La fin d'un monde...et comment y faire face

Publié le par Henri LOURDOU

 

La fin d'un monde...

et la difficulté d'y faire face

 

Roland TROMPETTE et Daniel NAHON, dans leur petit ouvrage de vulgarisation "Science de la Terre, science de l'Univers" (Odile Jacob, 2011, 268 p), concluent leur chapitre 35 (intitulé "Nos sociétés vont-elles s'effondrer à l'exemple de celles des Polynésiens de l'île de Pâques et des Vikings du Groënland ?") en faisant appel à la littérature.

Ils convoquent en effet le docteur Hari Seldon. "Né en l'an 11988 de l'ère galactique dans une planète proche d'Arcturus (...) Seldon est un brillant mathématicien fondateur d'une nouvelle science, la psychohistoire, branche des mathématiques qui analyse l'évolution des sociétés humaines afin d'en prévoir le devenir.

Il est citoyen d'un empire tout-puissant (...) Et pourtant Seldon et ses collaborateurs en prévoient la destruction imminente(...)

Arrêtés et condamnés pour propagation de fausses nouvelles et pour incitation à la rébellion, Seldon et ses collaborateurs ont été déportés sur Terminus, une lointaine planète inhabitée.Là ils vont tenter de regrouper toutes les connaissances disponibles afin qu'elles survivent à la destruction non prévue de l'empire." (p 242)

Tel est l'argument de la suite de romans écrits par Isaac Asimov dans les années 1940-50 sous le titre générique de "Fondation".

 

Il n'est pas indifférent qu'ils fassent appel à cette référence face au déni que rencontre le problème n°1 de notre temps : le réchauffement global accompagné des menaces sur la biodiversité et la menace nucléaire.

 

C'est en faisant également appel à une forme d'Histoire prospective que deux historiens américains, Erik M. CONWAY et Naomi ORESKES, ont écrit le court récit"L'effondrement de la civilisation occidentale" (Les Liens qui Libèrent, 2014, 126 p).

Ce récit "venu du futur" est écrit en 2393 pour commémorer le tricentenaire de la "fin de la culture Occidentale" marquée par "la période de la Pénombre (1988-2073)" et le "Grand Effondrement et la Migration massive (2073-2093)".

Significativement le début de "la période de la Pénombre " est daté de la création du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur le Climat (Giec) dont les travaux successifs se sont heurté, comme ceux d'Hari Seldon,au mur du scepticisme, édifié par le lobby industriel et renforcé par le consensus général quant à l'excellence du mode de vie occidental.

Ainsi le tournant vers une économie "décarbonée" est raté au début des années 2000 : malgré les alertes renforcées des scientifiques du Giec, les mesures adoptées par les différents gouvernements sont nettement en-deçà du minimum nécessaire pour éviter la hausse des émissions de gaz à effet de serre.

Il s'ensuit un réchauffement global dont les effets insupportables conduisent à des initiatives tardives de géo-ingénierie, dont les effets secondaires s'avèrent pires que le mal. Leur arrêt subséquent ne fait qu'entraîner une accélération du réchauffement laquelle entraîne à son tour "le Grand Effondrement et la Migration massive".Seul un petit miracle techno-scientifique, allié à une opportunité du cycle solaire, met fin au processus et entraîne le monde sur la voie de la "guérison climatique", après une période de chaos et de destruction jamais vus.

 

Naomi ORESKES revient sur le contenu de ce livre et plus largement sur tout son itinéraire et sur les enjeux du débat dans une longue entrevue donnée à La Revue Durable (n°52, été 2014, p 9-16) sous le titre "Le changement climatique est un sujet hautement émotionnel".

Elle avait co-écrit avec Erik M.CONWAY un ouvrage qui fait référence "Les marchands de doute"(2010, traduction française "Le Pommier", 2012). Celui-ci analyse et dénonce la collusion entre certains scientifiques et certains lobbies industriels dans le cadre de véritables stratégies destinées à semer le doute sur les dangers scientifiquement établis de leurs productions. Ces stratégies ont eu des effets réels de retard dans les prises de décisions publiques concernant le tabac, le DDT, les pluies acides, le trou dans la couche d'ozone, et à présent, où l'enjeu est pourtant beaucoup plus important, le réchauffement global. On pourrait aussi évoquer dans le cas français l'amiante, les effets du nuage radioactif de Tchernobyl et de l'industrie électronucléaire dans son ensemble, les pesticides, la télévision et les écrans (voir le dernier avis de l'Académie de médecine)...

Le jounaliste du "Monde", Stéphane Foucart, a d'ailleurs écrit lui aussi un livre sur ces "marchands de doute" qui jettent une ombre sérieuse sur l'éthique du monde scientifique.

 

Mais l'apport essentiel de Naomi ORESKES, dans cet entretien, est de souligner l'aspect émotionnel de la question du risque, et tout ce que cela implique.

En particulier, la résistance de la part des scientifiques à "dramatiser" les résultats de leur recherche de peur d'être accusés de céder à l'émotion.

Or, dit-elle, "parler d'un sujet aussi émotionnel sans montrer de signes d'émotion crée chez ses auditeurs de la dissonance cognitive, c'est-à-dire des impressions contradictoires." (p 13)

Et comme "l'une des tactiques favorites des climato-sceptiques est de constamment accuser les scientfiques d'être alarmistes", ils réagissent en en rajoutant dans la "sérénité". Son analyse est "qu'ils sont intimidés". Alors qu'au contraire "dans quasiment tous les secteurs, à de très rares exceptions près, les prédictions du Giec dans les deuxième (1995), troisième (2001) et quatrième rapports (2007) sont toujours correctes ou sous-estimées."(p 13)

 

Quelles raisons alors de rester optimiste ?

 

Un événement imprévu (ORESKES fait référence à la visite de Nixon à Pékin en février 1972 qui a "complètement changé les relations entre les Etats-Unis et la Chine pour longtemps"); la capacité des dirigeants à éviter le pire, démontrée par l'exemple de la "guerre froide"; et enfin l'action des mouvements sociaux ("Beaucoup de choses que les gens pensaient impossibles sont arrivées grâce aux mouvements sociaux").

Investissons donc dans ce qui dépend directement de nous (les mouvements sociaux) et osons croire à la possibilité des deux autres conditions ...Car elles ne sont pas moins nécessaires. Ce qui implique de ne pas jouer la politique du pire à laquelle certains se laissent tenter en pratiquant l'abstention électorale (j'ai été horrifié de constater qu'un esprit aussi profond que Bernard Stiegler a revendiqué son abstention aux dernières élections européennes en arguant que de toute façon il aurait voté blanc, mais qu'il n'a pas pu...). On peut espérer en effet davantage de capacité à éviter le pire de la part de certains élus que d'autres... Même s'ils s'avèrent décidément incapables de faire pour le mieux.

Publié dans écologie

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