Nicolas TENZER Fin de la politique des grandes puissances

Publié le par Henri LOURDOU

Nicolas TENZER Fin de la politique des grandes puissances
Nicolas TENZER
Fin de la politique des grandes puissances
Petits et moyens États à la conquête du monde.
Éditions de l’Observatoire, avril 2025, 330 p.


 

J’avais remarqué Nicolas TENZER en tant qu’invité à l’émission d’Arte 28’, par ses prises de position très clairement favorables aux révoltés syriens, puis à la résistance ukrainienne, dans un contexte où, les premiers surtout, ne bénéficiaient pas généralement d’un tel soutien.

Haut fonctionnaire et enseignant à Sciences Po Paris, il est reconnu comme un spécialiste de stratégie géopolitique.

Son époustouflante érudition s’allie naturellement à un sens certain de la nuance qui ne l’empêche pourtant pas, contrairement à certains de ses collègues, d’adhérer à une défense intransigeante de la démocratie et des droits humains.

Sa réflexion, d’une clarté lumineuse et dans un langage simple et accessible, prolonge les réflexions de Bertrand Badie sur la fin du modèle « westphalien » des relations internationales. Ce modèle, issu du traité de Wesphalie de 1648, qui a mis fin à la longue guerre civile européenne connue sous le nom de « guerre de Trente ans », est bâti sur l’idée d’un équilibre des forces à maintenir entre « grandes puissances » afin de garantir une « paix armée ». Ces grandes puissances ont varié dans le temps, mais sont restées des puissances européennes ou d’origine européenne.

Le dernier avatar du « modèle westphalien » fut la « guerre froide » entre USA et URSS. Depuis son achèvement par l’explosion du bloc soviétique, tous les spécialistes sont à la recherche des nouveaux « pôles » de puissance censés structurer notre monde.

On a ainsi beaucoup parlé de « monde multipolaire » qui devrait succéder au monde « bipolaire » de la « guerre froide ».

Or, nous dit,et à mon avis nous démontre, Nicolas TENZER ce modèle est aujourd’hui obsolète.

Il considère qu’aujourd’hui les peuples ont leur mot à dire et que les États, en particulier les États autoritaires ou totalitaires, ne sont pas forcément ceux qui auront le dernier mot. Il considère également que certains principes universels sont amenés de ce fait à passer du ciel des proclamations sans effet à la terre des réalisations concrètes, il s’agit en l’occurrence des droits humains et de la démocratie.

La preuve en est donnée selon lui par deux peuples qui ont résisté opiniâtrement à l’oppression dans les années récentes : le peuple syrien et le peuple ukrainien. La chute inattendue du régime de Bachar al Assad, toute comme la résistance persistante et tout aussi inattendue des Ukrainiens à l’invasion russe sont pour lui les gages d’autres heureuses surprises à venir.

Je ne résiste pas au plaisir de citer les lignes qu’il consacre à ses collègues soi-disant réalistes à propos de la Syrie, d’autant plus qu’il cite au passage un personnage encore omniprésent et omni-invité sur les plateaux télé et dans les studios de radio.

« Certains étaient empêtrés dans une posture de prétendu réalisme, poussant à une « normalisation » du régime, comme si les crimes massifs étaient une sorte de fait accompli. D’autres affirmaient crûment qu’il fallait que les démocraties « [prissent] leurs pertes sur le « dossier » (sic) syrien » (Hubert Védrine, in « Le Monde », 13-1-17) comme si l’on ne pouvait à tout jamais rien faire. Non seulement le peuple syrien leur a infligé un démenti cinglant, mais il leur a montré ce qu’était le vrai réalisme : abattre une dictature. » (p 142)

C’est que, ajoute-t-il, ces prétendus spécialistes ne s’intéressent qu’aux gouvernements et au jeu des grandes puissances. Ils sont incapables de prendre en compte les peuples, leurs aspirations et leurs mobilisations.

Il faut, bien sûr, prendre en compte les gouvernements et le jeu des grandes puissances, ainsi que celui des grandes entreprises : Nicolas Tenzer n’a rien d’un idéaliste naïf. Mais il faut les faire entrer en résonance avec les intérêts et les aspirations des peuples, qui prennent aujourd’hui au sérieux et à bras le corps les droits humains universels et refusent toutes les formes d’impérialisme et de domination.

Passant en revue les forces et faiblesses des différents États du monde, à commencer par les plus puissants, Tenzer conclut que le blocage de l’Onu par les trois « Grands » (USA, Russie et Chine) n’a rien d’une fatalité incontournable.

La construction de nouvelles alliances basées sur de petits et moyens États est à l’ordre du jour, et a pour vocation de secouer et dépoussiérer les alliances existantes (Otan, UE en particulier) en bousculant l’agenda des « grands ».

C’est ce qu’a commencé à faire l’Ukraine, qui constitue pour lui le modèle de la nation du futur (pp 271-304).

Un livre intelligent, bien écrit, érudit et roboratif.

Publié dans Europe, Histoire, politique

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