. La peine de mort n’existe pas ici. » Les djihadistes soupçonnés ou condamnés pour des crimes de sang sont détenus dans des prisons qui respecteraient la Convention de Genève, signée par les YPG." On notera l'usage prudent du conditionnel, qui semble plus sage dans ce contexte.
De fait, les relations publiques du PKK sont bien organisées.
Pour le reste on ne peut que dire, avec ce reporter allemand, lui aussi venu sur place : Christoph Reuter ,
Manbij, which in summer 2016 became the first large Arab city to be taken by the Syrian Democratic Forces, is governed by a military council installed by the Kurds. When asked who used to administer the city, council co-chairwoman Zainab Qantar answers, "Daesh, of course!" And before that? "Oh, there was a revolutionary council of some sort. But they are all dead, or have disappeared."
Filling a Political Vacuum
She doesn't mention that Manbij had a democratically elected city council as early as 2012, made up of lawyers, business leaders and teachers, all of whom fled the advancing Islamic State in 2014. Now, they are being prevented from returning and their homes have been seized.
The economy in Manbij is flourishing. You can find grain, potatoes, fruit and olives along with consumer goods from regime-controlled areas in Syria and from Iraq. Goods are even smuggled in from Turkey. There is bread and electricity and people are even allowed to smoke again. In the self-proclaimed IS "caliphate," smoking was punished either with lashes or with the breaking of fingers.
Öcalan's party, with its numerous acronyms, has effectively filled a political vacuum: After over six years of war, perpetual bombing and over three years of IS dictatorship, many people are simply exhausted and prepared to accept any political power as long as it leaves them alone.
The article you are reading originally appeared in German in issue 24/2017 (June 10, 2017) of DER SPIEGEL.
On ne saurait mieux dire...
La guerre n'a jamais émancipé personne
Après bien des lectures sur le précédent espagnol qui enflamme toujours les imaginations libertaires, je ne peux que renvoyer à ces deux témoignages qui pour moi résument tout.
Tout d'abord celui de Mika Etchebehere "Ma guerre d'Espagne à moi". Il est pour moi hautement significatif qu'il se termine abruptement avec la mort du jeune Clavelin, 15 ans, le plus jeune des miliciens sous ses ordres (Mika commandait une milice du POUM, après avoir succédé à son compagnon Hippolyto, tué au combat dès octobre 36.) Or Mika est resté en Espagne bien plus longtemps.
Ce qu'elle ne peut dire explicitement dans le contexte de l'époque, mais que cette fin suggère, est le caractère absurdement insupportable ou insupportablement absurde, comme vous voudrez, de cette mort.
Récemment je suis tombé sur un autre témoignage de femme, celui de Martha Gellhorn, reporter de guerre antifasciste, épouse fugitive d'Hemingway. Son livre "La guerre de face" (titre originel : "The face of war", soit plutôt "Le visage de la guerre") mérite ce double titre. Il commence par une sélection de ses reportages dans Madrid, puis Barcelone assiégées, entre fin 1936 et fin 1938 donc. Et, loin des mythes héroïques des combattants de première ligne, il nous fait partager le sort des civils, et singulièrement des enfants.
Je défie quiconque aura lu ces deux livres de continuer à défendre la thèse de la guerre émancipatrice. Et j'en sors, plus que jamais, radicalement pacifiste. Seules des situations d'extrême urgence ou le dilemme est "tuer ou être tué" peuvent justifier le recours aux armes. Et encore faut-il savoir qu'on s'engage sur une pente moralement destructrice , dont on ne sortira pas indemne.
Aussi je considère comme irresponsable toute apologie acritique de la lutte armée.
Et je souhaite aux volontaires antifascistes français partis combattre à Affrin de revenir vivants, et le plus indemnes possibles, physiquement et moralement.