Pierre-Yves BOCQUET La "révolution nationale" en 100 jours et comment l'éviter
Ce petit ouvrage nous alerte sur un point du programme du RN rarement mis en évidence : sa promesse d'un changement de la Constitution par référendum pour y introduire la "préférence nationale" en détournant l'article 11 de cette même Constitution, dont l'objet est ainsi dévoyé.
Il met également en avant la possibilité d'interdire préventivement un tel détournement en précisant plus clairement que seul le recours à l'article 89 de cette Constitution peut permettre sa modification.
Mais pour cela, il faut mener un travail d'alerte médiatique et de mobilisation politique mettant tous les partis présents au Parlement au pied du mur : veulent-ils ou non entrer dans une démocratie illibérale recourant à la pratique du référendum à la discrétion du Président de la République ?
Le danger du programme du RN pour l'Etat de droit
Dans ses 32 premières pages, l'ouvrage analyse la proposition de loi constitutionnelle déposée par le groupe RN à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2024, ses origines, sa place dans le programme du RN, et ses conséquences.
En effet, celle-ci vise tout d'abord à inverser la hiérarchie des normes juridiques fondant notre Etat de droit (pp 11-13). "Le projet du RN appelle cela un "bouclier constitutionnel", mais c'est plutôt une prison juridique à la taille de la France, qui prive tous ses habitants, français comme étrangers, de la faculté qu'ils ont aujourd'hui de saisir les juridictions internationales pour faire reconnaître leurs droits fondamentaux. Cette nouvelle rédaction de l'article 1er (de la Constitution) fermera cette possibilité dans tous les cas où ces droits seront violés par l'une des nouvelles dispositions illibérales que le RN aura introduite dans la Constitution , soit par cette révision, soit par une révision ultérieure qu'il aura pu également faire adopter. (pp 11-12)
Or, enchaîne l'auteur, les textes visés par cette révision constitutionnelle constituent "tout le droit international et européen des libertés fondamentales", notamment celles qui protègent les enfants et le droit à une vie personnelle et familiale, mais aussi l'interdiction de la peine de mort, le droit à un procès équitable, la liberté de conscience et l'interdiction de toute discrimination.
Tous ces points sont explicités dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, ainsi que la référence positive aux exemples russe et hongrois (pp 12-13).
Mais cela ne s'arrête pas là. Ce "bouclier constitutionnel" vise à faire tarir l'immigration légale et à appliquer la préférence nationale (rebaptisée "priorité nationale" dans la novlangue du parti), en constitutionnalisant la seule régularisation d'étranger en situation irrégulière par la voie d'un décret individuel en Conseil des ministres (p 14) et en modifiant pas moins de dix articles de la Constitution introduisant une discrimination envers les personnes d'origine étrangère ou binationales (p 17).
Il rompt en cela avec toute l'Histoire de la République française, depuis 1789, car "chaque nouvelle République n'a fait qu'étendre le champ des droits et libertés" (p 18).
De plus, il introduit dans les prérogatives constitutionnelles du Président, déjà garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités (mais sur ce dernier point on vient de voir qu'il en sera exempté), la responsabilité de veiller à la "sauvegarde de l'identité et du patrimoine de la France", identité et patrimoine qui ne sont définis nulle part, et pour cause, puisque c'est un sujet infini de débat, mais qui de ce fait seront à la discrétion du Président. Si ce Président est issu du RN, on a cependant quelques éclairages dans le programme du parti : interdiction des éoliennes, interdiction de l'Enseignement des Langues et Cultures d'Origine, promotion des crèches de Noël dans les mairies... (p 23)
Enfin, en supprimant le droit du sol, ce qui exclut l'accès à la nationalité française de tout enfant né en France de parents étrangers, il fabrique une nouvelle catégorie de résidents : "les étrangers de papier", selon la formule inventée par l'auteur en référence au slogan d'extrême-droite sur "les Français de papier", Français par leur éducation, leur langue et leur culture, mais maintenus dans un statut inférieur d'étrangers (pp 25-29).
Le danger d'un coup de force constitutionnel
Tout cela doit-il nous faire peur ? La proposition de loi constitutionnelle du RN n'avait en effet aucune chance de passer : cela supposait un vote conforme des deux Assemblées composant le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) à la majorité absolue, puis une ratification, soit par un référendum, soit par un vote à la majorité qualifiée des trois cinquièmes (60%) du Parlement réuni en Congrès , aux termes de l'article 89 de la Constitution, intitulé "De la révision". Celui-ci ne prévoit que deux sources à l'initiative d'une révision : le Président, sur proposition du Premier ministre, ou les membres du Parlement.
Malheureusement, il existe deux précédents de révision ou tentative de révision par un référendum direct à l'initiative du Président : en 1963, pour l'introduction de l'élection du Président au suffrage universel direct, et en 1969, pour la tentative de suppression du Sénat.
Dans ces deux cas, De Gaulle s'est appuyé sur l'article 11 permettant au Président de le faire en cas de "projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics".
Le résultat de ces précédents fâcheux fut que toutes les modifications constitutionnelles ultérieures sont passées par la ratification du Congrès, de préférence au référendum. Ce qui a éloigné encore plus les citoyen-nes du débat constitutionnel, pourtant fondamental dans une démocratie.
L'usage par le RN de cet article 11 en cas d'élection d'un des siens à la Présidence aurait la fausse apparence d'un "retour au peuple" pour faire passer en réalité un verrouillage complet des institutions dans un sens xénophobe et autoritaire.
Un tel verrouillage pourrait s'effectuer en 100 jours (d'où le titre du livre).
Comment faire face au danger ?
C'est l'objet des dernières pages. Trois types de ripostes sont proposées : riposte médiatique en mettant en évidence le projet du RN et sa nature, riposte politique en refusant de "banaliser son discours xénophobe et son programme illibéral" et en dénonçant clairement son projet de viol de la Constitution, ce qui dépasse clairement le clivage gauche/droite, et enfin riposte institutionnelle en ajoutant à l'article 89 ces simples mots : "La Constitution ne peut être révisée que selon les procédures prévues par le présent article.", ce qui suppose une initiative gouvernementale ou parlementaire en ce sens.