HAN Cang Celui qui revient

Publié le par Henri LOURDOU

HAN Cang Celui qui revient
HAN Cang
Celui qui revient
Roman, traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot
2014, 2016 pour la traduction, Points n°P4627, août 2017, 228 p.


 

HAN Cang (en coréen comme en chinois, le patronyme précède le prénom) a eu le prix Nobel de littérature en 2024 ; née en 1970 à Gwangjiu, grande ville côtière du Sud-Ouest de la Corée, elle s’est fait connaître internationalement par son roman « La Végétarienne » (traduit en français en 2015,et disponible au Livre de Poche).

Ce roman, qui évoque la terrible répression de 1980 dans sa ville natale, me renvoie à celui que j’ai lu récemment d’Edurne PORTELA. Écrit lui aussi par une femme, de la même génération, c’est un monument à la mémoire de ceux et celles qui se sont révoltés contre le fascisme et la dictature, et en ont subi dans leur chair les terribles conséquences. Je retrouve ici, comme chez PORTELA, le souci de transcrire dans les mots ces souffrances au plus près du vécu des victimes.

Là s’arrête le parallèle. Car deux différences majeures entre leurs œuvres apparaissent ensuite.

La première est que les événements dont rend compte HAN sont à la fois beaucoup plus récents et beaucoup plus méconnus que ceux dont parle PORTELA ; beaucoup plus méconnus non seulement en Occident, mais aussi semble-t-il en partie en Corée-même, de par le traumatisme collectif subi et la persistance d’un fort courant fascisant dont on a pu voir récemment la force à travers la tentative de putsch de l’ex-président.

La seconde est que l’écriture de HAN est plus sophistiquée et moins facile d’accès que celle de PORTELA. En effet, là où celle-ci avait pris le parti d’axer entièrement son récit sur la voix intérieure de son personnage principal, HAN, elle, multiplie les angles d’approche d’un personnage central qui émerge peu à peu de la narration à travers différentes voix, pas toujours évidentes à identifier au premier abord. Ce personnage central, dont on n’apprend qu’à la fin qu’il fut un personnage réel, lorsque dans son Épilogue l’autrice se met à parler à la première personne, est un jeune lycéen de 15 ans, tué par les militaires lors de la répression ayant suivi la reprise de la ville par l’armée.

Il nous est cependant présenté d’emblée à travers un épisode hallucinant : son travail de bénévole dans la morgue improvisée dans un gymnase où les révoltés amènent les premières victimes de la répression par centaines. Il doit les répertorier pour que leurs proches puissent venir les identifier.

Dans ce travail, il côtoie deux jeunes femmes que nous allons retrouver dans les épisodes suivants : une jeune étudiante et une jeune ouvrière, dont nous allons voir ensuite le destin ultérieur. Entre leur évocation, elle aussi très crue, sont intercalés celles d’un jeune torturé, que l’on n’identifie pas, et celle d’un fusillé dont l’âme peine à se détacher du corps.

Beaucoup de détails du quotidien appellent des notes des traducteurs, signe que cet ouvrage s’adresse d’abord aux Coréens et constitue un appel à la mémoire collective.

Ce qui me frappe est la cruauté froide de ces massacreurs et tortionnaires en uniforme et de leurs commanditaires. Un facteur d’explication apparaît au passage lorsque l’un de ces exécutants zélés se vante de son action au Vietnam ; c’est l’occasion de se rappeler la présence de troupes sud-coréennes auprès des Américains dans cette guerre, et de constater à nouveau ce que les traumatismes de guerre produisent chez ceux qui les subissent : une forme d’insensibilité à la souffrance d’autrui, et donc une capacité accrue à infliger la souffrance.

Ce tombeau de papier au jeune Thong est aussi dédié à tous ceux et celles qui ont souffert pour s’être révolté pour leur droit à la dignité. Il constitue un des maillons de cette longue chaîne de solidarité internationale antifasciste construite souvent, je m’en aperçois, par des femmes portées par la vague du féminisme mondial.

Ce mouvement féministe est sans doute la force la plus puissante d’émancipation actuelle. Et ce n’est pas un hasard s’il constitue la cible principale, avec les écologistes, de la réaction en cours. Je vais y revenir dans ma prochaine lecture.

Publié dans Histoire, voix libertaires

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