Crise de l’autorité et « retour du bâton » :
(re)découvrir Gérard Mendel
Gérard MENDEL : "Construire le sens de sa vie" (La Découverte, 2004, 204 p).Au moment-même où ce livre arrive chez les libraires, en octobre 2004, on apprenait la disparition de l'auteur qui signe ainsi ce qui apparaîtra comme le point d'orgue d'une oeuvre considérable, sans doute l'une des plus fécondes pour la pensée sociale et politique du siècle qui s'ouvre.
Ce livre est le 3e volet d'un tryptique qui résume les résultats de l'entreprise commencée en 1968 avec "La révolte contre le Père". Après la crise de l'autorité ("Une histoire de l'autorité", La Découverte, 2002), puis celle de la politique qui en découle, et les pistes qu'il suggère pour "construire la démocratie participative" ("Pourquoi la démocratie est en panne", La Découverte, 2003), Mendel aborde la crise existentielle de l'individu contemporain, délié des rets de l'autorité traditionnelle, mais encore incapable souvent de "Construire le sens de sa vie".Pour cela, il passe en revue avec rigueur quelques pensées majeures significatives de "l'esprit du temps".
La perte de sens de la vie chez les modernes a été en effet traitée d'abord par les philosophes : au premier chef, Kant et Nietzsche, créateurs tous deux d'une forte tradition de pensée. Ceux-ci et d'autres (Habermas, Rawls, Jonas...) parmi lesquels, de plus en plus, des sociologues (tel Max Weber) ont en commun de fonctionner sur la base d'un "universalisme abstrait" qui ouvre sur une impasse : leur "système moral" quel qu'il soit, repose toujours sur un postulat relevant en dernière analyse de la croyance.
Face à de telles entreprises, Mendel oppose la nécessité d'une anthropologie générale qui balise au préalable le terrain des "valeurs". Celui-ci a été longtemps structuré par la domination masculine qui avait généré un système sexué des valeurs : on était ainsi passé du sexe (biologique) au genre (culturellement défini). Cette domination remise en cause, c'est toute la chaîne de transmission d'un comportement social prédéterminé qui est brisée : la fameuse "crise de l'autorité" est ouverte. L'individu, libéré des rôles imposés, devient disponible à toutes les aventures. Mais la société n'en continue pas moins d'exister... et de peser sur les destins individuels.
Sur quoi dès lors bâtir le "sens de la vie" ? D'abord, propose Mendel, sur une première valeur universelle : l' "objectivation du réel", autrement dit la démarche consistant à saisir la réalité dans sa complexité par l'usage d'une "rationalité élargie", laquelle débouche sur les valeurs démocratiques en tant qu'application de cette rationalité aux problèmes sociaux.
Celle-ci pour se développer doit s'opposer à une autre valeur universelle : le "psychofamilialisme", lequel, appliqué au social, donne l'autorité et sa conception hiérarchique, aujourd'hui battus en brèche par l'essor de l' "objectivation du réel" et les valeurs démocratiques qui l'accompagnent. Pour autant, bien qu'atteinte dans son rôle social, la base psycho-affective de l'autorité n'en continue pas moins d'exister en tant que phénomène psychique individuel : c'est la base objective des offensives réactionnaires (au sens strict de retour en arrière) auxquelles on assiste depuis quelques années, singulièrement dans le champ de l'éducation. Mais ces offensives sont vouées à l'échec, comme en témoigne l'ambivalence-même de leurs mises en scène les plus médiatiques, tel le récent "pensionnat de Chavagnes".
Cependant le jeu se complique de la puissance croissante d'une 3e valeur , la valeur-argent portée par la dynamique du capitalisme qui valorise une forme de "rationalité restreinte". Résultat : "Là où l'autorité recule, ce n'est plus tant, comme autrefois, la démocratie qui avance, mais le plus souvent le règne de l'argent qui s'étend" (p 166).
C'est cette prégnance de la "rationalité restreinte" qui explique le recours aux techniques de "développement personnel" dans le cadre d'une vision étroitement individualiste de laquelle Mendel, psychanalyste de formation et de pratique, n'exonère pas la psychanalyse. Et ceci malgré les mises en garde de certains esprits lucides comme Winnicott contre la fabrication de "faux moi".
Autre symptôme de fausse sortie de la crise identitaire de l'individu contemporain : l'essor politique du populisme, forme psychofamilialiste de la politique valorisant un leader charismatique s'appuyant sur des réactions racistes ou xénophobes.
Mais aussi, le "processus de victimisation" proliférant que l'on peut observer dans la vie sociale et politique : il tend à absolutiser un tort ou une injustice ressentis en radicalisant l'opposition entre le sujet et tous ceux qui, à tort ou à raison, ne rentrent pas dans son jeu. C'est le champ ouvert au manichéisme le plus sommaire. On s'éloigne ainsi à vive allure de l'"objectivation du réel" pour revenir à un monde "enchanté" propice à toutes les "solutions" magiques : la victimisation est bien fille, comme l'autorité, du "psychofamilialisme". Elle s'appuie sur l'affectif et sur la déréalisation du monde.
Ces fausses sorties ne se présentent que parce que les conditions d'un épanouissement des individus, réunies à bien des égards, ne sont pas entièrement prises en compte par la société et ses élites.
Il manque en effet à nos sociétés les dispositifs d'apprentissage et de mise en oeuvre du pouvoir collectif là où il est praticable : dans les institutions de base (école, entreprise, associations, syndicats, partis, lieux de vie...) . C 'est par cet apprentissage et par cette pratique permetttant aux individus de "voir le bout de leurs actes" que la personnalité psychosociale pourrait s'épanouir. Ainsi sortirait-on du malaise ambiant : encore faut-il s'en donner les moyens. C’est ce que développent les 2 ouvrages précédents de Mendel :
« Une histoire de l’autorité », La Découverte, 2002,
286 pages.
Voici un livre qui vient à point nommé : on n’a jamais davantage parlé d’ « autorité ». Un livre qui vient à point nommé, mais à contre-courant, car il remet en cause pour commencer la fausse évidence qui entoure ce terme d’ « autorité ».
L’auteur n’est pas un nouveau venu : il trace son sillon depuis plus de 30 ans sans dévier de sa route. Il a eu sa notoriété dans les années 70 où sa pensée semblait davantage s’inscrire dans l’air du temps…au prix de contresens symétriques à ceux qui le guettent aujourd’hui : les antiautoritaires de l’époque l’auraient bien annexé, mal gré qu’il en eût, car il a toujours récusé le faux débat entre « partisans » et « adversaires » de l’ « autorité ».
C’est une pensée exigeante et patiemment construite qui s’exprime ici : tout le contraire des canons du best seller de la pensée contemporaine.
Que nous dit-elle ? Tout d’abord que le terme « autorité » est trop polysémique pour être utilisé, comme il l’est actuellement par trop de gens, sans précaution.
Et, d’entrée, Mendel balise le terrain par une anecdote significative. A la question : « Doit-on faire preuve d’autorité dans l’éducation des enfants et des adolescents ? », il reprend la réponse donnée par le grand psychiatre et psychanalyste Pierre Mâle au début des années 60 : « La fermeté, oui. L’autorité, non. » Et il ajoute : « A la fois, tout était dit, et tout restait à dire ».(p 18).
En effet, ce qui se cache derrière la fameuse « crise de l’autorité » est moins la démission des adultes que leur incapacité objective à reproduire un modèle de socialisation devenu impossible : celui qui impose l’obéissance absolue et sans discussion en jouant sur la peur d’abandon de l’individu.
Comment fonctionnait l’ « autorité » ? Mendel nous impose un long détour critique sur l’apport des différents théoriciens qui se sont penchés sur la petite enfance et leur mise en rapport avec quelques grandes situations ou personnages politiques historiquement et géographiquement divers. Les familiers de Mendel retrouveront des éléments déjà abordés dans ses livres précédents (en particulier son premier ouvrage « La révolte contre le Père », mais aussi « Pour décoloniser l’enfant », « La psychanalyse revisitée », « De Faust à Ubu »…).
Il ressort de tout cela qu’une course de vitesse est engagée entre la déconstruction des repères sociaux traditionnels (« l’autorité ») par la logique de marchandisation individualiste du capitalisme et la construction de nouveaux repères par la mise en œuvre d’un apprentissage démocratique de la vie sociale. Ce comblement du déficit démocratique permettrait de dépasser les nouvelles angoisses et les pathologies psychoaffectives qui se développent sur la dénudation du socle anthropologique de l’autorité traditionnelle.
C’est notamment l’Ecole qui pour Mendel devrait avoir pour fonction de répondre à la question suivante : « Comment l’individu en viendra-t-il à reconnaître, à accepter que des limites s’imposent à ses actes dans la réalité extérieure et dans la société en particulier ? Des limites qui ne lui seraient pas dictées par la force, l’endoctrinement ou la manipulation psychologique, mais qui susciteraient son adhésion intime et convaincue, étayée à la fois par l’expérience et l’argumentation raisonnée. »(p 272)
Mais il s’agit d’abord de « civiliser le schéma psycho-familial », autrement dit de redonner au soubassement anthropologique de l’autorité, les rapports entretenus avec les adultes pendant la toute petite enfance, une cohérence sociale basée sur les valeurs démocratiques et laïques : importance de la légalité et de la tolérance.
C’est sur ce point que Mendel reste finalement le plus flou, et c’est dommage car c’est le terrain aujourd’hui le plus sensible et le plus abandonné à la fois au marché et aux nostalgies réactionnaires (la télé gardienne d’enfants et l’éducation par la contrainte violente : dernièrement encore un enseignant de Segpa me soutenait qu’avec certains élèves, il s’agissait de dressage et non d’éducation).
Sur ce qui suit (« compléter le schéma psycho-familial » et « développer la personnalité psycho-sociale ») le propos est plus explicite, en particulier sur le 2d point, et s’appuie sur un vrai capital d’expériences pratiques accumulé depuis 30 ans : en particulier le « Dispositif d’Expression Collective des Elèves » appliqué par des Conseillers d’Orientation Psychologues en France et en Belgique contre vents et marées (et en particulier contre le scepticisme de départ de nombreux enseignants, arc-boutés sur le modèle individualiste et autoritaire en perdition (pp 22-3 et pp 275-6 ;on peut se renseigner auprès de la petite association qui soutient ces pratiques depuis 15 ans :APECE 16, rue C.Desmoulins, 18 000 BOURGES).
« CIVILISER LE SCHEMA PSYCHO-FAMILIAL » (G.Mendel, « Une histoire de l’autorité », p273)
Sur le sujet du rôle de la famille et de la société par rapport à la petite enfance, des voix discordantes se font entendre. Elles manifestent ce trouble des consciences dont le récent petit livre de Daniel Lindenberg (« Le rappel à l’ordre », Seuil, 2002) vient de rendre compte, de façon sans doute trop elliptique, en s’attirant de virulentes réactions (voir par exemple « L’Express », qui se fait, sous la houlette de D.Jeambar, le porte-parole quasi officiel des « nouveaux réactionnaires »).
Trois livres récents sur le sujet ont retenu mon attention.
Le premier (chronologiquement) est l’œuvre d’un démographe, Louis ROUSSEL (« L’enfance oubliée », O.Jacob, 2001). Il exprime sur l’évolution actuelle de la famille une inquiétude qui se veut rationnelle et distanciée par une réflexion anthropologique nourrie à la pensée de Claude LEVI-STRAUSS.
Le deuxième, signé par une psychologue wallonienne, Liliane LURCAT (« La manipulation des enfants », Le Rocher, 2002) relève de la littérature apocalyptique et prophétique, bien que fondé, en principe, sur une approche scientifique.
Le troisième,enfin, est l’œuvre d’une historienne de la psychanalyse d’obédience lacanienne, Elisabeth ROUDINESCO (« La famille en désordre », Fayard, 2002), qui fait montre, parmi les 3, du seul point de vue optimiste, sans pour autant masquer les différences de points de vue et en relativisant son propre positionnement.
Ces 3 livres couvrent significativement, me semble-t-il, l’éventail des différentes attitudes face à l’évolution actuelle de la famille et de l’éducation : l’exécration indignée(L.Lurçat), l’inquiétude polie(L.Roussel) et l’optimisme mesuré(E.Roudinesco).
Par ailleurs, et au-delà de la tonalité d’ensemble de leur propos, ils apportent des éclairages complémentaires . L.Lurçat a effectivement étudié les effets de la télévision sur le petit enfant ainsi que les modalités de mise en place des premières étapes de la vie intellectuelle. L.Roussel rend compte de façon intelligente bien que critique des théories du sociologue F de SINGLY sur les nouvelles relations parents-enfants dans la famille française. E.Roudinesco, enfin, offre un panorama mis en perspective de l’évolution de la famille et des débats récents qui l’ont accompagnée.
Que retenir de leur lecture ?
Tout d’abord, c’est l’évidence, que la famille a changé. Sur ce sujet, cependant, la plus muette est L.Lurçat : à la lire, on a le sentiment que la famille a tout simplement disparu. Entre une télévision entièrement au service du Grand Capital, qui commandite les publicitaires manipulateurs, et une Ecole détruite par des réformateurs irresponsables, on ne voit nulle part apparaître dans son livre les parents qui confient leur progéniture à l’une et à l’autre. Cette disparition des parents est pour le moins problématique. Car elle ne correspond tout simplement pas à la réalité la plus commune et témoigne pour le moins d’un mépris du peuple assez sidérant lorsqu’elle se contente d’affirmer que les parents de milieu populaire n’ont aucun moyen de s’opposer au rouleau compresseur que représenteraient la télévision et l’Ecole.
L.Roussel, lui, reconnaît l’existence et le rôle des parents, mais c’est pour critiquer le modèle aujourd’hui dominant, théorisé par F.de Singly, du parent-partenaire(copain, grand frère ou grande sœur) dont le rôle se limiterait à faciliter, sur le mode de la négociation paisible, le développement des potentialités de l’enfant. Comme si le passage à l’âge adulte pouvait se faire sans rupture et sans conflits.
Ce modèle, qui devrait tout à Mai 68, empêcherait les enfants de grandir et entraînerait une régression générale de la société dans une forme d’immaturité collective porteuse potentiellement de barbarie. Le propos n’est pas entièrement explicite, mais on comprend, à lire L.Roussel, que la montée de la violence aurait à voir avec cette socialisation déficiente, où les adultes ne s’opposeraient plus aux désirs spontanés des enfants.
En cela, il rejoint le propos de L.Lurçat sur le rôle de la télévision formatée par les publicitaires : le monde proposé à l’enfant est un monde sans limites, profondément anxiogène, où la seule réponse apaisante est la consommation sans fin et toujours renouvelée. Un monde où l’autre n’existe pas, entièrement égocentré. Un monde où la réalité se plie aux désirs et à l’imaginaire de l’enfant.
Qui ne voit des traces de cela chez les enfants fortement exposés à ces 2 travers que sont la fréquentation précoce et assidue des programmes de télévision et des parents fortement démissionnaires ? Mais qui ne voit aussi que ces 2 travers sont aujourd’hui socialement dévalorisés et, partant, de plus en plus minoritaires ?
La pression sociale va clairement dans le sens d’une responsabilisation croissante des parents : des parents de plus en plus demandeurs d’aide pour jouer un rôle qui apparaît à bien des égards écrasant. Et cette aide, de plus en plus, leur est fournie comme en témoigne par exemple l’apparition des médiateurs familiaux, après les succès éditoriaux de tous les ouvrages sur l’art d’élever ses enfants (quel parent de moins de 60 ans n’a pas débuté sa carrière par la lecture de L.Pernoud et ses (nombreux) épigones ?). Au surplus, nos modernes Cassandres, le nez sur les média, oublient les formes de sociabilité élémentaires et leur rôle décisif : tous ces conseils stéréotypés (et pas toujours bien inspirés, quand on pense par exemple au succès d’un idéologue machiste comme A.Naouri) sont passés à la moulinette des multiples conversations entre parents qui constituent un moyen spontané de relativiser les angoisses et de résoudre les problèmes quotidiens du métier de parent en mettant en commun le vécu.
Dans la plupart des cas, on peut raisonnablement penser que l’élevage des enfants français par leur famille se situe aujourd’hui à égale distance du laxisme généralisé que certains déplorent et de l’impossible restauration de la famille patriarcale disparue. Si le consumérisme ambiant exerce sa pression, là comme ailleurs, le Grand Capital n’a pas tout envahi. Si la négociation s’est bien emparé des rapports adultes/enfants, elle n’est pas omniprésente. Le sentiment, le coup de gueule, et tout ce qui va avec, sont toujours là. Les crises et les ruptures n’ont pas disparu : on essaye seulement de les gérer de façon plus intelligente et moins dévastatrice. La « civilisation du schéma psycho-familial » est donc bien en marche.
C’est ce que suggère à sa façon E.Roudinesco lorsqu’elle dégonfle certains fantasmes apparus lors des discussions autour du Pacs. Ainsi qu’elle le conclut fort justement : la famille en tant que cellule de base de la société n’a jamais été autant plébiscitée. Elle est seulement en voie de redéfinition : non pas en partant d’une illusoire table rase, comme certaines utopies des années 60-70 l’auraient voulu, mais bel et bien en partageant l’expérience des générations passées à la lumière des aspirations et des problèmes du présent. Cette réinvention pragmatique dégage certaine tendances : la place et le rôle des parents sont décisifs dans les premières années. Une disponibilité faite d’attention et de fermeté bien comprise permet aux uns et aux autres de baliser tout le parcours ultérieur. Le dialogue parents-enfants peut alors se mettre en place à toutes les étapes de crise de croissance en alliant amour-protection et prise d’autonomie adaptée à chaque âge. Il n’y a pas de recette ni de garantie : seulement un don d’amour spontané et un devoir d’intelligence.
Faut-il donc conclure que les voix de plus en plus nombreuses et écoutées qui s’élèvent en faveur de la « restauration de l’autorité » ne s’appuient que sur des peurs fantasmatiques ? On n’ira pas jusque là. Le respect de la vérité oblige à reconnaître la montée d’une violence de plus en plus précoce. Ce phénomène inédit signe bien la « crise de générations » analysée depuis plus de 30 ans par G.Mendel. Seulement, le problème n’est pas dans la question : il est dans la réponse. A cultiver l’idée d’un possible retour en arrière (« restaurer l’autorité » affichait dès 2002 le ministre délégué à l’Education, X.Darcos), on s’expose à de cruelles désillusions. Ce goût pour les ruptures et les solutions radicales propre aux intellectuels français s’exerce à tous les niveaux. On sent comme un parfum de mobilisation de ce monde-là autour de ce vieux schéma. Et comme le disait feu J.Prévert : « Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes ». C’est ce que suggère aussi le livre suivant :
« Pourquoi la démocratie est en panne » (La Découverte, 2003, 240 pages)
Depuis un certain 21 avril 2002 et son résultat inattendu, il n'est plus possible d'esquiver la question : pourquoi notre démocratie représentative n'arrive-t-elle plus à nous
représenter ?
Quelle crise de la démocratie ?
A cette question, beaucoup de réponses possibles. Toutes n'ont pas le même degré de pertinence.
Certains s'en tiennent paresseusement à la « trahison » de la Gauche (qui ne se distinguerait plus de la Droite), ou à l'excessive dispersion de l'offre politique qui entraînerait son illisibilité (16 candidats aux présidentielles de 2002 contre 9 seulement en 1995).
La première proposition reçoit clairement sa réponse de la politique menée par les gouvernements Raffarin-Villepin comparées à celle du gouvernement Jospin. Quant à la seconde, ne prend-elle pas l'effet pour la cause ? Et si la dispersion de « l'offre » provenait d'une insatisfaction du côté de la « demande » ?
C'est de ce côté, plus difficile certes à explorer, que Gérard Mendel nous invite à creuser.
Du côté des organisations
Pour cela, il s'appuie d'abord sur quelques interventions de terrain auprès d'organisations syndicales et politiques de gauche. Il n'est certainement pas dû au hasard (et quoi que puissent en penser aujourd'hui certains néophytes prisonniers d'images médiatiques récentes) que ces organisations-là soient la CFDT, les Verts, le PS et, plus marginalement mais non moins significativement, la mouvance des « communistes critiques ». Ces interventions ont toutes eu lieu entre 1981 et 1995, avec des durées variables (interventions ponctuelles ou « au long cours »).
Leur point commun ? L'absence de débouché concret pour remettre en question le fonctionnement des uns comme des autres. Mais aussi la perception d'une attente insatisfaite de la part de la « base ». Quel que soit le positionnement idéologique des différentes organisations (réformiste ou révolutionnaire) leurs cadres dirigeants ont tous les mêmes réflexes : ils se considèrent implicitement propriétaires de leur organisation et véhiculent une conception familialiste de son fonctionnement, dans lequel ils jouent le rôle des parents. La convivialité, cultivée par les uns comme par les autres, a pour limite l'absence d'analyse des conditions de la délégation du pouvoir aux dirigeants. Or cette délégation aboutit à une confiscation lorsque le discours des dirigeants se construit sans écoute véritable de ce que leur base a à dire à partir de son vécu social propre.
Les base d'une démocratie "participative"
La négation de l'existence de différents niveaux de pratique sociale (et donc de vécu), existence induite par la division-même du travail et la nécessité de délégations de pouvoir qui s'ensuit, est à la base de cette confiscation. Il s'agit au départ de cécité plus que de mauvaise volonté.
Reconnaître donc les niveaux pertinents de coopération entre individus est la première condition de traitement du malaise démocratique. Le mot, un peu galvaudé, de « subsidiarité » correspond assez bien à cette recherche des coopérations fructueuses.
L'expérience de la sociopsychanalyse depuis plus de 30 ans valide ce qu'un peu de bon sens et de nombreuses expériences spontanées nous apprennent : c'est de leur identité de situation et donc de leur « faire commun » que les individus ont le plus à se dire et à profiter mutuellement.
De cette mise en commun peut émerger la démocratie participative au sens strict. Autrement dit la mise en place de compromis sociaux basés sur la reconnaissance effective des problèmes dans toute leur complexité.
"Crise des identifications" et régression idéologique
Cette pratique de la démocratie participative de base est l'antidote à la déficience psychologique que la « crise des identifications » induit dans nos sociétés modernes. La traduction intellectuelle de cette crise est la persistance du phénomène des gourous intellectuels et du recours aux discours et solutions simplistes.
La méconnaissance qui s'ensuit, et dont Mendel, pour finir, analyse les différents ressorts psychologiques, aboutit à de véritables constructions idéologiques remettant en cause l'essence–même de la démocratie au nom d'une forme d'autoritarisme au fond très archaïque.
Quel ressourcement pour la démocratie ?
L'enjeu d'un ressourcement de la démocratie par la mise en place de nouvelles formes de socialisation est au cœur du malaise social actuel.
Il s'agit bien, ainsi que le conclut l'auteur, après avoir, nous dit-il, longuement résisté à ce qui lui apparaissait comme trop dérisoire, d'arriver à une forme de « consultation » complétant la démocratie représentative, et non s'y substituant. Mais une consultation fondée sur des procédures rigoureuses et collectives, et non sur le laisser-faire, laisser-dire individualiste ou la pratique restrictive du mandat électif traditionnel.
Avis à tous ceux qui ne se résignent ni à la montée de l'abstention, ni à la dispersion de la représentation, ni à la progression de l'extrêmisme.