Vivons-nous un tournant historique ?
Deux sondages successifs, dont le résultat est paru dans « La Tribune Dimanche » des 9 et 16 mars, montrent une évolution significative de la perception collective par les Français-es de la situation internationale.
Le premier montre une nette majorité favorable à l’augmentation du budget consacré à la défense (68 % dont 25 % très favorable), avec une majorité assez semblable favorable à son financement par le déficit, donc par l’emprunt, plutôt que d’économiser sur d’autres dépenses ou d’augmenter le temps de travail. La même majorité (68%) est prête à boycotter des entreprises ou des produits américains. Et 72 % ressentent de l’indignation (46%) ou de la colère (26%) face aux déclarations et décisions de Trump sur l’Ukraine.
Dans le second, on constate que si les difficultés en matière de pouvoir d’achat (46%) et l’avenir du système social (37%) restent leur deux premiers sujets de préoccupation, les crises internationales (33%) sont passées en 3e position avec un bond de 16 points depuis le baromètre de février, devant le niveau de la délinquance (32 % et – 6 points) et le niveau de l’immigration (26 % et -5 points), alors que la protection de l’environnement reste stable à 24 %.
Bien sûr, le niveau de satisfaction-mécontentement vis-à-vis des présidentiables potentiels pour 2027 est moins encourageant : à noter toutefois qu’aucune de ces personnalités ne présente un solde positif, la moins clivante étant Edouard Philippe avec un solde de -3 (32% de satisfaits et 35% de mécontents en cas d'élection), et la plus clivante Jean-Luc Mélenchon à – 59 % (12 % de satisfaits en cas d’élection contre 71 % de mécontents) .
A noter que la personnalité de gauche la moins clivante est Raphaël Glucksmann (18 moins 42, soit un solde de -24 montrant la marge de crédibilité à acquérir par la gauche) qui développe dans ce numéro la thèse du tournant historique en mettant en avant l’enjeu ukrainien et les nouveaux clivages qu’il suscite.
Je partage son point de vue, même si je n’en tire pas une conclusion politique aussi tranchée. Je pense qu’en effet LFI n’est pas un bloc monolithique soudé derrière Mélenchon et qu’il est prématuré de tracer un trait sur la possibilité d’un large rassemblement de la gauche et des écologistes.
Il n’en demeure pas moins que l’attitude face au soutien à l’Ukraine constitue aujourd’hui un enjeu majeur et le point autour duquel doit se construire, à égalité avec les enjeux sociaux et écologiques, une majorité politique, car il traduit notre rapport à la démocratie et à la défense des libertés et de l’État de droit.
C'est pourquoi les atermoiements de « Politis » concernant la nécessaire clarification et le nécessaire aggionarmento à gauche sur ce point me semblent plus problématiques que le côté tranchant des prises de position de Glucksmann. Car celui-ci relève de la tactique politique, mais non du fond stratégique.
Sur celui-ci, ses analyses dans le « 1 » du 12-3 me semblent entièrement justes et fondées. Ce qui n'étonnera pas les lecteur-trices attentifs de ce blog.
Il est vrai qu'il est aujourd'hui cependant difficile, pour un hebdomadaire comme « Politis », qui a bâti son identité éditoriale sur une ligne hyper-unitaire à gauche en faisant la part belle à la « gauche radicale », de prendre acte de la recomposition politique que provoque la nouvelle situation internationale.
Et ceci en particulier sur la question militaire qui met en porte-à-faux l'anti-atlantisme de guerre froide et le pacifisme par rapport à nos engagements droitsdelhommistes, antinationalistes et antifascistes.
On avait déjà connu un tel dilemme lors de la guerre du Kosovo, et cela m'avait amené à l'époque, en 1999, à rompre mon abonnement à « Politis »...