Shlomo DAND Deux peuples pour un Etat ?
Malgré sa date de parution, cet ouvrage n'est pas un livre de circonstance. Dans son avant-propos, rédigé courant 2023, l'auteur fait allusion aux mobilisations en cours en Israël contre la tentative de mise au pas de la Justice par le nouveau gouvernement d'extrême droite. Il en critique l'aveuglement aux conditions réelles d'existence du pays : "la mobilisation publique pour défendre la démocratie israélienne n'a aucunement mentionné le fait que depuis cinquante-six ans, plusieurs millions de Palestiniens vivent sous un régime militaire et sont privés de droits civiques, juridiques et politiques. Plus grave encore : les Palestiniens soumis à l'occupation doivent vivre à côté de colons dans une situation d'apartheid de plus en plus évidente."(p 9)
En fait ce livre s'inscrit dans la poursuite d'une réflexion déjà ancienne de déconstruction des mythes du nationalisme ethnico-religieux qui a conduit le sionisme dans l'impasse où il se trouve aujourd'hui. J'avais déjà rendu compte des trois jalons principaux de cette réflexion.
Dans celui-ci, l'auteur s'attaque, avec la rigueur et la méticulosité de l'historien qu'il est, à une histoire non conventionnelle du sionisme. Il y redécouvre des perspectives nouvelles à travers des penseurs et acteurs minoritaires, puis marginalisés ou oubliés.
Parmi les noms qui jalonnent ce parcours, qui va de la fin du XIXe à aujourd'hui, nous découvrons des figures connues (Gershom Scholem, Martin Buber, Hanna Arendt, Uri Avneri) ou moins connues (Ahad Haam, Yitzhak Epstein, Rabi Binyamin, Hugo Bergmann, Hans Kohn, Leon Magnes, Ernst Simon) qui ont, chacun à leur façon, et parfois de façon collectivement organisée (Brit Shalom, Ilhoud, Action sémite), plaidé en faveur d'un État binational dans les premiers temps du sionisme, en gros des années 1890 aux années 1940.
Si cette solution s'est au fil du temps heurtée au nationalisme ethniciste de l'establishment sioniste, puis à celui né en retour du nationalisme palestinien, devenu lui aussi de plus en plus religieux, elle n'en demeure pas moins, aujourd'hui plus que jamais la seule solution réaliste au conflit israélo-palestinien.
En effet, l'occupation depuis 1967 des territoires à majorité palestinienne et la colonisation ont créé une situation inextricable que la soi-disant "solution à deux États" ne peut qu'entretenir et envenimer ... dans la mesure où elle serait effectivement mise en oeuvre, ce qu'aucun acteur ne veut vraiment.
C'est ce qu'ont progressivement redécouvert, après l'enlisement des accords d'Oslo les partisans sincères de la solution à deux États, parmi lesquels l'auteur cite Edward Saïd, côté palestinien, et Avraham B. Yehoshua, côté israélien.
Dans tout ce parcours que je simplifie à gros traits, on perçoit la perplexité et les hésitations, voire les contradictions, de toutes les personnes de bonne volonté confrontées à une situation inédite.
Par ailleurs, et pour conclure (provisoirement), on ne peut que souscrire au pessimisme de l'intelligence de l'auteur allié à son optimisme de la volonté : "De mon point de vue, et tout en espérant vivement me tromper, ce processus non maîtrisé et dont peu sont conscients de tous les aspects risque de se teminer en catastrophe. (...) Si l'on ne peut pas partager une terre, avec toutes les difficultés que cela représente, il nous faut apprendre à partager la souveraineté. Le binationalisme palestino-israélien, doit, le moment venu, arracher de son coeur la muraille de haine édifiée comme une forteresse sur un amas de peurs, afin de nous permettre à tous, Israéliens et Palestiniens, de vivre ensemble." (pp 242-3)
Faut-il le souligner ? La clé de la solution est l'égalité des droits pour toustes sur cette terre.