Alice POULLEAU A Damas sous les bombes-Jean-Pierre FILIU Le miroir de Damas
Je découvre fortuitement, chez mes beaux-parents, le livre d'Alice POULLEAU, associé à deux autres ouvrages ("Sept histoire de Syrie", de la même autrice, et "Partant pour la Syrie..." du journaliste Pierre La Mazière, daté de 1926, le journal d'Alice Poulleau semble avoir été édité en 1930). Les deux livres d'Alice POULLEAU sont dédicacés au père de mon beau-père, juge et ancien combattant de 14-18, futur résistant, que l'autrice appelle son "brother of soul".
Me souvenant d'avoir découvert l'existence des bombardements de Damas par l'armée française dans un livre de Jean-Pierre FILIU, je m'y reporte et découvre qu'il cite parmi ses sources Alice POULLEAU.
Et son témoignage est en effet remarquable. Qualifiée par FILIU d'"historienne bourguignonne" (p 209), Alice POULLEAU (1885-1960), est, selon sa notice Wikipédia, la première femme agrégée d'Histoire-Géographie en 1916. Nommée à Alexandrie (Egypte) en 1919, elle voyage dans toute la région et s'installe ensuite à Damas où elle participe à la création d'un collège pour jeunes filles. Originaire de Nolay (Côte d'Or), où son père possède un domaine viticole, elle s'y installe à son retour du Moyen Orient. Sur le site de la mairie de Nolay, on trouve une notice biographique, et une conférence de 2015 autour de son ouvrage "A Damas sous les bombes", dont le texte est à tous égards passionnant.
https://www.nolay.com/histoire/alice-poulleau/
Les deux universitaires qui donnent cette conférence ont d'ailleurs permis la réédition de l'ouvrage, devenu quasiment introuvable, en 2012.
Cet épisode peu glorieux de la présence française en Syrie, au terme des accords secrets Sykes-Picot de 1916, révélés par les bolchéviks en 1917 (les autorités tsaristes en avaient été informées) et validés par un mandat de type colonial de la Société Des Nations en 1920, est fort justement et fort éloquemment dénoncé par Alice POULLEAU, ce qui lui vaudra un ostracisme des autorités qui a vraisemblablement contribué à son retrait "sur ses terres" à Nolay, où elle va gérer le domaine avec son père, puis se marier.
Quelques citations significatives :
Au 31 janvier 1926, elle écrit : "La guerre entre dans une nouvelle phase et, par là, un formel démenti est donné à cette politique d'intimidation qu'on a tant prônée.(...) La crise de révolte se transforme en mouvement révolutionnaire. C'est par des mesures politiques et non des opérations de police que l'on peut l'enrayer.
(...) Notre presse aussi a fait beaucoup pour nous brouiller avec les Syriens. Comme on est blessé ici du ton d'ironie méprisante et supérieure avec lequel certains reporters au bagout de commis-voyageur parlent des choses et des gens de Syrie !" (p 165)
Et au 3 avril : "D' "illustres voyageurs" qui ont passé en tout et pour tout une semaine au bord du Barada (la rivière qui traverse Damas) s'improvisent oracles dans les questions syriennes et en tirent des volumes à la douzaine, comme le boulanger tire ses pains du four. Pour eux, la Syrie est une mine qui rapporte actuellement, qu'il faut exploiter. Quelles que soient les invraisemblances que se permettent d'écrire ces carabiniers d'Offenbach, leur nom, ou même simplement leur fort tirage leur fait accorder créance du public, bon gogo, qui du reste n'y peut aller voir." (p 207)
Ce dernier jugement s'applique parfaitement au livre de Pierre La Mazière qui prétend nous expliquer la révolte syrienne à coup de préjugés condescendants pour des indigènes incapables de se gouverner eux-mêmes.
Cette fatuité alliée à l'ignorance est d'ailleurs partagée par la très grande majorité des résidents français, parmi lesquels Alice POULLEAU, curieuse de la culture et des gens du pays, fait figure d'exception.
Mais on constate que de tous ces ouvrages d'époque, seul surnage aujourd'hui celui d'Alice POULLEAU.
Je reproduis ici les deux pages dactylographiées présentes dans l'exemplaire familial dédicacé qui reprennent les critiques parues dans "La Croix" et les échanges de correspondance avec l'autrice qui s'en sont suivies. C'est édifiant du climat de l'époque.
A noter également le plan de Damas bombardée (p 88) que je reproduis également. L'autrice résidait, durant toute cette période dans le quartier chrétien de Bab Touma à l'Est, et non dans le quartier français de Saléhiyé au Nord. Elle n'a cessé d'échanger avec les habitants et vu au fil des mois les francophiles du début se transformer en adversaires résolus de l'occupation française. On comprend pourquoi à toutes les anecdotes qu'elle raconte.
A noter enfin, dans l'ouvrage de FILIU, la stupide obstination coloniale de De Gaulle en 1941-45, qui doit finalement céder aux aspirations unanimes à l'autodétermination des Syriens. Et enfin la politique continue de tentatives de division intercommunautaire des autorités françaises, dont la dynastie Assad reprendra le flambeau...