Le gauchisme post-68 : un bilan

Publié le par Henri LOURDOU

Le gauchisme post-68 : un bilanLe gauchisme post-68 : un bilan

Le gauchisme post-68 :

Éléments d'analyse et de bilan.

 

J'ai eu une réaction spontanée et impulsive de rejet à propos du livre du journaliste retraité Gilbert LAVAL "Le gauchisme flamboyant -L'après-68 à Toulouse" (Cairn, mars 2018).

Elle était bien sûr excessive et injuste. Il me faut donc lui reconnaître pour commencer ses qualités positives.

La première est d'être, comme me l'a rappelé un ami, le premier ouvrage traitant de la question, en-dehors des "De mémoire" de Jan-Marc Rouillan (dont j'ai lu juste le premier tome, recensé ici).

A l'heure où quelques-uns des premiers témoins de cette époque commencent à disparaître (notre camarade Bernard Bruhat, dit "Fanto", et tout récemment Gérard Milhès, dont ce livre ne dit rien, mais on lui reconnaîtra qu'il ne visait pas à l'historicité scientifique et donc à l'exhaustivité, malgré la curieuse présentation de l'auteur comme "historien" et "géographe du développement"...), il était temps en effet de rendre compte de cette époque à travers des témoignages d'acteurs.

Donc la deuxième qualité du livre est d'avoir recueilli la parole d'un nombre important d'acteurs de cette Histoire. On pourra toujours discuter sur leur représentativité, il n'en demeure pas moins que le panel est suffisamment fourni et diversifié pour prétendre représenter l'ensemble des courants principaux : PSU, Ligue communiste, libertaires, maos de la "Cause du peuple" et de la Gop. Il n'y manquent que les occitanistes (un paradoxe pour un ancien militant de "Lutte occitane"), les non-violents, les objecteurs de conscience de culture libertaire et les écologistes, que l'on retrouvait tous au Comité Larzac -jamais évoqué- aux côtés du Psu et des maos de la Gop.

Le choix de débuter le livre par la manif du 11 janvier 74 contre le Consulat d'Espagne pour éviter l'exécution de Puig Antich , militant libertaire catalan, est un choix qui peut sembler pertinent. L'antifranquisme était en effet une cause qui réunissait à Toulouse au-delà des différentes sectes gauchistes et donc fortement fédératrice.

Néanmoins, il n'a mobilisé que ponctuellement de façon massive. La plupart du temps, il n'a occupé que les nostalgiques de la guerre d'Espagne, ceux qui comme Jean-Marc Rouillan et ses amis rêvaient de revivre une lutte armée qui n'est resté pour la plupart des gauchistes post-68 toulousains qu'un fantasme.

Et c'est ici que commencent mes réserves. En accordant la première place à ces fantasmes de lutte armée, le livre de Laval, s'il réussit bien à recréer une "ambiance" d'époque, laisse de côté ou au second plan trop d'autres aspects de ce "gauchisme flamboyant". Ceux qui, avec le recul, me semblent plus porteurs d'avenir que cette obsession très machiste de la "violence révolutionnaire".

Du coup, l'exotisme du livre crée une distance qui me semble préjudiciable, à une époque qui a pourtant quelque chose à nous apporter, du moins je le pense. En même temps, paradoxalement, il renforce une "mythologie" qui pousse à la répétition des erreurs qui furent alors les nôtres.

Je n'apprécie guère, je dois le dire, cette complaisance qui pousse l'auteur à faire dire à ses témoins, dans son introduction, qu'ils "ne regrettent rien" de ce qu'ils ont fait à cette époque.

Car il me semble que cela conduit à n'en tirer aucun enseignement.

Si le combat initié en Mai 68 avait un sens, alors nous devons tirer des leçons de nos échecs pour aller aujourd'hui de l'avant dans ce combat.

Ce point est malheureusement fort absent de ce livre.

Il faut lui accorder que ce n'était pas son objet. Cependant, c'est bien cela qui m'importe en tant qu'ancien acteur de cette époque, et que toujours militant de gauche de la sensibilité écologiste et social-démocrate.

Qu'il soit donc dit ici que je regrette d'avoir été maoïste (entre 1973 et 1977 très précisément) et partisan de la prise du pouvoir par les armes. Ce que l'itinéraire de la plupart de mes camarades de l'époque semble approuver. S'ils/elles ne partagent pas tous-tes aujourd'hui les mêmes positionnements politiques, ils/elles ont tous abandonné ce paradigme du Parti révolutionnaire et du nécessaire passage par la violence armée pour prendre le pouvoir, ou détruire celui de la bourgeoisie.

Certain-e-s sont resté-e-s marxistes. Ce n'est pas mon cas.

Par contre nous partageons tous-tes me semble-t-il un même refus de la violence comme arme politique, un même souci du respect et de l'élargissement des droits humains universels, de la démocratie et des libertés publiques qu'elle implique, et donc de la mise en place par des luttes non-violentes d'une égalité réelle qui fut le souci et le moteur premier du mouvement ouvrier.

 

Et la question qui me semble pertinente à poser est : comment en sommes-nous arrivés là ? Car la réponse à cette question pourrait éventuellement prémunir certains des membres de la jeune génération aujourd'hui radicalisée autour d'une idéologie éco-féministo-libertaire de la dérive sectaire et violente qui la menace, comme on le voit aujourd'hui hélas à Notre-Dame-des-Landes, à Bure ou dans certaines universités, comme à Toulouse-Jean-Jaurès (ex-Mirail).

Si l'autoritarisme modernisateur macronien ressemble à bien des égards à celui qui fut celui du gaullisme, la radicalisation d'une partie de la jeunesse aussi renvoie pour beaucoup à celle qui fut la nôtre.

Or l'Histoire n'est pas condamnée par nature à la répétition. Cette conviction me conduit à l'hypothèse d'une sortie par le haut de cette radicalisation. Par le haut, c'est-à-dire par une politisation de la révolte dans le cadre démocratique qui permette d'en irriguer les secteurs les plus larges de la société.

C'est ce que nous avons en large partie échoué à faire après 68. La rencontre entre les courants les plus novateurs de l'après-68 et la classe politique n'a pas eu lieu à la hauteur où elle aurait dû. Il en est résulté un maintien des vieilles façons autoritaires et clientélistes de faire de la politique.

Nous en payons aujourd'hui le prix.

"Faire de la politique autrement"

Ce slogan issu de Mai 68, popularisé par le PSU, tout comme "l'autogestion", a fait long feu. Il n'est pas inutile de tenter d'analyser pourquoi. D'autant qu'aujourd'hui le monde de la représentation, politique et syndicale mais aussi associative, est en crise.

Pour pointer ce qui me paraît l'essentiel, cela tient d'abord à nos institutions et aux pratiques qui leur sont liées.

La présidentialisation du régime n'a pas été remise en cause aux seuls moments où des fenêtres d'opportunité se sont ouvertes : en 1981, avec l'élection de Mitterrand ("ces institutions n'ont pas été faites pour moi, mais elles me conviennent"), et en 2000 avec le passage du septennat au quinquennat (décision de placer l'élection présidentielle avant les élections législatives).

Plus grave : à ces deux moments, quasi personne dans la Gauche n'a perçu l'enjeu.

On a plutôt choisi de travailler à une "revalorisation du rôle du Parlement"...dont on voit aujourd'hui les limites avec la pratique macronienne des institutions.

Or c'est cette présidentialisation qui a alimenté la pratique du cumul des mandats tardivement et récemment remise en cause, mais une remise en cause qui ne fait paradoxalement que renforcer le présidentialisme ! A quoi servent des élus plus nombreux et plus disponibles si leur pouvoir est vidé de sa substance ?

Quoi qu'il en soit, une caste de "grands élus" s'est constituée, puis coupée du peuple, puis a été décapitée en partie par le "dégagisme" de 2017. Les survivants se sont réfugiés à l'ombre du macronisme triomphant.

Il en résulte une crise générale des "grands partis". Mais celle-ci peut générer quelques monstres si l'on s'en remet aux vertus supposées de la spontanéité, comme on va le voir.

Pratiquer la démocratie ne s'improvise pas : cela exige des institutions et des procédures rigoureuses. Préserver les acquis en ces matières me semble précieux, c'est pourquoi je reste fidèle et attaché à deux organisations où je milite depuis plusieurs dizaines d'années à présent : la CFDT et les Verts (devenus depuis 2011 Europe Ecologie Les Verts). Ils n'ont ni l'un ni l'autre atteint le nirvana de la démocratie parfaite, mais ils constituent à mes yeux deux cas de volonté persistante à améliorer leur fonctionnement démocratique, avec des avancées indéniables.

 

Car par ailleurs, nous avons appris de l'expérience et de l'Histoire les limites de la spontanéité et les impostures de la révolution armée.

 

Limites de la spontanéité : il peut paraître rafraîchissant au premier abord de voir remise au goût du jour la démocratie d'assemblée générale, par exemple sur la Zad de Notre-Dame-Des-Landes ou dans les universités en grève. Mais on en voit plus rapidement qu'autrefois les limites : paralysie du débat par l'incapacité de parvenir au consensus, logique de surenchère qui amène à des positions impossibles à mettre en oeuvre, exclusion qui en découle de certains acteurs écoeurés par ces dérives...

De la même façon la critique du cumul des mandats et de l'appropriation de la représentation par des "professionnels" a donné un faux remède qui peut parfois être pire que le mal : la pratique du tirage au sort. Non que cette pratique soit condamnable en soi. Mais il faut toutefois en préciser les conditions et bien en cerner les enjeux.

Car le tirage au sort peut servir de cache-sexe à la confiscation du vrai pouvoir par une petite élite cooptée et non élue, comme on le voit aujourd'hui tant à La France Insoumise qu'à Génération.s.

Et dans ces deux cas à éviter tout débat politique structuré autour de vrais enjeux; débat dont on connaît par ailleurs la difficulté à le mettre en oeuvre de façon massive et appropriée par un maximum de militant-e-s. Le recours à la participation en ligne, expérimentée par la CFDT pour son prochain congrès confédéral, n'est pas non plus la panacée : elle n'a pas permis une plus grande mobilisation dans les syndicats pour préparer ce congrès, même si elle a permis d'enrichir le contenu de la résolution soumise à leur discussion.

Ainsi, la démocratie participative de nos rêves reste largement à inventer, bien que le besoin en devienne plus pressant que jamais.

 

Impostures de la révolution armée : ici, je serai peut-être moins consensuel, certain-e-s trouveront peut-être que je suis trop systématique. Je pense pourtant avoir suffisamment étudié de cas de révolutions armées dans l'Histoire pour pouvoir me permettre de conclure que des réformes pacifiques sont toujours préférables à l'épreuve d'une guerre civile (car ce qu'on appelle révolution ou "prise du pouvoir par le peuple" ou "le prolétariat" se traduit toujours dans les faits par une guerre civile qui voit s'affronter deux fractions dudit peuple ou dudit prolétariat généralement encadrés et dirigés par deux fractions des classes dominantes).

En effet, le résultat final des "révolutions" ne conduit jamais plus loin que ne l'auraient fait des réformes pacifiques, mêmes non consensuelles au départ, imposées par une majorité démocratiquement exprimée.

On m'objectera bien sûr l'incapacité des classes dominantes à accepter ces réformes pacifiques, et leur initiative bien souvent de l'usage de la violence. C'est d'ailleurs cette violence préventive des classes dominantes qui amène le plus souvent le mouvement réformiste à se radicaliser en mouvement révolutionnaire.

Il n'en demeure pas moins que le résultat de la violence révolutionnaire, même défensive, est toujours davantage porteur de dérives et de perversions que de résultats positifs. Avec l'exemple hélas trop dénié du communisme soviétique et de tous ses rejetons.

J'en déduis que l'intelligence politique est de pousser les réformes pour la justice sociale et écologique au plus loin possible pour éviter la confrontation violente avec les classes dominantes. Ce qui suppose un haut degré de conscience et de mobilisation démocratiques qui nous ramène à la question précédente des limites de la spontanéité.

 

Ainsi, les leçons du "gauchisme flamboyant" nous ramènent aux enjeux d'aujourd'hui : ceux d'une démocratie à approfondir toujours plus. "Faire de la politique autrement" reste un programme à réaliser.

En ce sens, ce n'était en effet qu'un début, il faut continuer le combat.

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