Priorité à la révolte...consciente !

Publié le par Henri LOURDOU

Priorité à la révolte...consciente !

 

 

"Debout, debout, compagnons de misère

L’heure est venue, il faut nous révolter

...

Quand ta pensée invoque ta confiance

Avec la science il faut te concilier

C’est le savoir qui forge la conscience

L’être ignorant est un irrégulier

Si l’énergie indique un caractère

La discussion en dit la qualité

Entends réponds mais ne sois pas sectaire

Ton avenir est dans la vérité"

 

(Charles d'Avray "Le triomphe de l'Anarchie",

chanson révolutionnaire écrite vers 1900).

 

 

J'ai trouvé sur un parebrise de voiture de mon quartier un petit tract sur papier rouge titré "Appel à la mobilisation générale" qui appelle à bloquer le pays le samedi 17 novembre.

Après avoir listé différentes catégories sociales ou professionnelles, dont l'amalgame ne peut que susciter l'interrogation, il s'adresse aux "CITOYENS ! CITOYENNES !" en disant : "STOP ! CA SUFFIT !!!" et en ajoutant : "NOUS DEVONS TOUS NOUS UNIR POUR EN FINIR AVEC CETTE MASCARADE POLITICIENNE !"

 

Interrogations sur une liste

 

Commençons par examiner la liste des catégories qui, selon ce tract, devraient s'unir contre "la mascarade politicienne" (nous reviendrons ensuite sur cette expression).

"CHOMEURS -RETRAITES – EHPAD -AGRICULTEURS -FONCTION PUBLIQUE – ACTIFS -CHEMINOTS – AGENTS HOSPITALIERS -SYNDICATS ET SYNDIQUES -ETUDIANTS – ROUTIERS – POLICIERS ET GENDARMES"

Il semblerait a priori que personne n'ait été oublié, à l'exception des petits commerçants, artisans et professions libérales. En réalité, il semble que le tract ne s'adresse qu'à ceux qui ont eu à subir des mesures gouvernementales récentes ou en gestation : chômeurs, avec la refonte en cours de discussion du système d'assurance -chômage, retraités, avec l'augmentation non compensée de la CSG au 1er-1-18 et le gel des pensions, Ehpad, avec la non réponse au malaise des personnels maintes fois exprimé depuis deux ans, agriculteurs, avec la très discutable loi sur l'alimentation qui ne redresse pas vraiment le partage de la valeur avec la Grande Distribution, fonction publique avec les suppressions de postes annoncées et le gel du point d'indice des traitements, actifs ? Là on s'interroge un peu sur la cohérence de la liste, cheminots avec la fin du statut, agents hospitaliers, avec le malaise persistant autour de l'insuffisance des postes, syndicats et syndiqués ? Peut-être une façon de ne pas dire que cet appel les contourne de fait et remet en cause leur légitimité, étudiants, dont on sait la précarité renforcée, routiers, ici on sent une allusion à la hausse récente du prix des carburants ou au 80 km/h sur les routes bidirectionnelles, considérés donc comme des atteintes à l'exercice d'une profession, policiers et gendarmes enfin, dont on s'interroge sur les raisons de leur présence ici : le seul ministère, avec celui des armées et de la Justice, qui voit son nombre de postes augmenter au budget 2019 est le leur, celui de l'Intérieur, et les bavures sont de plus en plus non seulement couvertes mais encouragées par les consignes ministérielles...Ce qui ne fait que renforcer le mal-être au travail de ces fonctionnaires, et là on peut en effet trouver une bonne raison de révolte, encore faut-il l'expliciter...

En résumé, tout cela ne fait pas vraiment sens, en-dehors du fait d'additionner tous les mécontentements quels qu'ils soient du moment qu'ils s'opposent au gouvernement.

Le seul dénominateur commun de toutes ces catégories est donné par les expressions "NOUS AVONS ASSEZ RALE !" et "NOUS DEVONS (...) EN FINIR AVEC CETTE MASCARADE POLITICIENNE !"

 

Priorité à quelle révolte ?

 

L'appel à "en finir avec cette mascarade politicienne", ajouté à la liste évoquées ci-dessus, évoque malencontreusement des précédents historiques.

Nous en avons au moins trois dans l'Histoire de France depuis un siècle et demi : l'épisode boulangiste de 1885, le 6 février 1934, et l'épisode poujadiste de 1956 prolongé par le quasi-coup d'Etat du 13 mai 1958.

A ces trois occasions, c'est l'Extrême-droite qui est à la manoeuvre, avec des résultats désastreux au final pour la démocratie et les libertés. En 1894 l'affaire Dreyfus et son issue indécise et inaboutie (Dreyfus n'a jamais été officiellement innocenté), en 1940 la revanche vichyste contre le Front populaire, préparée par la réaction daladiériste de 1938, en 1958 la Constitution gaulliste, parachevée par le référendum de 1962, et une pratique autoritaire du pouvoir installant le néocolonialisme en Afrique.

Car si l'Extrême-droite en tant que telle n'a généralement pas bénéficié directement ou très longuement de son action, ses idées par contre sont bien arrivées au pouvoir.

Quelles sont-elles ? Principalement celles d'un exercice autoritaire et vertical du gouvernement de l'Etat, basé sur la limitation ou la suspension des libertés, la pratique officialisée des discriminations à l'encontre des groupes minoritaires les plus faibles.

Et tout cela en délégitimant les corps intermédiaires (associations, syndicats, partis) et les contre-pouvoirs (libertés, droits, lois et juges chargés de les faire respecter).

Car ce que ce tract, après d'autres, qualifie de "mascarade politicienne" n'est rien d'autre que le capital de libertés et de droits chèrement acquis par des générations de miitant-e-s, parfois minoritaires et souvent en avance sur l'opinion commune.

Des gens qui, comme le dit la chanson citée en exergue, ont forgé leur conscience non seulement sur la révolte, mais aussi sur le savoir.

Ainsi, pour ne donner qu'un exemple, le savoir sur le changement climatique nous commande de regarder à deux fois avant de râler contre le 80 km/h ou l'augmentation du prix des carburants. Ce qui n'empêche pas d'en voir les inconvénients immédiats pour certaines personnes,et donc de réfléchir aux mesures d'accompagnement nécessaires.

 

C'est pourquoi nous choisirons en conscience de n'exprimer notre révolte que de façon claire et argumentée, sans lui donner la priorité sur la nécessaire réflexion politique exercée collectivement au sein d'organisations structurées dans un cadre démocratique : associations, syndicats, partis, qui constituent la base d'une démocratie d'hommes et de femmes libres et responsables.

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