Bernard MARIS : de l'écologie à l'irresponsabilité national-pessimiste
Bernard MARIS : de l'écologie à l'irresponsabilité national-pessimiste
Bernard MARIS a gagné : je viens de stopper mon abonnement à Charlie hebdo, que j'avais pris en 2005 notamment pour soutenir la courageuse prise de position de Val en faveur du « oui » au référendum sur le TCE.
J'avais déjà connu quelques déceptions avec ce journal, avec l'affaire Siné (disproportion de la réaction de Val et polémiques de bas étage à caractère personnel), puis la révélation des vrais motifs arrivistes de Val (sa nomination à la direction de France Inter). Puis le soutien récent à peine subliminal du journal au Front de Gauche et son abandon progressif de l'écologie comme valeur fondatrice (ô mânes de Fournier et de Gébé et Reiser !), mal masqué par la présence-alibi d'un écolo fondamentaliste comme Nicolino, qui passe plus de temps à dégommer les écolos qu'à défendre l'écologie. Et une première alerte de Maris commençant à brûler le projet européen qu'il avait adoré...
Voici donc à présent que Maris, en apostrophant Cohn-Bendit « qui n'existe que par sa grande gueule faussement anar dans les médias » (Charlie du 27-6-12, p 6), traite carrément Cécile Duflot de fausse écologiste sous prétexte qu'elle a fait 4 enfants, et écrase de son lourd mépris ledit Cohn-Bendit qui découvre naïvement que « les Verts sont des politicards ».
Bonjour le mépris et les stéréotypes !
Cohn-Bendit « faussement anar » : B.Maris s'arroge le droit de trancher sur les « vrais » et les « faux » anar, au nom de quoi ? Sinon de sa supériorité intellectuelle d'érudit (« nous qui lisons des livres » : croit-il donc que tous ceux qui sont dans ce cas partagent ses jugements ?). Cohn-Bendit n'existerait que par sa grande gueule : nous sommes quelques uns (et qui lisent des livres) à penser que ses interventions publiques sont d'une consistance intellectuelle qui va bien au-delà de « sa grande gueule faussement anar » et notamment sur le sujet qui suit.
Car là n'est pas le plus grave dans cet article significativement titré « L'Europe aux poubelles de l'Histoire », voici à présent que ledit Maris se vautre dans l'antigermanisme de mauvais aloi.
Lui qui se pique d'érudition historique sur les deux grandes boucheries de 14-18 et 39-45, sait très bien à quoi s'en tenir sur la force des affects et des préjugés xénophobes.
En décrivant l'Europe de l'euro comme une colonie allemande et l'Allemagne comme un bloc où tout débat politique aurait disparu, il ne fait que réactiver le réflexe « antiboche » .
Et sa conclusion est d'ailleurs explicite : « Comment l'économie allemande s'est-elle construite ? En se protégeant. Il est temps de se protéger d'elle, n'est-ce pas, monsieur Cohn-Bendit ? »
Et pour ceux qui n'auraient pas bien compris, Maris revient à la charge dans le Charlie suivant (4 juillet) : c'est dans l'édito cette fois, titré « Ennuyeux comme un Européen » qu'il remet le couvert.
L'Europe c'est ennuyeux : ô le bel argument en or massif ! Ergo : jetons-la donc aux poubelles de l'Histoire. Comme c'est intéressant. La vraie vie n'aurait rien à voir avec l'Europe, qui ne nous parlerait que d'économie de marché et de mécanismes correctifs à cette économie de marché, basée sur le sacro-saint travail et la très sainte consommation.
Et si l'Europe ce n'était pas que cela, mais aussi la découverte mutuelle, par les jeunes générations en particulier, de cultures et de modes de vie différents qui ont également pour particularité une communauté de valeurs libertaires, solidaires et égalitaires...bases d'une citoyenneté européenne qui peut prendre chair pour peu que l'on renforce son cadre institutionnel plutôt que de le rogner ou le rabaisser sans arrêt par des stéréotypes xénophobes ?
C'est en tout cas ce que nous sommes quelques uns à partager avec « monsieur Cohn-Bendit » et avec les électeurs et militants d'Europe Ecologie Les Verts, qui ne sauraient se réduire à quelques politiciens arrivistes comme JV Placé, C Duflot et leurs clients.
J'ai appris récemment que Bernard MARIS avait été candidat pour les Verts aux législatives de 2002 à Paris (dans les 5e et 10e arrdts : il a réuni d'ailleurs 2 994 voix et 10,73%). On voit le chemin parcouru depuis lors.
Que Maris ait renoncé à l'optimisme de la volonté pour ne garder que le pessimisme de l'intelligence, selon la formule de Gramsci, ne le dispense pas d'un devoir de responsabilité vis-à-vis de ses lecteurs. En enfourchant le cheval de l'antigermanisme primaire, il rejoint la tradition nationaliste la plus réactionnaire.
PS du 9 janvier 2015 : Oui, bien sûr, ces lignes prennent une autre dimension avec le lâche assassinat subi par Bernard MARIS et ses amis de Charlie hebdo le 7 janvier. Je pleure un proche avec qui je n'étais plus d'accord, mais je pleure. Pour autant, j'avais acheté le matin-même le n° de Charlie où il rendait compte du dernier livre de Houellebecq, et je ne suis toujours pas d'accord. J'aurais aimé le lui écrire. Mais j'y reviendrai : c'est trop important, et nous vivons des temps où l'ambiguïté et l'irresponsabilité ne sont plus possibles.