Luc BRONNER Le miroir. Retour dans les banlieues françaises
Ayant fait l'emplette du Hors Série n°1 de "Frontières", j'ai donc eu la curiosité de consulter son "Ours". Voir ci-dessus.
Ainsi j'ai découvert l'existence d'un "comité stratégique" de cet organe extrême-droitier de promotion de la haine et de la division nationale.
Sa composition est hautement édifiante quand on prend la peine de rechercher le curriculum vitae de ses membres.
Deux d'entre eux sont des délinquants multi-condamnés : Loïk Le Floch-Prigent et Pierre Martinet. Cet aspect des choses ne me semble pas indifférent ni fortuit. Il traduit le rapport très flexible à la loi de cette extrême-droite fascinée par la violence.
Quant aux autres, on admirera la vaste opération de ratissage qui les ont amarrés à cette entreprise délétère. Mais surtout la coupable complaisance de ceux qui en furent l'objet.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_Driencourt
https://fr.wikipedia.org/wiki/Thibault_de_Montbrial
https://www.babelio.com/livres/Ghali-Francais-ouvrez-les-yeux-Une-radiographie-de-la-/1488934
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lo%C3%AFk_Le_Floch-Prigent
https://fr.wikipedia.org/wiki/Boualem_Sansal
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amine_Elbahi
https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_de_Richoufftz
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Martinet_(agent_secret)
Cette volonté de ratisser large, et notamment auprès des intellectuels d'origine maghrébine (trois des huit membres de ce comité), s'abreuve à une situation de confusion idéologique où la gauche de gouvernement comme l'extrême-gauche radicale ont pris une part de responsabilité.
La passionnante enquête de Luc BRONNER, grand reporter au "Monde", et auteur, en 2010, d'un La loi du ghetto. Enquête sur les banlieues françaises (Stock), nous permet de nous expliquer comment cette situation de confusion s'est installée, et, partant, comment l'on pourrait en sortir.
Comment la République se défait par les banlieues
Fin connaisseur du terrain, Luc Bronner arpente les banlieues françaises depuis vingt ans. Il a interrompu en partie son travail de reporter lorsqu'il fut, de 2015 à 2020, directeur des rédactions du quotidien. Son "retour" dans les banlieues françaises lui permet de mesurer l'évolution entre 2005-2010, époque qui a nourri son premier livre, et 2020-2025.
Il adjoint très heureusement une fine analyse des politiques menées à ses observations et rencontres de terrain.
C'est cet alliage qui produit un point de vue éclairé et éclairant sur ce qui se joue dans nos banlieues.
En résumé, une ghettoïsation chronique des familles les plus précaires dans une noria ralentie de l'ascension sociale qui fait des banlieues des territoires abandonnés à un crime organisé qui se structure de plus en plus sur le mode mafieux.
On pense en le lisant au Gomorra de Roberto Saviano, cette description sans fard d'une modernisation de la mafia napolitaine à l'heure de la mondialisation.
Il cite en particulier un propos prémonitoire de l'ancien maire de Sevran, Stéphane Gatignon, en 2011, à propos des narco-traficants : "Ils ont l'argent, ils ont les armes, ils ont les systèmes hiérarchiques. Il faut arrêter de les prendre pour des cons. Ils investissent dans des commerces, des sociétés civiles immobilières, des entreprises, y compris à l'étranger. Pour ne plus se faire repérer bêtement, ils ont des prête-noms pour leurs appartements ou leurs voitures de luxe qu'ils choisissent aussi de louer. Ils ont aussi des experts-comptables, des avocats et effectuent de vrais placements. La prochaine étape, ce sont les entreprises qui répondent aux marchés publics, y compris dans le BTP, les sociétés de nettoyage ou les sociétés de sécurité privée.À ce moment-là, ils pourront être tentés par l'influence politique locale en considérant que pour obtenir des marchés publics il faut avoir des élus dans son jeu – c'est une menace démocratique qu'il fau t anticiper." (pp 111-112)
Treize ans plus tard, poursuit-il, cette analyse entre en résonance avec les constats de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic (rapport de juin 2024).
Ce qui me semble également remarquable et à relever est le fait que, contrairement à une impression très répandue, la population de ces banlieues ghettoïsées n'est pas stable : elle se renouvelle constamment. Par contre, ce qui est stable, voire en voie de dégradation, est la tendance de long terme à maintenir des populations dans la précarité, le plus souvent sur une base ethnique, et donc à conforter le rôle de ghetto de ces quartiers dégradés où l'immobilier n'est pas cher, et où les services publics se retirent peu à peu.
Alors qu'il faudrait un effort d'intégration, les politiques n'investissent de plus en plus, et avec une accélération ces derniers temps, que dans la répression.
L'ultime tentative de sortir ce cette logique de Gribouille, le plan Borloo pour les banlieues d'avril 2018, a été enterré en grandes pompes par son commanditaire lui-même, le président Macron, au profit d'une relance de la politique du tout-sécuritaire un mois après sa publication (p 157).
Luc Bronner explique très bien comment l'Etat au plus haut niveau a choisi de se fermer lui-même les yeux face aux ségrégations sociales et ethniques.
Et cela au profit d'une politique qu'il qualifie d'angélisme sécuritaire, abritée derrière un discours pseudo-laïque sur le communautarisme et le séparatisme de populations qu'on a enfermé au préalable dans des ghettos ethnicisés par la politique de non-intégration.
Le résultat est bien celui d'une double captation de ces populations abandonnées par le crime organisé et le fondamentalisme religieux.
Et une montée des frustrations qui ne demandent qu'à éclater en violence de plus en plus radicale et de plus en plus précoce, à la moindre étincelle.
De 2005 à 2023 : des émeutes qui changent de visage
Ayant enquêté sur les deux vagues de violence d'octobre 2005 et de juin 2023, Luc Bronner est à même d'établir ce qui a changé entre les deux. C'est d'abord la difficulté de parler avec les émeutiers. Ensuite la viralité de la diffusion des violences et leur caractère plus organisé et moins politisé, la jeunesse plus grande des émeutiers en étant une explication. Deux autres dimensions communes sont soulignées : le fait qu'il s'agit uniquement de garçons, et que leur niveau scolaire est très bas. Tout cela sur fond de consumérisme effréné : en 2023, l'objectif est davantage le pillage que l'atteinte aux autorités.
Le malaise de la police
Celui-ci découle de la politique du tout-sécuritaire sans fin ni perspective, confrontée à la montée du narcotrafic et du djihadisme, alimentés par les politiques publiques.
Rares sont les policiers qui disposent du recul et de la hauteur de vue permettant de mesurer l'inanité de ce qu'on leur demande : vider l'océan à la petite cuillère, selon l'image employée de façon récurrente par ceux qui analysent l'impasse du tout-sécuritaire.
Il en découle un sentiment de frustration et une forme de victimisation habilement exploitée par les politiques de droite et d'extrême-droite. Or, en ajoutant sans cesse de nouvelles dérogations à l'usage de la force par les policiers, ceux-ci alimentent la chronique des bavures policières.
Deux récits victimaires parallèles et concurrents
Comme le rappelle Luc Bronner, si les victimes se trouvent bien des deux côtés, il y a néanmoins un déséquilibre flagrant entre les deux : "En France, le nombre de policiers morts en mission est passé de 90 durant la décennie 1980 à 35 durant la décennie 2010." (p 96) Et ceci en raison de la décrue des vols à main armée du fait de la sécurisation des banques et du recul des transactions en liquide. Par contre, le nombre de morts intervenues lors d'interventions policière, hors terrorisme, entre 1990 et 2016 se monte à 360, selon le chercheur Paul Le Derff (p 69) (il n'existe pas de statistique officielle à ce sujet, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays...). Et depuis 2016, l'élargissement de la possibilité d'emploi d'une arme à feu en cas de légitime défense présumée, a considérablement vu augmenter l'usage des armes par les policiers, ainsi que l'a tristement illustré l'affaire Nahel en juin 2023. Et les uns comme les autre concernent de jeunes hommes au nom à consonance africaine ou maghrébine habitant un quartier populaire en périphérie d'une agglomération comme Paris, Lyon ou Marseille (p 70).
Si le discours victimaire côté policier a une telle résonance, c'est que la société dans son ensemble, et l'institution policière elle-même, est de plus en plus sensible à la violence...dans la mesure où elle s'exerce sur des personnes auxquelles on peut s'identifier. La mise à distance d'autres victimes de violence est corrélée à leur perception comme étrangers, voire radicalement étrangers. Ce qui en retour ne peut qu'alimenter le discours victimaire des "étrangers" qui en sont l'objet.
Rendre leur humanité et leur proximité à toutes les victimes est donc un travail important et décisif.
C'est ici qu'intervient le travail de propagande et d'influence de l'extrême-droite, qui tire exactement dans l'autre sens.
Reconstruire la République par les banlieues
Mais le plus décisif sera la mise en place de politiques publiques d'intégration et de lutte contre la ghettoïsation des pauvres.
À ce titre, il faut saluer le timide aggiornamento d'une partie de la gauche amorcé par le conclave organisé par le Nouvel Obs sur la politique migratoire (n° du 17-4-25) qui remet sur la table quelques propositions longtemps tenues pour ringardes par la gauche dite de gouvernement. Voilà qui assurément va dans le bon sens.
Post Scriptum : Refuser le fatalisme sociologique.
Je tombe sur cette interview de la réalisatrice du documentaire "Bloqués entre les tours" diffusé sur Arte le 21-5-25. Elle illustre bien ce refus du fatalisme sociologique cultivé à la fois par la Droite et par une certaine extrême-gauche avec pour résultats parallèles d'ancrer le ressentiment chez les "petits blancs" précarisés et chez les "racisés" discriminés dans une double culture victimiste alimentant la violence.
Il y a bien là un enjeu politique majeur pour une Gauche digne de ce nom.
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