Un autre témoignage sur la guerre civile en Russie : Le double jeu de Juan Martinez, par Manuel CHAVES NOGALES

Publié le par Henri LOURDOU

Un autre témoignage sur la guerre civile en Russie

Le double jeu de Juan Martinez

de Manuel Chaves Nogales

(La Petite Vermillon, La Table Ronde, septembre 2017, 360 p.)

traduit de l'espagnol par Catherine Vasseur,

Préface d'Andrès Trapiello.

 

Publié en feuilleton dans le journal Estampa en 1934, ce témoignage recueilli à Paris par le grand journaliste Manuel Chaves Nogales, a été ensuite édité en livre. Puis oublié comme son auteur, mort à la suite d'une intervention chirurgicale malheureuse à Londres en 1944 à l'âge de 46 ans, après avoir fui avec sa famille le régime de Franco (il est obligé en 1940 de renvoyer les siens à Séville, car il ne peut plus assurer leur subsistance à Paris, où il réside depuis le déplacement du gouvernement républicain de Madrid à Valence. Ce dernier fait révèle en creux la façon dont les antifascistes furent traités dans la France républicaine de 1938-1940...)

Il ne fut réédité en Espagne qu'en 2007, et traduit en français en 2010, comme la plupart des livres de l'auteur.

Le préfacier le fait remarquer : "Longtemps, trop longtemps, le nom de Manuel Chaves Nogales ne fut rattaché à la littérature que par le fil ténu de sa remarquable biographie du torero Juan Belmonte" (p 7) Or, tous ses autres livres "sont des livres d'une grande humanité, propres à élargir les horizons de la conscience."(ibid.)

 

Fixons d'entrée les choses : Manuel Chaves Nogales est un "petit-bourgeois libéral", comme il le reconnaît lui-même (p 8-9) et se revendique comme un "intellectuel libéral, citoyen d'une république démocratique et parlementaire". C'est à ce titre qu'il est resté fidèle jusqu'au bout au gouvernement républicain. Il est avant tout aussi un journaliste soucieux de la vérité. Et c'est ce souci qui transparaît dans la façon dont il rend compte du récit du danseur de flamenco Juan Martinez, en s'effaçant derrière son témoignage.

Celui-ci se proclame "apolitique", et c'est bien ce qui donne tout son prix à ce témoignage. Car il témoigne d'un "angle de vue" particulier auquel nous ne sommes pas habitués, concernant ce sujet. Cette multiplication des points de vue est l'outil privilégié des historiens pour approcher la vérité d'un événement controversé.

Ce dernier témoignage (après bien d'autres plus "engagés") vient confirmer ce qu'on avait déjà commencé à comprendre : la victoire finale des bolcheviks fut davantage due à l'épuisement de la société par trois longues années de guerre civile, s'ajoutant à trois longues années de guerre, qu'à une adhésion enthousiaste à leur projet et leur façon de gouverner.

Le récit en particulier par Juan Martinez des nombreuses occupations successives de la ville de Kiev, où il réside de 1919 à 1921, n'est qu'un long martyrologue de la population, soumise aux pillages, aux massacres, à l'arbitraire de toutes les soldatesques, sur fond de famine...

La dégradation des conditions de vie est constante, l'hypocrisie du système soviétique déjà là, avec une corruption et une violence omniprésentes. Et, plus que de l'idéologie, ce genre de situation est bien le produit de la guerre, qui représente, j'en suis de plus en plus convaincu, le Mal absolu.

Le témoignage de Juan Martinez se lit comme un roman, mais malheureusement un roman vrai.

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