Timur Vermes "Il est de retour"
Timur VERMES "Il est de retour" (Belfond, mai 2014, 406 pages, 19,33 €...)
OU "DÉDIABOLISATION : MODE D'EMPLOI"
Ce premier roman d'un auteur allemand né en 1967, est paru en 2012 et a eu, nous dit l'éditeur français, "un succès colossal outre-Rhin avec près d'1,5 million d'exemplaires vendus".
L'idée de base est simple : 66 ans après sa disparition, Adolf Hitler se réveille sur un terrain vague de Berlin. Il porte son uniforme, a gardé l'apparence d'un homme de 54 ans, et toute sa mémoire et ses idées.
Le roman est écrit à la première personne : c'est Hitler le narrateur.
Comment voit-il l'Allemagne d'aujourd'hui ? Comment est-il reçu ? C'est tout l'objet du livre.
On est là bien sûr en terrain dangereux.
L'auteur s'en sort très intelligemment en nous traçant le portrait d'un Hitler sans concession et qui pourtant sait se faire accepter en jouant de l'ambigüité de son statut : est-il un acteur imitant le "vrai" ou un nazi convaIncu ?
Cette ambigüité est aussi celle d'une société où la place du spectacle et du faux-semblant ont dévalorisé toute conviction vraie.
Par ailleurs, l'habileté du romancier est de s'appuyer sur l'aspect très humain du "Führer". En cela, il reprend notamment le livre très révélateur de Traudl Junge, sa jeune secrétaire, "Dans la tanière du loup" (Tallandier-poche), dont la perception des choses fut biaisée par sa fréquentation du personnage dans son quotidien très bourgeois.
Cela doit nous appeler, comme elle rétrospectivement (elle ne s'en est jamais remise), à plus de recul et de vigilance sur de tels personnages.
Un leader pathologique ou criminel, comme toute personne, n'est pas d'une seule pièce.
Ainsi il n'est ni nécessaire, ni opportun de le diaboliser pour prendre la mesure de son caractère néfaste.
Inversement, les entreprises dites de "dédiabolisation" et autres chasses au "politiquement correct", doivent exciter notre esprit critique. Ce n'est pas parce qu'un leader politique se donne l'aspect du "bon sens" ou l'apparence des "bons sentiments" que ses idées sont innocentes.
Tel est le cas actuellement de Marine Le Pen et du Front national, et de tous ceux qui leur servent de caution.
Son philosémitisme nouveau en particulier, ou son amour immodéré de la laïcité et de la cause animale ne sont que les masques hypocrites d'un racisme anti-arabe et islamophobe. Et celui-ci n'est que la pointe extrême d'une xénophobie plus générale au service d'une entreprise de conquête du pouvoir pour le pouvoir, dans un but de domination totale, sans aucun respect des libertés individuelles et collectives chèrement acquises depuis deux siècles.
La petite clique des dirigeants frontistes est fondamentalement intolérante et indifférente au sort du peuple. Car celui-ci n'est qu'un marche-pied pour accéder à ce pouvoir total dont ils rêvent.
Le livre de Timur Vernes, écrit par le fils d'un juif hongrois réfugié en Allemagne, doit être lu comme un avertissement contre le pouvoir montant de la démagogie xénophobe et autoritaire en Europe. Car, en un certain sens, il a raison : "Il est de retour". Et, contrairement aux protagonistes de son roman, nous ne devons lui faire aucune concession.
A cet effet, développons l'exemple sur Hitler et les écolos : il ne manquera sûrement pas de bons esprits pour remarquer les convergences remarquables entre le discours du "Führer" et celui des écologistes concernant tant la préservation de la Nature que la relocalisation de l'économie. Il est peut-être nécessaire de préciser que ces objectifs ne se situent pas du tout dans la même perspective : préserver la pureté du sol et de la race et préparer la guerre pour l'espace vital d'un côté, ce que l'auteur par la voix de son personnage précise explicitement, préserver la possibilité de vivre pour les générations futures et assurer la paix par la justice entre les peuples de l'autre, ce qui n'est pas rappelé dans le livre mais devrait être présent à l'esprit de tout lecteur de bonne foi. Mais malgré tout, un esprit aussi brillant que Luc Ferry avait cru pouvoir conclure de ces convergences apparentes que les écologistes étaient les fouriers modernes du néo-nazisme...
Ce genre de raisonnement est aussi pertinent que celui qui conclurait à l'identité de vue entre un Inquisiteur et un libre penseur sous prétexte qu'ils croient tous les deux en un seul Dieu... ou à celle d'un anarchiste et d'un fasciste sous prétexte qu'ils sont tous deux athées.
Il n'en demeure pas moins que de telles confusions permettent à certains de pouvoir dire, comme Hitler lui-même à la fin du livre, "ça permet d'avancer". Il n'est qu'à voir ce qui se passe aujourd'hui avec la laïcité, nouvel étendard des néo-fascistes du Front national.
Dissiper ces confusions est aujourd'hui la tâche majeure de tout démocrate sincère, car la démocratie et la liberté sont à nouveau en danger.