Victor Serge : S'il est minuit dans le siècle

Publié le par Henri LOURDOU

 

VSerge-Les-revolutionnaires.jpg« S'il est minuit dans le siècle » (1936-1938)

 

J'ai lu et relu les « Mémoires d'un révolutionnaire »(1901-1941) achetés à Noël 1978, à peine parus dans leur édition de la collection de poche aujourd'hui disparue « Points Politique ».

J'en avais d'ailleurs rendu compte aussitôt dans la petite revue “Partis pris” (1978-1981) éditée par mes camarades “mouvementistes” (terme d'époque) sortis de l'OCT (Organisation Communiste des Travailleurs), l'un des derniers avatars de l'extrême-gauche post-68.

Début 1980 paraît un volume des romans de Serge sous le titre “Les révolutionnaires”(Seuil), que j'achète (ou me fait offrir ?) et que je range pieusement dans ma bilbliothèque.

Je n'avais pas lu jusqu'ici ces romans.

 

J'ai démarré par l'un des derniers, dont le titre m'avait toujours fasciné : “S'il est minuit dans le siècle”, rédigé en 1936-38 après son retour en Occident grâce à la campagne des écrivains libertaires et trostkystes qui a poussé Staline à l'expulser d'URSS, où il vivait en relégation avec sa famille en tant que membre de l'opposition de gauche.

Un passage significatif justifiant le titre : Elkine, vieux militant bolchévik passé à l'opposition de gauche à Staline et “déporté libre” s'adresse à ses jeunes camarades, dont l'ex-ouvrier Rodion, opposant spontané déporté pour avoir dénoncé les conditions de travail.

“Arrêtons-nous un moment au soleil. On nous enfermera peut-être ce soir dans les sous-sols de la Sûreté. Sachez-le bien pour apprécier la douceur de ce soleil. Je vous enseigne la sagesse ! Vous vous coucherez un jour sur un bat-flanc, dans une pénombre désespérante : souvenez-vous alors du soleil de cet instant. Pas de plus grande joie sur la terre, sauf l'amour, et c'est du soleil dans les veines...

-Et la pensée, demanda Rodion, la pensée ?

-Ah, c'est plutôt-maintenant-sur le crâne, un soleil de minuit. Glacial. Que faire s'il est minuit dans le siècle ?

-Soyons les hommes de minuit, dit Rodion avec une sorte de joie. » (p 574).

Le roman commence en fait à Moscou avec les circonstances de l'arrestation de Kostrov, professeur d'Histoire (on dit « matérialisme historique ») ex-opposant de gauche rallié à la «  ligne générale » du Parti. Puis on va dans la terre d'exil des « eaux noires » où Elkine et ses amis ont constitué un petit noyau relié au réseau des opposants. Une digression nous amène au cas de l'ingénieur Botkine, devenu « opposant malgré lui » par souci de rigueur intellectuelle et imprudence lors d'un voyage à Paris (il achète et lit un bulletin de l'opposition et y note la justesse des critiques contre la collectivisation des terres et l'industrialisation telles qu'elles sont menées).

Sa déportation lui ouvre des horizons intellectuels et en fait l'un des maillons du réseau clandestin des opposants.

Mais le centre du roman est la tentative des autorités locales, sur instruction du « centre », de compromettre les opposants dans une « affaire » permettant de les éliminer définitivement. Comment cette tentative se développe et à quoi elle aboutit est l'occasion de brosser le tableau de ce village d'exil et des personnages impliqués. Un tableau puissant et suggestif qui montre un vrai romancier capable d'accéder à l'universel.

Une lecture captivante.

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