Jade LINGAARD Je crise climatique

Publié le par Henri LOURDOU

Jade LINGAARD Je crise climatique

Jade LINDGAARD

"Je crise climatique"

"La planète,ma chaudière et moi"

(La Découverte, août 2014, 252 p.)

 

Ce livre, dont j'avais relevé le titre à sa parution, a pour ambition d'explorer les réponses que nous pouvons apporter personnellement dans notre vie quotidienne à la crise climatique. Il faisait à l'époque figure de livre pionnier et c'est pourquoi je l'avais remarqué.

C'est un bon travail de journaliste, avec un collectage sérieux de données diverses et de multiples enquêtes de terrain, parfois dans des endroits improbables ou étonnants (concours de tuning dans le Calvados en juin 2013, salon international de l'auto à Genève en mars de la même année, Bol d'Or d'avril 2011...). Ce qui donne une approche en forme de récit très accessible à de nombreux lecteurs.

Mais cela ne s'arrête pas là. Ma première impression d'une tendance à juxtaposer très journalistiquement les points de vue opposés sans trop les approfondir ni vraiment trancher entre eux s'est peu à peu effacée au cours de ma lecture. Le premier chapitre, consacré au chauffage des logements, m'a paru abandonner son ambition implicite de départ : l'auteure doit-elle changer sa chaudière à gaz (qui se trouve ressembler fortement à la mienne...) pour un autre mode de chauffage ? Par contre, les suivants, sur l'automobile, sur l'avion, puis sur Internet, radicalisent le propos en fouillant derrière les apparences d'une consommation "naturelle" et en faisant apparaître ses enjeux véritables. Ce faisant, ils posent la question d'un changement de nos façons de vivre -incontournable si nous voulons vraiment répondre à ce fameux défi climatique à présent enfin perçu du plus grand nombre.

C'est une réponse argumentée et convaincante à tous ceux, encore trop nombreux à Gauche, qui renvoient tout cela à un changement préalable du "système" et à une (coupable) "culpabilisation du peuple" (mais qui culpabilise qui ?).

Car les faits sont là, même s'ils sont cachés ou déniés : ce sont nos nouvelles habitudes, ininterrogées, de consommation qui nourrissent ce fameux "système". Et s'il faut bien faire rendre gorge à ses profiteurs, cela ne nous dispense pas de remettre en cause certaines de nos pratiques.

 

Chauffage domestique : un trou noir.

 

Le problème est ici l'absence de données fiables pour en mesurer l'empreinte-carbone individuelle. Et c'est le fruit d'un "lobbying ravageur des industriels" : "les règlements européens écoconception – exigeant un minimum d'efficacité énergétique – et l'étiquette énergie ont finalement été adoptés en 2013 après cinq ans de querelle, pour les chaudières, les pompes à chaleur et les chauffe-eau. Ils doivent entrer en vigueur en septembre 2015." (p 22)

Par ailleurs, les données individuelles de consommation sont "parfaitement illisible(s)" pour le consommateur : "GDF-Suez, de très loin le premier fournisseur en France, ne me communique que deux relevés bimestriels par an. Tout le reste de la facture annuelle, soit quatre autres douloureuses, se composent d'estimations réalisées par le marchand ou le distributeur. Mais à aucun moment l'évaluation n'est comparée à la consommation réelle. (p 26)

Ici l'on peut faire remarquer que l'arrivée du "compteur communiquant" Gazpar va remédier à cela...tout en posant bien sûr d'autres problèmes.

Mais cela fait partie d'un ensemble bien plus vaste qui est "la face cachée"de cette consommation.

Tout d'abord, la dépendance à des fournisseurs lointains : "notre" gaz "provient de Norvège, source de plus d'un tiers de nos importations, des Pays Bas, de Russie et d'Algérie. La France est très bonne cliente, avec son réseau de transport de 194 000 km, le deuxième plus long d'Europe."(p 28)

Ensuite GDF-Suez, entreprise privatisée, se situe dans le courant dominant de la mondialisation et "mise désormais sur les classes moyennes (...) extra-européennes pour entretenir son chiffre d'affaires" et est "l'un des plus bruyants lobbyistes contre le soutien de l'UE à l'essor de l'éolien et du photovoltaïque."(p 29)

Mais surtout, la délégation de notre confort thermique à des opérateurs et des processus qui nous échappent totalement a un effet majeur : "Dans ce contexte, l'individu n'est incité à se comporter qu'en consommateur, cherchant uniquement à éviter ses dépenses financières."(p 35)

 

Reprendre le pouvoir sur cela est donc un parcours difficile, qui reste largement devant nous.

 

La sacro-sainte auto : peut-on s'en défaire ?

 

Paradoxe : "la part du carburant dans le budget des ménages n'a quasiment pas bougé depuis ...1959 (...) Et pourtant le budget des automobilistes ne cesse de croître." (p 79)

C'est qu'il y entre d'autres éléments qui, eux s'accroissent : coût d'achat et d'entretien, péages, assurance... Aussi faut-il ainsi comprendre la sensibilité au coût du carburant qui fut le détonateur du mouvement des Gilets Jaunes à l'automne 2018; celui-ci s'est cumulé avec une autre mesure dont la portée symbolique n'est pas sans rapport avec l'attachement irrationnel à l'automobile : la limitation de vitesse à 80 km/h. Il s'agit du sentiment de puissance et de liberté qui accompagne le conducteur : un sentiment quasi-impossible à combattre.

Aussi n'est-il pas étonnant que l'auteure conclue ainsi ce chapitre : "Pourquoi notre incapacité collective à se figurer le déclin des autos ? Mais parce qu'elles ne disparaîtront pas. Jamais(...) Elles changeront d'aspect, d'usage, de taille et de puissance. Mais elles ne nous quitteront plus."(p 80)

Et ceci malgré le bilan objectif de leur bilan social et environnemental.

L'auteure nous renvoie notamment au constat, fait dès 1975 par Jean-Pierre Dupuy dans une annexe de l'ouvrage d'Ivan ILLICH "Énergie et équité" : "compte tenu du temps que nous passons à gagner de quoi nous payer une voiture et le carburant qui la fait avancer, les autos roulent moins vite que les bicyclettes."(p 83) Car compte tenu du "temps social" que "coûte chaque jour la voiture à son conducteur (...) l'auto ne nous fait donc pas gagner du temps,au contraire, elle nous en fait perdre.(p 84)

Le mot qui correspond à cette forme de "schizophrénie collective" est "aliénation".

Terme philosophique souvent utilisé par les théoriciens critiques de la domination. Que recouvre-t-il ?

Une forme d'oubli de ses propres intérêts créé par des aspirations contradictoires dont l'une va annihiler l'autre à l'insu du sujet. Ainsi pour la voiture, l'aspiration à la liberté de se déplacer annihile l'aspiration à la maîtrise de son temps.

On va la retrouver de façon encore plus éclatante en ce qui concerne l'Internet.

Et, s'il faut conclure ce point, rompre avec cette aliénation suppose donc de s'interroger sur ce que nous faisons de notre temps.

 

Avion : une pseudo-démocratisation sans avenir

 

Ce moyen de déplacement s'est récemment "démocratisé" avec l'avènement des vols "low coast" et le développement du tourisme international.

Cette "démocratisation" est cependant toute relative , puisqu'elle ne touche vraiment que les classes "moyennes supérieures" : en 2009, "seuls 11,5% de nos compatriotes prennent les airs pour leurs vacances à l'étranger" (p 95).

Il n'en demeure pas moins que le bilan-carbone d'un tel mode de déplacement est disproportionné par rapport à cet usage encore très minoritaire... mais qui s'accroît très rapidement.

L'exemple de l'aéroport de Nantes , censé justifier le projet de Notre-Dame-Des-Landes, est à cet égard très significatif. Aussi faut-il se féliciter, plus que jamais, de l'abandon de ce projet. Mais il n'en reste pas moins que cette tendance reste encore prégnante, car elle s'appuie sur les mêmes ressorts que l'usage de l'automobile : l'aspiration à une mobilité élargie et sans limites. Et, faut-il ajouter qu'il n'y a guère d'alternative crédible ? C'est bien à un travail sur nos besoins qu'il faut se consacrer... pour arriver à une sobriété vraiment volontaire.

 

Internet : encore une illusion de toute-puissance à dissiper et une aliénation à combattre

 

Nous retrouvons ici cette quête de toute-puissance déjà présente dans nos usages de mobilité. Et dans des proportions plus massives encore. Une tendance encore accentuée par la perspective en fait inquiétante, et pourtant largement ininterrogée, de déploiement de la 5 G. Son vecteur de développement est ici le smartphone, véritable révolution dans un monde qui en a pourtant déjà connues tant.

Or, là aussi il y a une "face cachée" à cette extension de nos pouvoirs apparents.

Son premier aspect s'appelle "data centers", ces immenses réservoirs à données dont nous apprenons (p 113-5 et 118-9) que la Seine Saint-Denis est le principal lieu d'implantation européen.

A cela s'ajoutent les autres coûts de la numérisation du monde : "il n'y a pas que l'énergie, il y a aussi la surconsommation d'eau, de terres rares, les problèmes sanitaires. Une requête sur Internet contribue non seulement au dérèglement climatique mais aussi à la déplétion de la couche d'ozone, à l'oxydation photochimique, à l'acidification terrestre, à l'eutrophisation en eau douce, à l'eutrophisation marine, à l'épuisement des métaux et des ressources fossiles, à l'écotoxicité des milieux." (p 122)

Plus précisément, "pour fabriquer une puce d'ordinateur de deux grammes, il faut brûler l'équivalent de 600 fois son poids en combustibles fossiles. Au cours de leur vie, les semi-conducteurs qui sont au coeur de nos outils informatiques engloutissent plus de 600 fois leur masse en matière première ." (ibidem)

Et là encore, le coût environnemental, loin de diminuer, ne fait que croître, non seulement en raison de l'extension des usagers et des usages, mais encore avec l'obsolescence accélérée et la puissance accrue du matériel. Le cas des vidéos en ligne est emblématique : "regarder une heure de vidéo sur sa tablette ou son téléphone portable chaque semaine consomme au bout d'un an plus d'électrons que deux frigos américains relativement économes." (p 126)

Par ailleurs, "l'Internet mobile coûte beaucoup plus cher en énergie que le réseau branché". (p 127)

 

Cela doit donc être mis en balance avec toutes les possibilités nouvelles qu'il nous offre.

Un bilan quasi-impossible à réaliser où le second terme de la comparaison apparaît seul en pleine lumière et fait pencher la balance toujours du même côté : celui du "Progrès"...tout en nous rapprochant toujours plus de la catastrophe écologique et sociale.

Nous nous trouvons dans ce que Günther ANDERS, dans les années 60 et à propos du risque de guerre nucléaire, appelait le "paralogisme de la sensation" : "puisque nous allons tous y laisser notre peau, je ne me sens pas personnellement concerné." (p 131)

 

La course à l'irresponsabilité individuelle

 

Dans cette course à l'irresponsabilité, nos courses du quotidien occupent bien sûr leur place : "prendre sa voiture pour acheter chaque semaine sa nourriture familiale en grande surface consomme 30 fois plus d'énergie et rejette 70 fois plus de CO2 dans l'atmosphère que faire ses courses à pied dans un commerce de proximité". (p 138)

Mais voilà : à l'évidence cela coûte moins cher et cela prend moins de temps...

Par rapport aux aliments, un autre élément n'est pas toujours pris en compte : la phase de production pèse plus lourd sur leur impact environnemental que leur déplacement. Ainsi la culture sous serre chauffée d'une salade sur place consomme plus d'énergie que l'importation d'une salade poussée en plein air (p 139). Aussi la saisonnalité doit-il l'emporter sur la localité dans nos choix.

Enfin la grande distribution ajoute plus que sa part à l'édifice de notre irresponsabilisation.

Avec sa politique de promos permanentes, elle réussit à nous faire (presque) croire qu' "en dépensant de l'argent , on en économise parce que ça aurait pu nous coûter plus cher".(p 144)

Cette "fabrique du consommateur" repose sur un mimétisme pervers : "Plus je vois les autres remplir leur caddie, plus j'accumule de provisions dans le mien" (p 145). De fait, je pense que cela s'appuie sur un mécanisme plus profond : la peur de manquer, qui renvoie à la mémoire millénaire des privations populaires.

Quoi qu'il en soit, cette hyperconsommation va de pair avec le développement du gaspillage. D'où découle notamment l'enjeu de la réduction des déchets ménagers. Une cause qui depuis peu trouve enfin de plus en plus d'oreilles attentives. Le "zéro déchet" devient enfin "tendance" après cinquante ans de prêches écolos dans le désert...On ne peut que s'en féliciter.

 

Les écogestes suffisent-ils ?

 

Le mot "écogeste" est significativement entré dans le dictionnaire Robert en 2011 (p 156). Mais est-ce la solution ?

Encore faut-il d'abord qu'ils se banalisent jusqu'à former de nouvelles normes sociales, à travers de véritables "rituels" : or c'est encore loin d'être le cas.

 

Une psychologie de la transition ?

 

Que nous disent les différents théoriciens de la "psychologie de la transition" ? Bien des choses déconcertantes et contradictoires. En résumé : c'est compliqué !

 

Conclusion : responsabilité individuelle et conscience civique.

 

Au final, je partage le point de vue de l'auteure : LA solution n'existe pas, mais il existe des solutions pour sortir du consumérisme qui détruit le climat, et donc les conditions d'une vie future pour l'ensemble de l'humanité.

 

Il s'agit des fameux écogestes individuels dont seule l'agrégation consciente peut produire de nouvelles "normes sociales" et créer les conditions pour aller plus loin : la remise en cause du "système".

Ainsi, loin d'opposer les uns à l'autre, nous devons les promouvoir et les pratiquer sans complexe, même si cela gêne quelques bonnes consciences qui se veulent, à peu de frais "radicales" voire "révolutionnaires".

Oui : refuser le tout-voiture, la grande distribution, privilégier la saisonnalité des produits alimentaires, réduire et recycler ses déchets, etc, sont des gestes plein de sens qu'il faut valoriser et surtout favoriser pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

Publié dans écologie, politique

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