Victor SERGE Les derniers temps

Publié le par Henri LOURDOU

Victor SERGE Les derniers temps
Victor SERGE
Les derniers temps
Roman, Grasset Les cahiers rouges, 1998, 404 p.


 

Écrit en 1943-45 au Mexique, où il est exilé depuis 1941, publié à titre posthume en France en 1951, ce roman est l’avant-dernier écrit par SERGE avant sa mort en 1947. J’ai rendu compte ici du dernier.

Il incarne le double et impératif devoir de combattre et de comprendre face au désespoir et à la confusion.

Il décrit la période qui va de juin 1940 à fin 1941 en France, à Paris puis dans le Midi (Marseille et les Cévennes où se sont réfugiés ses principaux personnages), et enfin dans le bateau qui emmène les plus chanceux vers l’Amérique.

Dans ses deux personnages principaux, SERGE a mis beaucoup de lui-même et de ses aspirations. Ils résument chacun un des deux impératifs qui donnent sens au roman.

Le docteur Ardatov, révolutionnaire russe antistalinien sexagénaire, incarne le devoir de comprendre, mais, atteint par l’usure de l’âge, il n’a plus la force de combattre. L’ancien bûcheron devenu bougnat à Paris Augustin Charras, bien que quadragénaire avancé, incarne quant à lui le devoir de combattre.

Le premier va, comme SERGE, échapper au nazisme triomphant en Europe, grâce à un visa et une place sur un bateau...mais il n’échappera pas, contrairement à SERGE, à la vengeance des staliniens qu’il dénonce sans complaisance.

Le second va créer un maquis dans les Cévennes avec des compagnons plus jeunes.

Le roman porte bien sûr la marque de la période où il a été écrit. Et notamment les personnages féminins n’échappent pas, mal gré qu’en ait l’auteur en principe dénué de tout préjugé, aux stéréotypes dévalorisants sur les femmes qui accompagnent leur tentative de mise en valeur. Néanmoins, il se laisse lire avec plaisir, un plaisir auquel est mêlée la nostalgie d’un Paris populaire disparu et de convictions progressistes bien assises.

Et c’est ici que je vais introduire, comme j’en ai l’habitude, quelques considérations contemporaines.

Les derniers temps que nous vivons

L’accélération du pire à laquelle nous assistons en ce 24 février 2025 a bien des correspondances avec la période décrite par SERGE.

La radicalisation de la Droite n’a pas lieu qu’aux USA. On peut l’observer ici. La lecture du Figaro de ce 24-2-25 est très éclairante à cet égard. Et elle nous suggère déjà ce que pourrait être une nouvelle majorité de coalition avec l’extrême-Droite.

La lecture concomitante de l’Humanité montre bien le fossé qui s’élargit entre la Droite et la Gauche : choix opposé du thème des « Unes », traitement des thèmes communs.

J’y ajouterai une analyse du quotidien du Centre La Dépêche du Midi.

J’avais acheté ces trois journaux pour lire leur analyse et leurs commentaires sur le résultat des élections législatives en Allemagne du 23-2. Mais j’ai été surtout frappé par leur traitement de l’actualité totalement décentré de ce sujet crucial, et polarisé sur des thèmes différents et parfois opposés. Mais j’aborderai d’abord la confusion des idées qu’ils entretiennent.

Promotions du confusionnisme

En effet, la lecture de ces quotidiens éclaire sur la confusion des temps que nous vivons. C’est le cas par exemple de la longue interview accordée par le Figaro à Christophe GUILLUY à propos de son dernier ouvrage, qui montre bien le détournement de valeurs « de Gauche » au profit de l’extrême-Droite.

Inversement, la place (2 pages entières pour un journal de 20 pages) accordée par l’Humanité aux funérailles d’Hassan NASRALLAH, leader du Hezbollah, au Liban, tout comme le choix de consacrer sa page « Un jour avec » à la mère d’un soldat ukrainien recruté de force, le jour-même du 3e anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie de Poutine, montrent les ambigüités internationales du PCF.

Il faut donc revenir, sans crainte de se répéter, sur ces confusions qui obscurcissent les enjeux.

L’opposition implicite par GUILLUY du « social » au « sociétal » met en opposition les classes populaires, dont il se prétend le porte-parole, et les nouveaux combats contre les discriminations des féministes, des antiracistes postcoloniaux et des personnes LGBT. Elle est artificielle et politiquement dans la roue de l’extrême-droite à laquelle elle fournit une justification venue de la Gauche.

De la même façon, la mise en opposition implicite de la cause palestinienne et de la cause ukrainienne par le PCF et tout un secteur de la Gauche radicale est tout aussi artificielle et fait pareillement le jeu d’une partie de la Droite radicalisée qui inverse simplement l’ordre de l’opposition : là où les uns priorisent la Palestine et invisibilisent ou minorent l’Ukraine, les autres priorisent l’Ukraine et invisibilisent la Palestine. Mais les uns comme les autres passent allègrement sur ce que ces deux combats ont de commun : la défense du Droit international et la place prépondérante à accorder aux institutions multilatérales de l’ONU dans la résolution des conflits.

Enfin, sur la question cruciale de la migration, mise en avant par le Figaro (5 pages accordées aux OQTF et au conflit avec l’Algérie à leur sujet, dont la « Une », à partir de l’attentat de Mulhouse) et traitée par l’Humanité en une seule page intérieure (p 6) sans appel à la « Une », force est de constater encore une fois le caractère très insuffisant de la réponse « de Gauche ».

Ici, l’initiative est clairement à Droite et la Gauche botte en touche en se contentant de pointer « une offensive contre l’Algérie » venue de l’extrême-Droite et de poser la question du « suivi de ce type de profil, condamné et instable psychologiquement » concernant l’auteur de l’attentat de Mulhouse, sans aborder la question des OQTF . Or c’est celle-ci que développe amplement le Figaro.

Cette quasi-absence de la Gauche sur le fond du débat migratoire, se double, dans La Dépêche du Midi, d’une mise en avant de l’action internationale du président Macron face à Trump, sous le titre de « Une » : Macron et Trump vont s’expliquer. Alors que « l’Humanité » a choisi comme sujet de « une » le procès de l’ex-chirurgien pédocriminel Le Scouarnec sous le titre Le Scouarnec et la société en accusation.

Quant aux élections allemandes, si elles sont présentes à la « Une » des trois titres, c’est en bas ou milieu de page, sous les trois titres révélateurs : la fragile victoire du conservateur Friedrich Merz (Figaro), l’extrême-droite à 20 % en Allemagne (Humanité), Victoire du CDU, percée de l’extrême-droite (Dépêche).

Ainsi, le fait majeur du jour, celui qui appellerait débat et prise de position, est traité par les uns comme par les autres comme un sujet secondaire… Or il matérialise tous les combats prioritaires d’aujourd’hui.

Combats d’aujourd’hui

Nos combats d’aujourd’hui ne sont plus tout à fait les mêmes que du temps de SERGE. La globalisation est passée par là, ainsi que la dissolution au long cours de l’Autorité, encore si mal comprise.

La vague néo-fasciste (ou de quelqu’autre nom qu’on voudra lui donner) que nous connaissons est une réaction à ce double phénomène.

Dans les dénis qu’elle porte on trouve la définition des enjeux de nos combats d’aujourd’hui.

J’en ai relevé quatre.

Déni climatique tout d’abord : tous ces néo-fascistes sont des climatosceptiques avérés. Or la lutte contre le changement climatique est notre premier combat, car il surdétermine tous les autres.

Déni du multilatéralisme ensuite : ils s’opposent à tous les instruments de gouvernance multilatérale mis en place depuis 1945 à partir de la création de l’ONU, déclarations, conventions, traités, chartes, instances nouvelles telles que le Giec ou la CPI… Défendre et renforcer ces instruments est un combat crucial, notamment pour faire face à l’enjeu climatique.

Déni du fait migratoire : l’obsession anti-migrants est à la mesure d’un fait irréversible et irrésistible, la mise en mouvement d’une fraction des populations du jeune Sud vers le vieux Nord, par le fait-même de la démographie et de la répartition très inégale des richesses. Combattre pour l’accueil et l’intégration de ces populations constitue la condition d’un monde pacifié et uni autour des enjeux mondiaux.

Déni des nouvelles aspirations à l’égalité des droits enfin : la vague mondiale du féminisme et de l’émancipation du patriarcat fait écho à celle d’une décolonisation dont les effets percutent tous les stéréotypes racistes sédimentés dans les anciennes sociétés colonisatrices. Elles ne s’arrêteront pas malgré les réactions apeurées et agressives des masculinistes et des suprémacistes blancs.

La complexité et l’entremêlement de toutes ces causes n’empêche pas leur convergence objective autour du concept d’égalité, qui fut et demeure le concept commun d’une Gauche mondiale dont le renouveau est la clé d’un avenir désirable.

Comme au temps vécu par SERGE nous n’en verrons peut-être pas l’avènement. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer à y travailler, comme il l’a fait jusqu’au bout.

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