Mobilisation sur les retraites : une action enfin unitaire ?
Mobilisation sur les retraites :
Quelques commentaires sur le texte ci-dessous du co-président d'Attac, l'économiste Thomas COUTROT, paru dans « Le Monde « du 23 avril.
1) Il a raison de souligner le changement de contexte par rapport à 2003, même si son analyse de 2003 n'est pas du tout la mienne
2) Je constate avec satisfaction qu'on a enfin convergé sur l'analyse du partage des richesses : le problème est bien plus celui de la part des actionnaires (les dividendes distribués) que celle du capital en général, donc celui de la financiarisation de l'économie. Il s'ensuit que la cible doit donc bien être la taxation des dividendes et non celle des entreprises : ce distinguo est important, car il réduit la marge de déplacement des richesses (il n'est plus question de 10% de la Valeur Ajoutée mais de 6% : ce n'est pas tout à fait pareil...) Reste juste à admettre que l'augmentation des cotisations patronales sur les salaires est une fausse bonne idée.
3)Face aux manoeuvres de la finance, je constate également que l'enjeu de la construction d'une Europe politique (qui était celui du défunt TCE en 2005) est enfin reconnu : il va bien falloir repartir à l'assaut sur ce terrain, et cette fois-ci en unissant les forces de Gauche au lieu de les diviser comme en 2005.
4) Il n'est plus question du retour aux 37,5 annuités de façon aussi catégorique qu'avant : une forme de reconnaissance implicite de la réalité du problème démographique (allongement de l'espérance de vie et rétrécissement de la base de la pyramide des âges).
5) La question du droit à la retraite à 60 ans pose en fait celle des « carrières longues » pour lesquelles la CFDT avait arraché en 2003 une avancée temporaire aujourd'hui remise en cause. En l'absence de garantie d'une avancée claire sur la question de la pénibilité (corrélée de fait le plus souvent aux carrières longues), cette question constitue la seule échappatoire permettant à ces salariés d'éviter de se voir à nouveau pénalisés par rapport aux autres : refuser cette remise en cause est donc crucial.
6) La dégradation déjà acquise du taux de remplacement des pensions par rapport au dernier salaire impose de bloquer résolument toute nouvelle dégradation en faisant appel à de nouvelles sources de financement : la taxation des dividendes en particulier, mais on peut aussi interroger des dépenses susceptibles d'être réorientées (par exemple la modernisation de notre arsenal nucléaire coûte 1,52 M(Million) d'€ par heure selon le Mouvement de la Paix … soit, si ce chiffre est exact, 13 Mds par an, à comparer avec les 7 Mds de déficit du régime général en 2009 : il serait temps de retrouver le chemin de la mobilisation pour le désarmement nucléaire. )
Bref une mobilisation unitaire contre toute nouvelle dégradation semble possible avec des arguments mieux partagés que précédemment.
Henri LOURDOU
http://vert-social-demo.over-blog.com/
paru dans le Monde du 23 avril :
Thomas Coutrot est économiste et coprésident d'Attac France.
« > La "réforme" des retraites engagée par Nicolas Sarkozy diffère profondément de celle menée à bien par François Fillon il y a sept ans. Cette affirmation peut surprendre à première vue: les arguments employés et les mesures envisagées aujourd'hui semblent un simple copier-coller de 2003. Il s'agit à nouveau de sanctuariser la part abusive que les revenus du capital se sont attribuée dans la richesse nationale depuis la fin des années 1980. Pourtant un déplacement de six points de PIB des profits vers la protection sociale d'ici 2050 permettrait de revenir sur les "réformes" régressives de 1993 et 2003, et d'inverser la tendance à la paupérisation des retraités. Ces six points correspondent exactement à la hausse de la part des dividendes dans la richesse nationale depuis 1982. Il faudrait taxer les revenus financiers, aujourd'hui indécents, et augmenter progressivement les cotisations sociales patronales.
> La réforme Fillon de 2003 visait déjà à figer le partage inégal des richesses en organisant sur le long terme la baisse des pensions. Elle pariait aussi sur le prolongement de l'activité professionnelle des "seniors". Il fallait élargir la réserve de main-d'œuvre pour éviter des pressions à la hausse des salaires, à une époque où certains croyaient naïvement que l'arrivée de nouvelles générations moins nombreuses sur le marché du travail allait favoriser un retour rapide au plein-emploi.
> Aujourd'hui, le chômage des jeunes explose ; plus d'un salarié sur deux se retrouve au chômage ou en inactivité plusieurs années avant de pouvoir liquider sa retraite. Il est donc cynique de prétendre que la réforme inciterait les salariés âgés à travailler plus longtemps. Mais le contexte de crise globale change encore plus profondément encore la signification politique et sociale de la réforme des retraites.
> Le coût du sauvetage des banques et l'impact de la récession ont fait flamber les déficits publics, jusqu'à des niveaux inconnus en temps de paix. Le dégonflement de la bulle de l'endettement privé a fait exploser la bulle de la dette publique. Et les Etats de l'Union européenne se contraignent à financer leurs déficits en empruntant sur les marchés financiers internationaux, ceux-là mêmes qui ont provoqué les déficits par leur effondrement...
> La finance mondiale a décrété la guerre aux dépenses publiques en Europe. Les autorités de régulation européennes ont diligenté une enquête pour identifier les fonds spéculatifs responsables de l'attaque contre la Grèce. Mais l'opacité de ces marchés est telle que l'enquête a échoué (Les Echos, 26/3/2010). George Soros, le spéculateur bien connu, et ses amis des hedge funds ne cachent pourtant pas qu'ils misent gros sur un effondrement de l'euro (Wall Street Journal, 26/2/2010). L'OCDE est explicite sur les motivations des réformes des retraites : "Il est impératif que les autorités conservent la confiance des marchés de capitaux. La mise en œuvre sans tarder des réformes trop longtemps différées des systèmes de pension et de santé pourrait témoigner d'une telle détermination" (Perspectives économiques, novembre 2009).
> La "réforme" s'inscrit dans l'engrenage des politiques non coopératives en Europe, où chaque Etat cherche à attirer les capitaux au détriment des autres. Après le moins-disant fiscal (l'Irlande) et salarial (l'Allemagne) qui a marqué la décennie 2000, les pays de l'Union s'engagent tous dans le moins-disant social. Au lieu de renforcer leur solidarité en adoptant une politique économique coordonnée et un budget communautaire conséquent, les uns dénoncent les "PIGS" (Portugal, Italie, Grèce, Espagne, le fameux "Club Med" de la zone euro), les autres s'en prennent à "l'arrogance allemande", et tous remettent la clé de la prison au FMI, désormais chargé de surveiller la Grèce. La survie de l'euro, et à terme de l'Union, est gravement menacée.
> La contrainte des marchés financiers et la dette publique sont donc les déterminants majeurs de la réforme des retraites de 2010. Cette réforme, dans la lignée du "travailler plus pour gagner plus", symbolise la volonté des élites de poursuivre, coûte que coûte, la course folle du néolibéralisme et du productivisme. Elle annonce une offensive générale contre les politiques et les dépenses publiques en matière d'éducation, de santé, de culture, d'environnement ; une offensive générale du capital financier contre la société, au risque d'une crise majeure de la construction européenne. Elle n'est pas seulement un enjeu pour le mouvement syndical et le salariat : elle concerne l'ensemble des mouvements sociaux, la société tout entière.
> En effet comment imaginer un développement soutenable en demeurant otage des marchés financiers, en restant prisonnier du modèle de croissance consumériste, en bloquant toute réduction de la durée du travail, en refusant de dégager les ressources financières nécessaires pour investir au Nord et au Sud dans la reconversion écologique ? Comment prétendre lutter contre les inégalités et la pauvreté chez nous et partout dans le monde, en s'opposant avec un tel acharnement à toute redistribution des richesses ? Dans ce cadre la taxation des transactions financières, aujourd'hui exigée par un très vaste arc de forces syndicales et associatives au plan international, n'est pas – même si cela n'est pas à écarter – une simple source potentielle de recettes pour la protection sociale. Elle est surtout le symbole et l'outil de la riposte des mouvements sociaux contre l'offensive de la finance contre la société. »