Caroline FOUREST Le Vertige Mee Too

Publié le par Henri LOURDOU

Caroline FOUREST Le Vertige Mee Too
Caroline FOUREST
Le Vertige Mee Too
Grasset, octobre 2024, 320 p.


 

On ne présente plus Caroline FOUREST, et c'est bien là le problème. A force de polémiques récurrentes, elle s'est transformé en caricature : punching ball pour les un-es, objet d'admiration éperdue pour les autres.

J'ai déjà dit tout le mal que je pensais du journal qu'elle dirige, en tant qu'agent actif du confusionnisme qui fait dériver une partie de la gauche vers la droite, et qui suscite des polémiques internes souvent artificielles à gauche.

Cependant, elle vaut mieux que cela, et elle le prouve avec ce livre que malheureusement trop de gens ont choisi de lire avec des lunettes déformantes, en raison des provocations malvenues qu'il contient.

C'est que Caroline Fourest, dont le dernier mot est la nécessité de "garder confiance en soi" (p 299), dispose d'une estime de soi un peu surdimensionnée qui la pousse à sans arrêt se mettre en avant et à "pousser le bouchon" un peu plus loin qu'il ne faudrait pour attirer l'attention sur elle.

Son outrance est cependant discrète et de bon ton, ce qui lui vaut l'estime et la reconnaissance de la "bonne société", et contribue sans doute à un succès éditorial auprès de gens qui ne la lisent pas, mais l'ont transformée en icône de "l'antiwokisme", aujourd'hui très à la mode à droite.

Ayant pris la peine, mais aussi le plaisir, car elle écrit bien, de la lire, je peux lui rendre cette justice : c'est une féministe sincère, efficace dans la dénonciation du patriarcat.

Toute la première partie de son livre, consacrée à l'histoire de la prise de parole féminine contre le viol (pp 15-44) entre 1970 et 2017 en France est correctement sourcée et bien argumentée, même si, sur la fin elle tourne bien sûr un peu trop autour d'elle-même (mais ça elle ne peut pas s'en empêcher, c'est comme BHL auquel elle me fait beaucoup penser). Cela me fait davantage sourire que cela ne m'indigne.

De la même façon je signe des deux mains sa conclusion sur la nécessité de la vigilance de tous et de tous les instants dans le combat contre l'inceste et le viol , et du respect concomitant de la présomption d'innocence et du droit à la seconde chance (p 297).

Pareillement, on ne peut que souscrire au refus du négationnisme des crimes sexuels du Hamas le 7 octobre par certains pro-Palestiniens exaltés.

Par contre, la lecture politiquement outrancière qu'elle en fait, renvoyant à "deux gauches irréconciliables" (pp 244-247) est trop sollicitée pour être honnête : elle réécrit l'Histoire à sa façon, polémique et simplificatrice, en mettant en avant des figures individuelles connues, censées exprimer la justesse de sa thèse, et en pratiquant un tri savant dans lequel elle amalgame par exemple Angela Davis et Judith Butler au Hamas et au Hezbollah sans autre référence qu'un portrait à charge écrit par son amie Fiammeta Venner dans son journal (p 251).

Et il en va de même lorsqu'elle s'en prend à sa cible favorite, à savoir ses collègues journalistes de "Mediapart", en négligeant le b-a-ba de la déontologie journalistique et en pratiquant avec allégresse le procès d'intention et les approximations.

Elle s'est donc attiré une réponse circonstancié de "Mediapart", sous le titre lui-même outrancier "Les mensonges de Caroline Fourest". En réalité, lorsqu'on lit cette mise au point, il s'agit bien de procès d'intention et d'approximations, et non de mensonges à proprement parler. https://blogs.mediapart.fr/lenaig-bredoux/blog/130924/les-mensonges-de-caroline-fourest

Par contre, il est bien clair qu'elle a négligé en l'occurrence, comme le rappelle la lettre que la présidente de Mediapart, Carine Fouteau, lui a adressé, la règle du contradictoire, consistant à solliciter et recueillir le point de vue des personnes que l'on met nominativement en cause.

Ce dérapage très contrôlé vise de toute évidence à créer une polémique médiatique que "Mediapart" a soigneusement refusé d'entretenir. Il intervient à propos des mises en cause de "cibles choisies" par Mediapart (pp 165-173), mais il continue de façon particulièrement perverse dans les pages suivantes ("une liste et des corbeaux", pp 173-177) avec un amalgame particulièrement retors entre d'authentiques faussaires, comme Cyril Hanouna et le compte anonyme et complotiste Zoé Sagan...et Mediapart. En effet, Fourest conclut ce passage en citant une mise au point de Marine Turchi (présentée quelque pages plus haut, p 167, comme la journaliste de Mediapart "qui a convaincu Adèle Haenel de dénoncer Christophe Ruggia dans ce média. Depuis, elle ne quitte plus ce registre, au point de terroriser le cinéma français.") : "Mediapart ne publie pas de "listes", mais des enquêtes qui sont le fruit de plusieurs semaines ou mois de travail, portent sur des informations recoupées, et sont respectueuses du contradictoire." (p 177). Fort bien, dira-t-on, mais elle embraye aussitôt en insinuant que le "respect du contradictoire" par Mediapart se bornerait à passer "beaucoup de coups de fil avant de balancer" et qu'il préférerait "feuilletonner sur un nom, parfois plusieurs articles sur une même célébrité, que de faire des listes" (p 177), autrement dit, comprend le lecteur, ses méthodes sont les mêmes que celles des complotistes et calomniateurs. En fait Mediapart surferait sur le ressentiment "anti-élites" et contribuerait à faire croire aux Français que "le viol est un fléau réservé aux élites...perçues en croqueuses d'enfants". (ibid)

On quitte ici le terrain des faits pour entrer dans une polémique à visée politique : il s'agit bien de créer un clivage entre un camp "réformiste et universaliste" autoproclamé et un camp "radical et communautariste" artificiellement constitué.

Au nom de la nuance et de la modération, Caroline Fourest supprime ici toute nuance et toute modération.

Je me refuse à la suivre sur ce terrain d'affaiblissement du camp progressiste par la promotion de la confusion et de clivages artificiels.

Force est bien de constater cependant qu'il y a convergence entre les intérêts personnels de Caroline Fourest, cinéaste (comme elle le rappelle à plusieurs reprises) visant à disculper certaines personnes puissantes dans le milieu du cinéma, et sa croisade idéologique contre les "radicaux communautaristes" qui instruiraient des procès en sorcellerie en créant un climat de terreur dans le milieu du cinéma.

Il est en effet bien commode, pour une partie des "élites", de s'abriter derrière le propos d'une authentique féministe pour invalider la mise en cause de pratiques plus répandues qu'elles ne veulent l'admettre.

Cela va bien au-delà du milieu du cinéma comme le montre hélas l'actuel procès Le Scouarnec, où l'impunité au long cours de l'accusé s'est nourri de la non-dénonciation de crimes de tout son entourage familial et professionnel pendant de longues années : le refus de voir ce que l'on voit et surtout de tirer les conséquences de ce que l'on voit est général dans la société lorsqu'il s'agit d'hommes puissants, disposant comme ici d'un statut élevé (chirurgien), voire d'une insertion "normale" dans la société comme les accusés du procès Pélicot.

Le déni va bien au-delà des "élites" sur lesquelles se focalise Caroline Fourest tout autant que Mediapart que pourtant elle dénonce pour cela...

Force est aussi de constater que la volonté constante de se mettre en avant de Caroline Fourest a pour méthode de créer la polémique à tout bout de champ, afin de se victimiser et de susciter de fausses solidarités.

Et si les outrances et les propos déplacés de certain-es radicaux-cales existent bien, ils doivent être dénoncés au sein-même du mouvement et non en créant ces deux camps inconciliables qui ne vivent que pour et par la polémique, tels que Caroline Fourest souhaite les promouvoir. Mais en vain jusqu'ici pour ce qui concerne le féminisme, comme le rappelle Maud Royer dans le livre que je viens de commenter.

Au final, un livre intéressant mais agaçant par la contradiction qu'il porte tout du long entre la prétention de promouvoir la nuance et l'esprit critique et son recours aux amalgames et aux approximations faisant appel aux réflexes pavloviens du pire des manichéismes. Et je passe sur l'ego surdimensionné de l'autrice et sa pratique de l'auto-promotion permanente... Défaut mineur au fond au regard du défaut précédent.

 

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