Le complotisme, nouvel alibi de l'apathie citoyenne
Le complotisme, nouvel alibi de l'apathie citoyenne.
"Presque tous les hommes, même de bonne foi, finissent par voir les choses comme ils désirent les voir." (Arturo PEREZ-REVERTE, "Le pont des Assassins", p 45)
Internet est une merveilleuse invention. Sur tous les sujets, une entrée de mots-clés sur un moteur de recherche (le plus souvent Google pour les paresseux) permet d'avoir une réponse instantanée.
Reste ensuite à discriminer la pertinence des réponses : cette étape est souvent zappée par nos contemporains toujours pressés. Et c'est là que le bât blesse, car parmi les multiples rumeurs ou fausses informations que colporte le net, chacun a tendance à retenir celle qui conforte ses préjugés...alors que l'information contraire (pas toujours plus fondée) est également disponible.
Le résultat le plus clair est que les préjugés en sortent renforcés, car lestés du poids de pertinence que l'on attribuait autrefois à l'imprimé : c'est forcément vrai puisque je l'ai lu.
Le complotisme : une vision du monde très répandue
Je viens ainsi de (re)découvrir la force renouvelée des théories complotistes grâce à Internet. Une conversation fortuite entre collègues m'a fait apparaître le caractère plus répandu que je ne voulais croire, des croyances complotistes.
Autrement dit le fait que tout événement mondial peut s'expliquer par l'intervention d'intérêts cachés qui donnent un sens radicalement différent à la version officielle proposée par les média de masse (télé, radio, presse).
En l'occurence, la conversation a tourné autour de deux événements récents : l'utilisation d'armes chimiques dans la guerre civile en Syrie, et l'intervention française en Centrafrique.
Concernant le premier, mes interlocuteurs soutenaient que l'utilisation d'armes chimiques avait été le fait des opposants au gouvernement Assad (tout le monde devrait le savoir, paraît-il...) et que cela n'était qu'un prétexte inventé par les Américains pour justifier une intervention, et faire oublier l'utilisation par Israël d'armes bien plus terribles en toute impunité.
Concernant la seconde, il s'agirait là aussi d'un plan concerté pour faire oublier la responsabilité de la France dans la situation actuelle d'un pays qui , par ailleurs, ne serait pas à feu et à sang comme l'on dit ("où sont les cadavres, des prétendus massacres ? On n'a rien vu").
Une justification du non-engagement
Outre le caractère contradictoire des affirmations (il n'y a pas matière à intervention en Syrie, mais les opposants ont utilisé des armes chimiques/ La France est responsable de la situation en Centrafrique, mais il ne s'y passe rien de grave), ce qui ressort de cela est au fond une justification du non-engagement.
Et c'est bien ainsi que je l'ai compris : il ne sert à rien de manifester, de pétitionner, de faire grève, de se syndiquer, de voter, puisque de toute façon "on nous cache tout on nous dit rien" et qu'on sera à coup sûr manipulé par ceux qui tirent les ficelles dans l'ombre.
Il s'agit-là d'un coup de pouce décisif à l'apathie citoyenne que l'on observe dans nos pays secoués par les crises.
Faisons éclater la fausseté du complotisme
Une petite vérification un peu rigoureuse des informations suffit à faire justice des arguments complotistes.
Ainsi pour la Syrie : la lecture quotidienne du journal "Le Monde" qui avait fait le premier émerger l'information sur l'usage de gaz de combat, contre le scepticisme de toutes les chancelleries, aurait suffi à nos contradicteurs pour constater que l'usage de ces gaz était à plus de 90% de certitude imputable au gouvernement Assad : il en avait à la fois le motif , les moyens et l'occasion, et ceci à plusieurs reprises.
En ce qui concerne le Centrafrique, si la présence au pouvoir depuis 2004 de François Bozizé a été permise par un soutien implicite de la France, c'est bien lui et ses affidés qui ont systématiquement détruit le peu d'Etat qui existait dans ce pays, et suscité par leur corruption et leur impéritie la révolte armée de la Séléka. La situation humanitaire désastreuse dans ce pays ne peut laisser aucun doute à tout lecteur de bonne foi.
Faisons également un sort à l'argument du "2 poids-2 mesures" toujours utilisé à propos d'Israël : que cet Etat ait utilisé des armes "bien pires que les armes chimiques" attribuées à la Syrie ne saurait justifier en aucune manière que l'on renonce à empêcher l'usage de telles armes ! Comme si le pire pouvait justifier le mal ! Encore faut-il cependant prouver qu'il s'agit bien d'un pire et non d'un mal comparable, qu'il faut donc combattre en effet avec les mêmes moyens qu'en Syrie. Où est votre engagement sur ce terrain, amis complotistes ? J'ai bien peur qu'encore une fois cet argument du pire ne recouvre un même non-engagement.
Oui, l'engagement militant n'est ni inutile, ni nocif : il est indispensable
Soyons un peu pompeux : Philippe Meyer, évoquant l'action des résistants sous le nazisme (oui : je vous vois déjà soupirer... mais allez jusqu'au bout de cette phrase) dans le documentaire "De Nuremberg à Nuremberg" l'assimilait à des piqüres de guêpe, et commentait "Ce n'est pas grand chose en effet". Mais il ajoutait, citant quelqu'un dont j'ai oublié le nom, "mais si les guêpes ne piquaient pas, elles auraient disparu depuis longtemps".
De la même façon, l'action militante, associative, syndicale, politique peut être considérée comme négligeable; mais si elle n'existait pas, notre monde aurait un visage bien moins avenant. Vous ne me persuaderez pas du contraire !
Alors, commencez au moins par voter chaque fois que vous en avez l'occasion : il me semble que c'est un minimum décent. Et un peu plus si possible...
Henri LOURDOU, militant associatif, syndical et politique pour les droits humains et l'écologie, depuis quelques années déjà.