Mohammed ALNAAS Du pain sur la table de l'oncle Milad

Publié le par Henri LOURDOU

Mohammed ALNAAS Du pain sur la table de l'oncle Milad

Mohammed ALNAAS

Du pain sur la table de l'oncle Milad
Traduit de l'arabe (Libye) par Sarah ROLFO

2021, Le bruit du monde, 2024, 10-18, 2025, 404 p.


 

Je ne sais plus comment j'ai eu connaissance de ce titre, inscrit sur mon petit carnet des livres à lire fin 2024. Dans sa présentation biographique, le site Babelio le qualifie ainsi : Mohammed Alnaas est un journaliste indépendant et écrivain libyen. Il écrit sur les rôles de genre, la liberté d'expression, les normes sociales et d'autres aspects marginalisés de la vie en Libye. Auteur de nouvelles, il vient de publier son deuxième recueil.

Il vit toujours à Tajoura, ville moyenne près de Tripoli, au bord de la Méditerranée, où il est né.

J'ai noté qu'il avait eu le prix international de la fiction arabe 2022, et j'en ai, peut-être un peu trop rapidement, conclu que c'était le signe de l'ouverture libérale du monde arabo-musulman. D'autant que son auteur est né en 1991 et que c'est son premier roman.

En effet, après en avoir refermé la dernière page, je remarque que sa lecture, comme celle de toute oeuvre d'art, et particulièrement les romans, peut être prise en deux sens opposés. Pour les uns, cette histoire sonnera comme une ode à la liberté individuelle, mais pour les autres elle témoignera de l'impossibilité de cette liberté, ou en tout cas de ses méfaits.

Pour ma part, je le prends dans le premier sens. Le narrateur de cette histoire, Milad, un homme pris entre sa tendance spontanée à la douceur et à la bienveillance et des impératifs sociaux opposés, est enfermé dans un mal-être dû à sa permanente volonté d'être conforme et bien vu.

Le récit a pour cadre un rendez-vous avec un cinéaste venu recueillir son histoire. Celui-ci est semble-t-il envoyé par une mystérieuse "Madame" (en français dans le texte) dont on ne découvrira que très progressivement les liens avec le narrateur.

La double force du livre est la progression très zigzagante du récit, ménageant un suspense irrésistible, qui épouse apparemment les tendances aux digressions de l'oralité, et le dessin très appuyé qu'il trace des contradictions d'une société incarnée dans un personnage déchiré entre ses aspirations spontanées et l'image qu'il souhaite donner de lui-même. On perçoit ainsi de façon très crue l'hypocrisie absolue d'une société puritaine où la débauche des mâles est parfaitement tolérée alors que les femmes n'ont pas droit au moindre écart, sous peine de souiller l'honneur familial.

Milad est le seul garçon d'une famille de quatre filles et l'avant-dernier de la fratrie. Pris sous l'aile de ses soeurs, alors que son père est entièrement pris par son métier de boulanger, il est quasiment élevé par elles et construit une identité personnelle non formatée par le code masculiniste en vigueur. Lorsque les mâles de la famille veulent le reprendre en main, il est trop tard : il est devenu un "oncle Milad", selon le proverbe libyen cité en exergue par l'auteur : "un homme qui n'exerce pas son pouvoir sur les femmes dont il a la responsabilité, et, ce faisant, porte atteinte à leur honneur".

Toute la dynamique de l'histoire racontée par Milad repose sur cette tâche originelle. Et sur son amour de l'art transmis par son père, hérité de son propre ancien patron italien, celui du boulanger. Une lecture prenante.

Publié dans Syrie, voix libertaires

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